«DEUX VICTIMES DES SEPTEMBRISEURS [LES BIENHEUREUX FRÈRES LA ROCHEFOUCAULD]» DE
LOUIS AUDIAT ; CHAPITRE 14


CHAPITRE 14. — François-Joseph de La Rochefoucauld dénoncé par le département de l'Oise, le 12 novembre 1790. — Réquisitoire. — Lettre à l'Assemblée. — Suppression du chapitre de Saintes. — Résistance. — Protestation du chapitre ; — jugée par le Journal patriotique de Saintes ; — dénoncée au directoire du département ; — au directoire du district ; à l'Assemblée nationale. — Proposition de supprimer le traitement des chanoines. — Notes de bas de page, y compris la pièce justificative n° 2 : «Les Luchet, chanoines de Saintes».


Pendant que le directoire du département de la Charente-Inférieure dénonçait ainsi l'évêque de Saintes, l'assemblée administrative du département de l'Oise, dans sa première session, prenait la même mesure, et aussi pour une violation de la Constitution civile du clergé, contre l'évêque de Beauvais. Les deux frères commençait à être unis dans la même proscription. Voici le récit de la séance du 12 novembre 1790 (1).

Un des membres a pris la parole et fait le discours suivant :

«Messieurs, si dans un État libre, tout homme a le droit de veiller au maintien de la Constitution et des lois, pour ceux auxquels les suffrages de leurs concitoyens ont confié l'administration et la surveillance publique, ce n'est pas seulement un droit, c'est un devoir indispensable, J'avoue que c'est à regret que j'élève la voix pour accuser un homme, qui, dans des temps de calamité, s'est montré le père des pauvres, et que des bienfaits multiples ont rendu cher à cette ville. (2).

«Mais, citoyen français, membre du corps administratif de ce département, je me crois obligé de dénoncer un délit, qui, par sa nature et par ses conséquences, peut apporter la régénération de la France les obstacles les plus dangereux.

«Le décret sur la Constitution civile du clergé, accepté et sanctionné par le roi, a été publié à Beauvais, le 5 octobre dernier. L'article 1er du titre 2 porte qu'à compter du jour de la publication du présent décret on ne connaîtra qu'une seule manière de pourvoir aux évêchés et aux cures, c'est à savoir la forme des élections. La cure de Puiseux, dans le district de Senlis, est devenue vacante par la mort du titulaire arrivée le 14 octobre. M. de La Rochefoucauld (je ne sais si je puis dire M. l'évêque du département de l'Oise), M. de La Rochefoucauld a nommé à cette cure le 22 octobre ; et le 27 octobre, le sieur Quignon, muni de cette nomination inconstitutionnelle, a pris possession de la cure de Puiseux.

«Ainsi, l'Assemblée nationale et le roi auront vainement travaillé à reformer les abus ; vainement ils auront restitué au peuple le droit d'appeler aux fonctions pastorales ceux qui lui en paraîtront les plus dignes. Les habitants de Puiseux ont encore sous les yeux les affiches de la loi, et l'on vient de la violer dans un temple qui retentit encore de sa publication. Je vous dénonce ici trois coupables : M. de La Rochefoucauld, qui a nommé à la cure ; le sieur Quignon, qui a osé en prendre possession ; et enfin l'homme public qui n'a pas craint de rédiger l'acte d'usurpation de la cure de Puiseux.

«Il est temps de faire connaître à des hommes, qui affichent ainsi leur mépris pour les lois de l'État et pour les droits du peuple, que ce peuple a ses défenseurs qui veillent pour lui et qui ne l'abandonnent jamais. Il est temps aussi que votre zèle s'exerce à lever les obstacles qui s'opposent à l'exécution des décrets sur la Constitution civile du clergé.

«On a publié des lois pour une nouvelle organisation des corps administratifs, et de nouveaux corps administratifs ont été organisés ; on a publié des lois pour une nouvelle formation des tribunaux et de nouveaux tribunaux ont été formés. Les décrets sur la Constitution civile du clergé sont légalement promulgués, et ils restent sans exécution ; et celui qui est destiné dans ce département à concourir le plus puissamment à les faire exécuter est le premier à les violer.

«Quoi donc, messieurs, serait-il encore dans la nation une classe d'hommes qui se croiraient au-dessus de la nation ?

«Serait-il encore dans la société un citoyen qui ne se croirait pas obligé par les lois générales de la société ?

«Je n'oublie pas, messieurs, ce que je vous ai dit de la bienfaisance de M. de La Rochefoucauld (3), mais acquiert-on par des bienfaits le droit de ne point obéir à la loi ?

«Je n'oublie non plus que M. de La Rochefoucauld est du nombre des représentants de la nation ; mais n'est-il pas plus coupable, lorsqu'il enfreint des lois auxquelles il a eu l'honneur de concourir ? Fermer les yeux sur un délit aussi grand, ce serait trahir le plus sacré de nos devoirs.

«La Constitution est violée ; le droit du peuple est usurpé ; hâtons-nous de défendre la Constitution et les droits du peuple ; et n'ayons jamais à nous reprocher les maux funestes que trop de lenteur ou de timidité de notre part pourrait occasionner.

«Je propose donc, messieurs, que l'assemblée administrative du département de l'Oise dénonce à l'Assemblée nationale la nomination inconstitutionnelle de M. de La Rochefoucauld ; que M. le procureur général syndic soit chargé de faire toutes poursuites et diligences nécessaires pour qu'attendu la nullité de la nomination du sieur Quignon à la cure de Puiseux, il soit pourvu d'une manière légale à la nomination de cette cure ; que, prenant en considération tous les dangers qui résultent de l'inexécution des décrets sur la Constitution civile du clergé, elle charge M. le procureur général syndic de lui rendre compte dans le plus bref délai de tout ce qui concerne l'exécution de ces décrets et des obstacles qui peuvent s'y opposer.

«La discussion s'est ouverte sur l'ensemble de la motion, puis sur chaque article des conclusions ; le premier et le troisième article ont été arrêtés par l'assemblée. L'ajournement a été prononcé sur le second.»

Le mardi suivant, l'assemblée entendit la lecture du projet de dénonciation M. de La Rochefoucauld à l'Assemblée nationale, et l'ayant adopté elle dénonça l'évêque de Beauvais, tout en faisant l'éloge de sa charité. (4).

La Constituante ne s'occupa point d'abord de ces dénonciations. Elle continuait son œuvre de prétendue réforme du clergé. D'abord, elle lui avait enlevé ses prérogatives ; il y avait consenti volontiers ; il avait accepté les charges communes. Payer l'impôt comme les roturiers, taille, corvée et autres, lui était du reste moins onéreux que ce tribut si lourd qui revenait tous les trois ou quatre ans en moyenne sous le nom ironique de dont gratuit. On l'avait même dépouillé de ses biens en lui faisant ce raisonnement qui serait peu du goût de certains propriétaires, mais qui, appliqué à des ecclésiastiques, fut trouvé concluant : Ces biens sont entre vos mains pour telles et telles fins ; je me charge de remplir les conditions, et ils sont à moi. Le clergé n'avait rien dit. Selon les paroles de Montlosier, les évêques, chassés de leurs maisons épiscopales, se retirèrent dans la chaumière du pauvre qu'ils avaient nourri, et privés de leur croix d'or, ils en prirent une de bois, la croix de bois qui a sauvé le monde. Après tout, il ne s'agissait que dîmes et de propriétés. Mais quand l'Assemblée, prenant «pour évangile la profession de foi vicaire savoyard, dit Mortimer-Ternaux (5), et pour guides spirituel Mirabeau, le fougueux débauché, Camus, le froid janséniste», eut, par ses règlements inopportuns et injustes, changé l'organisation religieuse, il y eut explosion de murmures et de protestations. Ce n'est pas impunément qu'on porte atteinte à la conscience, ce domaine inviolable et sacré. On fait des martyrs. Et puis la violence répond à la violence. La Vendée, pour défendre ses curés menacés et ses autels renversés, se soulève avec le Poitou, dont trois députés ecclésiastiques précisément avaient été les premiers — 13 juin 1789 — à se réunir à l'Assemblée du Tiers État. Les provinces qui ne prennent point les armes sont troublées, mécontentes, et vouent une haine profonde à ce pouvoir despotique, qui, non content de commander des fusillades et des massacres, veut encore imposer des prières et des sacrements. On peut courber la tête devant les uns ; on ne subit pas les autres.

Le décret du 12 juillet 1790, devenu par la sanction royale loi du 24 août, supprimait l'évêché de La Rochelle ; il supprimait aussi le chapitre de Saintes. Toutefois les chanoines de Saint-Pierre avaient continué de prier Dieu, matin et soir. Cela ne pouvait durer. Le 18 novembre, le directoire du district qui avait pour président Guillau de Sersé, «cultivateur de Montpellier» (6), s'assemble. Et «considérant, quoique le décret de l'Assemblée nationale sur la Constitution civile du clergé du 12 juillet dernier, sanctionné par le roy, le 24 août suivant, ait été publié et affiché dans l'étendue de ce département dès le 15 octobre, et que l'art. du titre 1er éteigne et supprime toutes dignités, canonicats, prébendes, demi-prébendes, néanmoins les ci-devant chanoines, composant l'ancien chapitre de cette ville, n'ont cessé depuis ce tems de continuer leurs exercices ordinaires dans le même costume ; et que c'est là un mépris formel de la loi que les corps administratifs, à qui l'exécution en est confiée, ne peuvent tolérer sans se rendre coupables de la négligence la plus punissable, il arrête : «Ouï le procureur syndic, que, comme cette infraction à la loi de la part de ces ecclésiastiques peut provenir de ce qu'ils ont pensé peut-être que le décret de l'exécution duquel il s'agit devait leur être notifié officiellement pour qu'ils fussent dans le cas de cesser leurs fonctions, il convenait, avant d'employer aucune voye de rigueur pour mettre cette loi à exécution, de la dénoncer officiellement audit chapitre.»

Aussitôt le directoire écrit au chapitre, «en la personne de son ci-devant syndic», d'avoir à convoquer les chanoines pour le lendemain. En effet, Eschassériaux et Dubois, avec le procureur syndic Dupinier et le secrétaire Godet, leur notifient le décret qui les supprime. Dubois ajoute que le chapitre, désormais éteint et supprimé, ne devait plus faire corps ni s'assembler capitulairement. Le doyen répond qu'institué par le concours des deux puissances, spirituelle et temporelle, pour s'acquitter de la prière publique, le chapitre ne peut se regarder comme supprimé par l'une d'elles seulement ; il ne reconnaissait pas les décrets qui l'obligeaient à cesser l'office ; et son intention était de le continuer aussi longtemps qu'il serait possible. Le commissaire réplique qu'avant d'accorder cette tolérance, ils vont en référer à l'administration supérieure. Et pendant qu'ils s'enquièrent, le chapitre, prévoyant le jour où, ne se réunissant plus capitulairement, il ne pourrait exercer la juridiction épiscopale que de temps immémorial il a sur plusieurs paroisses, arrête qu'il en remettra provisoirement l'exercice entre les mains de Mgr de La Rochefoucauld. Les vicaires généraux acceptent au nom de l'évêque. C'est le morituri te salutant (7).

Les commissaires reviennent. Le directoire consent à la demande, sous la condition que les offices se feront sans camail, sans chape, sans aumusse. Le doyen ajouta qu'il acceptait, si on l'exigeait absolument ; mais il n'entendait pas que cette marque de condescendance pût faire croire que le chapitre adhérait à sa suppression.

Après vêpres nouvelle visite des commissaires, MM. du département acquiescent au désir des chanoines, sans exiger qu'ils reconnaissent par écrit leur suppression. Mais les offices ne seront célébrés qu'en surplis et bonnet carré ! Beau sujet de délibération pour un corps administratif que l'aumusse d'un chanoine ! Delaage voulut faire insérer au procès-verbal la réponse faite que le chapitre ne se regardait point comme supprimé. Refus des commissaires.

Ils offrent d'inscrire que chapitre n'a rien répondu. Les chanoines refusent à leur tour. Il est convenu que le doyen écrirait lui-même la réponse. Ce qui eut lieu. Et les commissaires allèrent rendre compte de leur mission.

Avant de se séparer les chanoines présents, sauf trois, signèrent une protestation rédigée le matin. Les absents y adhérèrent ensuite, à l'exception de deux. La pièce fut bientôt rendue publique : «Les doyens, dignitaires et chanoines de l'Église de Saintes, fidèles aux principes religieux qu'ils ont toujours annoncés et pratiqués, céderont aux circonstances impérieuses dans lesquelles ils se trouvent. Mais avant de se séparer, ils se croient autorisés à faire de fortes et de justes représentations sur le coup qui les frappe. En conséquence, ils ont arrêté de faire la déclaration suivante (8).» 

C'est tout ce que j'ai pu avoir de cette protestation. Mais l'article suivant du Journal patriotique de Saintes la fera suffisamment connaître. Il est du reste à citer comme échantillon de la polémique religieuse d'alors, qui est une peu celle d'aujourd'hui : «Je ne souillerai pas un journal patriotique par la publication des sophismes dangereux dont elle fourmille. Le style, quoique ferme et vigoureux, n'offre qu'un réchauffé des maximes prétendues canoniques de la déclaration des ci-devant chanoines comtes de Lyon, arrangées avec des variantes ascétiques par le pieux abbé T... [aillet]. Le ci-devant chapitre de Saintes veut rendre ses derniers moments remarquables. C'est un colosse qui cherche à persuader aux esprits faibles que sa chute peut intervertir l'ordre social en détruisant la sainte religion de nos pères ; ridicule et pitoyable forfanterie, bonne tout au plus pour les siècles de l'ignorance et des dotations monastiques ! La congrégation sacrée des dévotes va sonner la cloche d'alarme et me dévouer à l'anathème... Je sais que chez les anciens, les soupirs des agonistes avaient quelque chose de sacré ! l'humanité a gravé ce principe dans mon cœur : mais il s'agit d'une protestation fanatique contre les décrets de l'auguste Assemblée nationale, d'une déclaration dont la publicité peut égarer des gens superstitieux, et allumer les torches dévorantes de la guerre civile ; et je ne connais pas d'accommodement avec ma conscience. Sentinelle publique, placée par le patriotisme, je dois crier Qui vive ! sur tout ce qui porte atteinte à la loi.» Le vantard !

«L'or et la faveur des Crésus du siècle, les promesses insidieuses des ennemis de la Révolution, rien ne peut me faire quitter un seul instant le poste d'honneur qui m'est confié ! Invariable dans mes principes et dans mon amour pour la vérité, je ne cherche pas à appeler les vengeances populaires sur les têtes des sages ministres que la volonté suprême du souverain dépouille des biens dont ils n'étaient que les fermiers ; la main qui trace ces lignes avec énergie est toujours prête à s'armer pour leur défense, et mon corps à leur servir d'égide... Ma bouche s'ouvrirait encore pour les consoler, s'ils avaient eu le courage d'imiter le généreux dévouement des chanoines de l'Église de la Rochelle.»

Comment le chapitre de La Rochelle avait-il mérité les éloges intéressés de Bourignon ? Il se composait en 1790 de trente membres dont neuf étaient dignitaires ; le doyen, élu par ses confrères, Moreau de Marillet, 67 ans ; l'abbé, à la nomination du roi, de La Roche-Poncier, 61 ans ; le trésorier, Bineau, 43 ans ; l'aumônier, Aldebert, 61 ans ; le premier archidiacre, Gilbert, 60 ans ; le deuxième archidiacre, Levacher, qui jura plus tard, 53 ans ; le chantre, Gauthier, 40 ans ; le sous-chantre, de La Boucherie, enfin le troisième archidiacre, Le Gay, 60 ans, tous offices à la collation de l'évêque ainsi que les vingt premiers canonicats, le vingt-unième était à l'abbé de l'Apsie (9).

Le 12 novembre 1790, les administrateurs du directoire du district de La Rochelle se rendirent à la salle capitulaire, où les chanoines et l'évêque, prévenus la veille, s'étaient réunis. Massias (10), vice-président, fit connaître le décret de suppression : «C'est aux ministres des autels, dit-il, à donner l'exemple de la soumission ; aussi nous ne doutons pas que vous ne vous empressiez d'y obéir et que, malgré le sacrifice douloureux de ce que vous avez de plus cher, vous ne donniez en cette occasion, au peuple qui l'attend, cette preuve éclatante de votre respect pour la nation, la loi et le roi.»

Mgr de Coucy demanda de continuer jusqu'à nouvel ordre l'office divin dans la cathédrale. Le district le permit, sous réserve de l'approbation du département auquel il allait en référer ; mais il ajouta que, d'après la proclamation du roi du 24 août, «le ci-devant chapitre de La Rochelle est absolument dissous ; que toutes les fonctions relatives à vos anciennes dignités respectives vous sont interdites, et que vous devez vous abstenir de toutes assemblées et actes capitulaires ; qu'enfin l'évêché de La Rochelle, demeurant supprimé, le prélat qui en occupait le siège est privé de sa juridiction.» L'évêque apposa son nom au bas de la proclamation du roi imprimée. Quant au procès-verbal, lui, les dignitaires, nommés plus haut, et les chanoines: Massieux, Poilièvre, Souzy (11), Pichon, Couet, La Richardière, Jubard, Pichard de Nanclas, Doué, Brunetière, Grenier, Gautier jeune, Rodrigue, Jouanne de Saint-Martin, Victor-Donatien de Musset-Pathay, Cossin, refusèrent de signer.

Il n'est point question de Poulin, qui jura plus tard. Gastumeau, Gauzargnes et Desrolles étaient absents. Étaient-ce une manière de protester contre l'illégalité dont ils étaient victimes (12) ?

Le 15, les commissaires revinrent ; le département avait donné des ordres positifs pour faire «cesser toutes fonctions canoniales», et défendre même de célébrer l'office divin à la cathédrale. M. de Coucy répondit qu'il n'avait rien à ajouter à ce qu'il avait dit le 12 ; et la plupart des chanoines se retirèrent pendant qu'on apposait les scellés. La protestation pour n'être pas bruyante n'était pas moins formelle, et le refus de signature prouvait bien qu'on ne voulait pas reconnaître la validité du décret (13).

Sur les vingt-quatre chanoines de Saintes, cinq, avons-nous dit, avaient refusé de mettre leur nom au bas de la protestation (14). Le journaliste Bourignon ne leur ménage pas les éloges : «Je ne dois pas passer sous silence le refus honorable de signer la déclaration du ci-devant chapitre de Saintes, manifesté par cinq de ses membres ; leur patriotisme figurera avec éclat dans les fastes de la Révolution. Saint-Légier de Boisron (15), Grellet du Peirat (16), Capdeville (17), du Pavillon (18), de Luscan (19), volez, noms immortels, vers le temple de la patrie ! Les palmes civiques vous attendant.» Sauf deux qui jurèrent, et un qui mourut à temps, ils volèrent vers les douceurs de l'exil ou les délices des pontons, ces «temples de la patrie».

La déclaration du chapitre devait être imprimée et adressée au directoire du département et à tous les chapitres du royaume. Elle circula partout. Aussi bientôt le procureur général syndic la déféra au directoire. «La loi, disait-il par le plus étrange sophisme, n'est autre chose que la volonté générale ; et lorsque cette volonté a parlé, tout citoyen doit fléchir devant elle. Le décret du 12 juillet a prononcé la suppression de tous les chapitres du royaume ; et du jour de sa publication, les chapitres ont été supprimés. Nul prêtre n'a donc plus le droit de prendre la qualité de chanoine, et de s'assembler en corps ; ceux qui le font troublent l'ordre, insultent à la loi, et invitent par leur exemple les autres citoyens à devenir coupables comme eux.

«L'organisation civile du clergé, décrétée par l'Assemblée nationale, ne porte atteinte ni au dogme, ni à la doctrine, seules bases lesquelles repose la foi de nos pères. Citoyens, vous que l'erreur a quelquefois égarés, mais qui, par inclination, voulez toujours le bien, n'en croyez pas le zèle simulé de ces hommes qui vous disent qu'on renverse la religion. Redoutez ces paroles empoisonnées ; elle ont été dans tous les temps la source des plus grands malheurs. Notre religion est toujours la religion vraie, la religion sainte ; et tant que nos dogmes et nos mystères seront révérés, ne voyez, dans les hommes mécontents qui vous obsèdent, que des esprits dangereux qui veulent alarmer votre foi pour mieux exécuter leurs criminels projets.»

Le directoire du district ne resta pas en retard. Le 27 novembre, voici ce qu'il disait : «Le directoire, après avoir pris lecture d'une déclaration faite par les individus composant le ci-devant chapitre de Saintes et à lui adressé par le sieur Delaage, se disant doyen du dit chapitre, ensemble d'une lettre du dit sieur Delaage, en date du vingt-six de ce mois ;

«Considérant que le premier devoir de tout Français est d'être citoyen, et de respecter les loix constitutionnelles qui en assurent à chaque individu les droits imprescriptibles et sacrés ;

«Que toute protestation contre ces loix, résultat de la volonté générale, est un attentat qui doit être réprimé par la force publique, puisqu'elle tend à fomenter le trouble et l'anarchie, et à renverser l'ordre social établi pour le bonheur de tous ;

«Que les ci-devant chanoines, guidés par un vil intérêt particulier qu'ils veulent en vain couvrir du voile respectable de la religion, paraissent non seulement se refuser à l'exécution des décrets, mais même chercher par de perfides insinuations à ramener le tems des vexations et des abus proscrits d'une manière solennelle par le seul vrai souverain, la volonté générale de la nation, et dont le pouvoir ne fut que trop longtemps enchaîné par la tyrannie et le despotisme ;

«Considérant que le prétexte du maintien de la religion, sur lequel ils fondent leur coupable déclaration, ne peut que porter l'alarme et le trouble dans les consciences et susciter des ennemis à une constitution qui a mis au premier rang des dépenses publiques, celles des ministres du culte, et prouve si évidemment le respect de nos législateurs pour la loi sainte qu'ont professée leurs pères ;

«Que si dans tous les cas le refus d'obéir aux loix est repréhensible, il prend un caractère encore plus criminel et plus dangereux lorsqu'il est fait par des hommes qui, par leur état, doivent particulièrement enseigner le précepte, et donner l'exemple de la soumission ;

«Considérant enfin que la tranquillité publique, le respect dû à la loi, l'affermissement de la confiance publique sur la sûreté de la vente des biens nationaux, nécessitent des mesures aussi promptes que sévères pour prévenir les suites d'une semblable protestation ;

«Est d'avis que la suppression du chapitre, opérée de droit depuis la notification du décret du 12 juillet dernier, s'opère de fait ; qu'en conséquence les scellés soient apposés sur les portes extérieures de l'église cathédrale, destinée à devenir paroisse jusqu'au jour où l'évêque aura donné ses ordres à cet égard, ou qu'il y soit autrement pourvu en vertu des décrets ; qu'il soit fait inhibition et défense aux membres du ci-devant chapitre de s'assembler sous peine d'être arrêtés comme perturbateurs du repos public, et punis selon la rigueur des loix ; que leur écrit soit supprimé, comme injurieux et attentatoire au respect dû à l'Assemblée nationale et aux décrets sanctionnés par le roi ; qu'ils soient poursuivis pour être déclarés déchus de leur traitement ; que provisoirement il soit sursis à la fixation de leur traitement, et qu'il ne leur soit accordé aucunes sommes que préalablement ils n'ayent publiquement prêté le serment civique, tel qu'il a été décrété, et désavoué hautement leur déclaration ; que les commissaires nommés pour l'apposition des scellés se feront accompagner de la force armée, et se feront représenter les registres des délibérations pour être déposés en lieu de sûreté ; qu'il sera écrit au corps municipal de veiller avec le plus grand soin au maintien de la tranquillité publique, à peine de demeurer responsables de tous les événements ;

«Qu'enfin l'arrêté du département sera lu, publié et affiché, et que copies d'iceluy et du dit écrit seront adressées à l'Assemblée nationale.

«ARDOUIN. DUBOIS. ESCHASSERIAUX. DUGUÉ.»

Au fond peut-être le directoire du district n'avait pas grande envie de molester les chanoines. On les dénonçait à l'Assemblée. L'Assemblée n'avait pas le temps de s'en occuper. Les prendre par famine était une idée plus ingénieuse. Elle ne fut pas perdue. Le 26 octobre 1791, Claude Fauchet, évêque constitutionnel du Calvados, après avoir tonné contre la persécution, concluait au refus de payer la pension aux prêtres insermentés. Après la délibération du 27 novembre 1790, on y songea encore mûrement. Quelle gloire si le jeûne forçait les prêtres à venir humblement devant Ardouin, Dubois, Eschassériaux et Dugué, rétracter leur déclaration, et pour un morceau de pain vendre leur conscience !

Aussi quand le chapitre, par l'organe du doyen Delaage, réclama pour l'année écoulée le traitement que lui assurait la loi et qui, d'après lui, ne pouvait pas être moindre de six mille livres, le directoire du district, le 8 janvier 1791, sur la motion du procureur syndic, «réfléchissant sur la protestation du ci-devant chapitre de Saintes, dont le sieur Delaage est signataire, réfléchissant sur les inconvénients qui pourraient résulter de cet acte qui porte l'empreinte du mépris des lois, et capable d'élever contre leurs sages auteurs les esprits faibles et peu éclairés, si l'administration ne l'eût proscrit aussitôt par une proclamation dont la sagesse et la fermeté ont consolé les consciences faussement agitées ; réfléchissant encore sur l'avis que les membres du directoire du district, dont le civisme fut indigné, adressèrent alors au département pour que ces ecclésiastiques fussent privés de leur traitement jusqu'à une rétraction solennelle de cet écrit séditieux», pensa d'abord qu'il fallait persister dans sa première résolution, et refuser la demande de cet ecclésiastique ; mais ensuite, «considérant que des administrateurs ne peuvent se conduire que par la loi, ni être plus rigoureux qu'elle ; considérant que l'Assemblée nationale n'a pas encore prononcé de peines sur un pareil écart, malgré qu'elle eût été instruite que plusieurs chapitres ont osé s'y livrer ; considérant enfin que des administrateurs ne sont jamais plus grands que lorsque, par leur bienfaisance envers les ennemis de la Constitution, ils forcent ceux-ci au repentir et à respecter la loi», il émet l'avis «que la fixation du traitement du requérant soit soumise à la sagesse du directoire du département».

Le directoire du département, lui, avait déjà reculé devant l'odieux de ce moyen. Pierre-Anastase Torné, évêque constitutionnel de Bourgues (20), devait s'écrier un peu plus tard : «Condamner à la faim des hommes ci-devant fortunés, après les avoir condamnés à l'indigence, ce serait une cruelle et basse parcimonie. Grâce pour l'insermenté, auquel on ne peut reprocher que son grabat et son scrupule.» Le 13 janvier 1791, le département constata bien que le chapitre avait «fait une déclaration contenant des principes contraires aux lois relatives à la Constitution civile du clergé,» et que «le conseil général du département, par sa déclaration du 27 novembre dernier, avait cru devoir la dénoncer à l'Assemblée nationale, et lui demander d'être autorisé à ne faire délivrer aucun à-compte de traitements aux signataires jusqu'à ce qu'ils l'eussent désavouée ; que néanmoins il arrêtait provisoirement que tout paiement serait suspendu.» Mais l'Assemblée n'avait rien répondu ; et elle n'avait point édicté de peines contre les ecclésiastiques qui protesteraient ainsi. Donc, avant la décision attendue de l'Assemblée, priver de traitement les chanoines de Saintes serait préjuger la loi et la créer. On passa outre ; la délibération prise fut déclarée non avenue, et l'on paya les chanoines. Ainsi déjà apparaissait la tentation du pouvoir, d'ôter d'une main ce qu'il donnait de l'autre, et de priver les ayant droit de la rente promise en échange de leurs biens. Inconvénient d'un clergé salarié par l'État (21) !

_____________________________________

[Notes de bas de page et une pièce justificative.]

1.  Ont été présents : MM. Stanislav-Xavier Girardin, Thibault, Boilé, Simon, Budin, Lagache, Francastel, Demay, Desmoulin, Dupressoir, Descourtils, Calon, Langlier, Andrien, Lesquendieu, Dupuis, Charbonnier, Levasseur, Juéry, Tronchon, Forchon, Lucy et Dubourg, procureur général syndic.

2.  Nous avons rappelé plus haut quelques traits de la charité de François-Joseph. En outre, le 20 mars 1785, il autorisa la paroisse de Bresles à exploiter chaque année trois arpents¹ de tourbes dans les marais, à la condition qu'une partie du produit serait employée à supprimer les toits en chaume ; il fournit même gratuitement le bois de charpente aux indigents. Enfin, par son testament, il légua toute sa fortune aux pauvres. [¹ 1,0 arpent @ 0,2 hectares @ 0,5 acres.]

3.  Durant un hiver rigoureux la ville de Beauvais, pour faire subsister ses pauvres, n'eut d'autre moyen que d'organiser un bureau de charité, et elle les employa à des travaux de terrassements. L'évêque de Beavais se chargea de les payer les dimanches et fêtes, comme s'ils eussent travaillé ces jours-là, afin de leur donner le repos nécessaire et le temps de remplir leurs devoirs religieux.

4.  «A messieurs les députes de l'Assemblée nationale.

«Messieurs, nous trahirions notre devoir, si nous gardions le silence sur un délit qui porte atteinte aux lois constitutionnelles décrétées par l'Assemblée nationale et acceptées par le roi.

«C'est à regret que nous nous voyons obligés de dénoncer un représentant de la nation, un homme que sa bienfaisance avait montré digne d'occuper la place de premier pasteur de ce département.

«La proclamation du roi concernant la Constitution civil du clergé, étant parvenue au directoire du département, le directoire, empressé de s'y conformer, a chargé son président, le 2 octobre, d'écrire à l'évêque, M. de La Rochefoucauld, pour le prévenir de la publication qui allait en être faite, et pour l'engager à se hâter de concourir à son exécution.

«Cependant le directoire a cru ne pas devoir retarder cette publication. La proclamation a été envoyée dans les différents districts, le 5 octobre, et le même jour elle a été publiée et affichée dans la ville de Beauvais.

«Le 8, M. de La Rochefoucauld, par une lettre datée de Tigerie près Corbeil, a répondu que ne pouvant prévoir le moment où finiront les séances de l'Assemblée nationale, il ne peut non plus fixer le temps auquel il pourra se rendre dans son diocèse.

«Le 14, la cure de Puiseux, district de Senlis, est devenue vacante par la mort du titulaire.

«Le 22, M. de La Rochefoucauld a nommé à cette cure le sieur Quignon, et le 27, le sieur Quignon en a pris possession dans la forme ci-devant usitée.

«Nous croyons, messieurs, devoir nous borner à ce simple exposé ; il suffit pour mettre l'Assemblée nationale en état de prononcer. Nous attendons avec respect la décision qu'elle prendre dans sa sagesse.»

5.  Louis Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur (Paris, Calamann-Lévy, 1862 ; tome I, p. 326).

6.  Pierre-Nicolas Guillau de Sersé, époux de Thérèse Garnier, fille de Jean Garnier et sœur de Jean Garnier, maire de Chérac, a eu deux filles : Thérèse-Antoinette-Lucile et Noémi, femme d'Édouard de Laporte ; voir Louis Audiat, Documents pour l'histoire des diocèses de Saintes et de La Rochelle (Paris, Texier, 1882 ; p. 106 et passim). Il fut nommé jugé au tribunal de Saintes, le 14 avril 1797, puis magistrat de sûreté ou substitut du commissaire du gouvernement près le tribunal criminel de La Charente-Inférieure; le 21 avril 1801, il remplaça le président Briault, qui mourut le 19 juin 1810, et siégea jusqu'à sa mort, le 31 juillet 1830, âgé de 68 ans. Il fut aussi conseiller municipal de 1814 à 1830.

7.  [Note de l'éditeur.  Selon l'historien Suétone (Caius Suetonius Tranquillus, vers 69-140), Ave Cæsar, morituri te salutant, soit «Salut César, ceux qui vont mourir te saluent», furent les paroles que prononçaient les gladiateurs romains en défilant, avant le combat, devant la loge impériale.]

8.  «Nous cédons à la force, répondit le chapitre de Beauvais, à la notification (25 novembre 1790) du décret qui le frappait de mort civile et confisquait ses biens au profit de la nation ; mais en succombant, qu'il nous soit permis de nous livrer à des motifs de consolation capables d'adoucir les angoisses du moment : nous allons disparaître du milieu de cette cité florissante qui nous a presque vus naître avec elle. Elle ne nous survivra pas sans regret, nous osons l'espérer. Ce généreux citoyen dont nous tenions à honneur de partager le zèle pour le bien public... cette classe précieuse d'habitants que nous nous sommes fait un devoir de secourir... toute cette société ne sera pas indifférente à notre dispersion.»

9.  Il y avait en outre deux secrétaires prêtres, deux prêtres de bas-chœur, douze chantres, six enfants de chœur, trois bedeaux, un sonneur, un archiviste et plusieurs officiers de justice, tous payés sur les biens du chapitre.

10. Le 9 mars 1785, en l'église de Crazannes, Jacques-Gabriel Massias, président-trésorier de France au bureau des finances et chambre des domaines de la généralité de La Rochelle, fils de Jacques Massias, président et lieutenant général au siège royal de Rochefort, et Madeleine-Élisabeth Thierce, demeurant à La Rochelle, épousa Antoinette-Charlotte-Pauline-Alexandrine Dumas, fille de messire César Dumas, ancien capitaine au régiment de la Couronne infanterie, et de Marie-Thérèse-Victoire-Josèphe de Malartic, par-devant Jean-Baptise-Marc Chevalier de Saint-Michel d'Unezat, capitaine des vaisseaux et chevalier de Saint-Louis ; Pierre-Jacques-Joseph Mullon, chevalier, conseiller du roi au bureau des finances de la généralité de La Rochelle et seigneur de la châtellenie d'Aytré ; Jacques de Chaudruc, écuyer, seigneur de Crazannes ; et Jean de Chaudrac, écuyer.

11. [Note de l'éditeur.  Jean-Baptiste-Étienne Souzy, né à La Rochelle le 24 mars 1732, fut déporté sur le ponton les Deux-Associés, mouillé, comme le Washington, en rade de l'île d'Aix ; il y mourut le 27 août 1794. Le 2 juillet 1994, Sa Sainteté le pape Jean-Paul II béatifia 64 prêtres, y compris Souzy, qui moururent sur ces pontons ou sur l'île Madame.]

12. Non pas certes pour Gastumeau, qui donna les plus tristes exemples. René-Alexis Gastumeau, né le 22 novembre 1731 à La Rochelle, fils du négociant Jean-Baptiste Gastumeau et de Henriette Gravié, devint l'un des vicaires épiscopaux de l'évêque constitutionnel Robinet, puis épousa à Saintes, le 12 juin 1794, l'illettrée Jeanne Coussereau, âgée de 25 ans, née à Libourne le 20 avril 1769, fille du cordonnier Jean Coussereau et de Madeleine Lafond ; son nouvelle épouse le laissa bientôt. — Je trouve une note où il est dit qu'il divorça le 10 avril 1795 avec Jeanne Charbonnier. Se serait-il marié deux fois ?

13. L'abbé E. Gendre, La suppression de l'évêché et du chapitre de La Rochelle en 1790, dans le Bulletin religieux du diocèse de La Rochelle et de Saintes du 13 septembre 1873.

14. Voir la pièce justificative ci-dessous :

LES LUCHET, CHANOINES DE SAINTES.

Il y avait à l'époque de la Révolution trois frères de ce nom chanoines de Saintes qui tous refusèrent le serment : 1°, Jean-Louis-André de Luchet, né le 30 novembre 1731, archidiacre d'Aunis avant le 17 mai 1766, jour où il marie Louis Rigaud de Vaudreuil avec Anne-Marie Dubreuil de Théon ; archidiacre de Saintonge le 12 octobre 1782, à la mort de M. des Romans, prêtre du diocèse d'Angers, chanoine de Saintes ; abbé de Masdion en 1787 par l'influence du comte de Jarnac qu'il avait marié à Élisabeth Smith — Bulletin de la société des Archives historiques de Saintonge (IV, 156) ; chanoine de Saintes en 1751, vicaire général de La Rochefoucauld ; 2°, Michel-Dominique Luchet de La Motte (voir note 7 au chapitre 5), né à Saintes, chanoine en 1769, mort sur les pontons de l'île d'Aix le 20 août 1794, enterré à l'île Madame ; 3°, Jean de Luchet de Rochecorail, né en 1745, chanoine en 1773, déporté en Espagne à Calahorra. Tous trois étaient des quatorze enfants de Marie-Anne Réveillaud, et de François-Louis de Luchet, chevalier, que je crois fils de Charles de Luchet et de Judith Fresnaud, et petit-fils de Jean et de Bénigne de Rabaine. L'abbé Guillon, Les Martyrs de la foi pendant la révolution française,... (Paris, Mathiot, 1821), ne compte que neuf enfants. J'en ai donné la liste dans Louis Audiat, Études, documents et extraits relatifs à la ville de Saintes, par M. le Bon Eschassériaux,... (Saintes, Orliaguet, 1876 ; p. 79).

J'en ai compté quatorze sur les registres paroissiaux : 1°, le 7 août 1729, Marie-Jeanne-Victoire ; 2°, Jean-Louis-André, qui eut pour parrain et marraine Jean de Luchet de Rochecorail, écuyer, seigneur de La Motte, et Jean Billaud, épouse de Réveillaud, conseiller du roi en l'élection ; 3°, le 23 juin 1733, Marie-Henriette ; 4°, le 4 août 1734, Michel-Dominique ; 5°, le 16 août 1736, Jean-Charles-Joseph, qui eut pour marraine Marie-Claire-Toinette de Bremond ; 6°, le 6 janvier 1738, Guillaume-Egon-Jean-Baptiste, ainsi nommé par Guillaume-Egon Tambonneau, prêtre, bachelier en théologie, chanoine de Paris, prieur de Sainte-Honorine de Conflans, et par Élisabeth de Sainte-Maure, veuve de Jean-Baptiste-Gaston de Vernon, chevalier, seigneur de Melseau, Marconné, etc. ; 7°, le 13 janvier 1739, Jean-Pierre, connu sous le nom de marquis de Luchet, officier de cavalerie, bibliothécaire de Frédéric II, auteur d'un nombre considérable d'ouvrages en tous genres, qui mourut à Paris le 6 avril 1792 ; 8°, le 25 juin 1740, Marguerite-Mélanie, tenue sur les fonts de baptême par Pierre Bremond et Marguerite-Mélanie Nadaud de Neuillac ; 9°, le 4 juillet 1741, Michel, qui eut pour parrain Michel de Luchet, chevalier, et pour marraine Mélanie de Pagave ; 10°, le 24 septembre 1742, Marie-Adelaïde-Sophie, ainsi nommé par Marie-Adelaïde-Sophie Faure, emprisonnée pendant la Terreur avec une de ses sœurs ; 11°, le 5 janvier 1744, Jeanne-Rose ; 12° le 5 juillet 1745, Jean-Louis ; 13° le 23 octobre 1746, Pierre, tenu sur les fonts par Pierre de Laugerie, ancien major de dragons au régiment de la Sare, commandant pour le roi à Valence, et par Madeleine Bichon d'Aiguières, en présence de Charles-Marie-Antoine d'Aiguières, licencié en théologie, chanoine de Saintes ; 14°, le 17 mai 1748, Sophie-Angélique. Cette liste servira à rectifier quelques noms et quelques dates dans Pierre-Damien Rainguet, Biographie saintongeaise (Saintes, Niox, 1851), copiant les erreurs des Martyrs de la foi,... ; article, LUCHET). Ajoutons que Luchet est un ancien fief de la paroisse du Chay près de Saujon. Le château a presque complètement disparu. Il reste encore le moulin de Luchet. La Motte est un autre fief en la paroisse de Saint-André de Lidon.

Jean-Louis-André de Luchet, ayant refusé le serment, fut forcé de s'expatrier en Allemagne, à Altona, dans le courant d'octobre 1793. Mme de Tessé, qui ne se distinguait pas par ses sentiments religieux, le prit pour aumônier. «L'aimable tante, lit-on dans la vie d'Anne-Paule-Dominique de Noailles, Marquise de Montagu (Paris, Plon, 1889), jugea à propos d'augmenter le personnel déjà nombreux de sa maison. Elle emmena avec elle un vieux prêtre déporté, l'abbé de Luchet, dont elle fit son chapelain. C'était chez elle un luxe tout nouveau qu'un chapelain, et pour l'abbé de Luchet l'emploi équivalait à une sinécure ; mais, disait en souriant Mme de Tessé à M. de Mun, ma mère est là pour l'occuper.» À l'occasion de l'installation provisoire à Ploen et des occupations de l'emménagement, on cite «l'abbé de Luchet, qui était fort gauche et fort distrait ; M. Boutelaud, qui faisait plus de bruit que de besogne».

Un peu plus loin : «Quant à l'abbé de Luchet, nouveau venu dans la maison, il paraissait comme étourdi de ces conversations et n'osait s'y mêler. Son silence étonna et d'abord inquiéta Mme de Montagu. Pourquoi ne venait-il pas à son aide ? (Dans les discussions philosophiques et religieuses.) Était-ce par tiédeur, par crainte de déplaire, ou par ce sentiment secret d'infériorité personnelle qu'elle éprouvait elle-même en écoutant Mme de Tessé ? Elle étudia un grand mois cet abbé de Luchet avant d'oser s'ouvrir à lui en confession. Elle eut enfin la joie de reconnaître en lui un digne prêtre, peu brillant, très humble, peu capable peut-être de débrouiller un sophisme, mais très bon pour diriger dans la bonne voie une âme droite et simple. Elle assistait chaque jour à la messe que le vieillard célébrait dans sa mansarde...» Mme de Montagu étant accouchée d'un garçon à Ploen ne voulait pas consentir à le laisser baptiser par les luthériens. De là des conflits avec l'autorité locale ; «l'abbé de Luchet n'ayant pas pu arranger l'affaire avec les pasteurs, M. de Montagu eut recours à son ami le Bailli, qui aplanit les difficultés.» La cérémonie (du baptême) fut précédée d'une assez vive controverse entre Mme de Tessé et son vieux chapelain, à qui elle voulait prouver qu'un baptême protestant aurait été aussi bon qu'un baptême catholique. Le vieillard lui répondit brièvement, mais avec une tristesse visible. Il se mit à genoux, fit le signe de la croix ; tout le monde l'imita, et ce petit incident, au lieu de troubler la cérémonie, ne fit que la rendre plus calme et plus imposante.» Ailleurs, à propos d'un bal rustique donné aux moissonneurs par Mme de Tessé à Witmold, et auquel prit part Mme de Montagu : «L'abbé de Luchet, j'aime à le croire, n'en fut pas scandalisé, mais je n'en réponds pas. Il était d'humeur assez austère et quoique ennemi des Jansénistes, il tombait volontaires dans leurs mélancolies et leur découragement à l'égard de la nature humaine ; il aimait sincèrement Mme de Montagu ; il la voulait parfaite et la blâmait sans miséricorde de toute ce qui pouvait se mêler d'humain en son langage ou en ses actions. De temps en temps il l'accompagnait en la sermonnant dans ses excursions charitables ; et le lendemain, il reprenait son sermon soit à l'office, soit au grenier assis en face d'elle, en épluchant des pois, afin que tout marchât de front, la morale avec le travail.»

Il vivait encore en 1808, comme on le voit par une lettre du 10 août, adressé par Mme de Montagu à M. de Bremond d'Ars, à l'occasion de la mort de sa sœur, Mme de La Fayette : «Je n'ai pu vous remercier de tout votre intérêt, que par mon bon interprète l'abbé de Luchet, dans la pénible convalescence d'une maladie qui m'a mise à la mort.»

15. René-Antoine de Saint-Légier de Boisron d'Orignac, né le 6 septembre 1755, fut placé au collège de Saint-Magloire par le duc d'Orléans ; élu chanoine de Saintes en 1780, il fut élu un des onze officiers municipaux à Saintes, le 7 février 1790 ; il émigra en Espagne à Burgos, puis en Angleterre à Plymouth. À son retour, il refusa l'évêché de Périgueux, devint vicaire général honoraire et conseiller général de la Charente-Inférieure, et mourut curé de Jonzac, le 24 février 1845. Pour des lettres de son émigration, voir le Bulletin religieux du diocèse de La Rochelle et de Saintes du 31 décembre 1881.

16. Jean Pierre-Gabriel Grellet du Peirat de Limoges, né le 19 août 1765, fils de Gabriel Grellet et de Françoise Faulte, fut élu chanoine de Saintes en 1772; il prêta serment, et mourut à Saintes le 20 juin 1829.

17. Louis Capdeville, né en Béarn, fut élu chanoine de Saintes en 1762 ; il y mourut, paroisse de Saint-Pallais, le 5 septembre 1792, âgé de 91 ans.

18. Joseph du Cheyron du Pavillon, fut élu chanoine de Saintes le 26 juin 1782, à la place de Duchosat, qui mourut à Paris le 20, âgé de 30 ans, et prit possession le 1er juillet. Dès le 8 mars 1788 il eut une pension de 3600 livres sur l'abbaye de Saint-Ouen. À son retour du ponton mouillé en rade de l'île d'Aix, le 7 février 1795, il fut recueilli à Saintes, avec l'abbé de Féletz, par Faure-Douville. Pour éviter une nouvelle déportation, il passa en Espagne, d'où il ne revint qu'en 1801. Voir L'abbé Charles-Marie D'Orimond de Féletz, Mélanges de philosophie, d'histoire et de littérature (Paris, Grimbert, 1828 ; tome I, p. 114), et aussi note 46 au chapitre 7.

19. Joseph Gémit de Luscan du diocèse de Comminges, tonsuré le 30 mai 1744, maître ès arts (8 janvier 1749), gradué nommé en théologie de l'université de Toulouse (23 juillet 1753), ordonné le 22 septembre 1753, curé et vicaire perpétuel de Saint-Pierre de Saintes du 17 décembre 1768 au 28 décembre 1777, fut élu chanoine de Saintes en 1777. Né le 15 mai 1728, le cinquième fils de Jean Gémit, sieur de Luscan et de Barsous, et de Marthe de Binos, dame de Vidaussan, il était frère : de Gérard, chanoine de Tarbes, vicaire général de Saint-Papoul ; d'Alexandre, chanoine et vicaire général de Tarbes ; de Charles, capitaine au régiment de Bourbonnais, mort en émigration, âgé de 82 ans ; et de Louis-François, marquis de Luscan. Après avoir prêté serment, il se retira dans sa famille et mourut en 1807.

20. Pierre-Anastase Torné, né à Tarbes le 21 janvier 1727, fut évêque métropolitain de Bourges et président de l'administration du département du Cher ; à l'âge de 67 ans, il épousa à Bourges, le 5 janvier 1794, Jeanne Colet-Messine, d'Issoudun, âgée de 49 ans. Il divorça peu après, partit pour les Pyrénées, devint bibliothécaire à Tarbes ; et c'est là qu'il mourut subitement le 12 janvier 1797.

21. On paya aussi le bas-chœur. Par une curieuse délibération prise le 3 décembre 1790 et qu'on trouvera dans notre ouvrage Louis Audiat, Saint-Pierre de Saintes,... (Saintes, Mortreuil, 1871 ; p. 119) :

«... le directoire ayant ensuite vu un mémoire intitulé : Table de la dépense ordinaire par mois dans l'église cathédral de Saint-Pierre de Saintes, pour le bas-chœur, pour la messe de prime et pour la psalette, montant à la somme de six cent soixante-trois livres neuf sols six deniers ; le dit mémoire en date du 1er de ce mois signé Marchal ; sur ce ouï le procureur syndic,» fut d'avis «que, le chapitre de Saintes étant supprimé par le décret de l'Assemblée nationale sur la Constitution civile du clergé du 12 juillet dernier, les individus qui composaient le bas-chœur de ce chapitre ne pouvaient plus être payés collectivement comme ils l'étaient ci-devant, mais individuellement et comme ci-devant attachés au service du dit chapitre.»

«En conséquence, M. Delaage, receveur du district, paya aux dénommés ci-après pour leurs appointements du mois de novembre dernier, savoir,

au sieur Close, ancien second vicaire, la somme de 45 livres, y compris 7 livres et 10 sols, moitié de 15, pour les messes de prime.  45l.
Au sieur Girard, troisième vicaire, 25 livres 10 sols, compris même la somme de 7 livres 10 sols, pour l'autre moitié des messes de prime  25l.10s.
Au sieur Josse, maître de musique, 251 livres, 9 sols, 6 deniers, savoir 29 livres, 3 sols, 4 deniers pour ses appointements et 222 livres, 6 sols, 6 deniers pour l'administration et entretien de la psalette 251l.9s.10d.
Au sieur Fauchay, taille¹  49l.3s.4d.
Au sieur Mery, serpent²  33l.6s.8d.
Au sieur Geoffroy, basse-contre  54l.3s.4d.
Au sieur Laurier, haute-contre  50l.0s.0d.
Au sieur Baymond, baleinier³  24l.
Au sieur Boiguier, baleinier  24l.
Au sieur Gontat, suisse  11l.15s.4d.
Au sieur Brunet, sonneur  16l.10s.
Au sieur Berthomé, sacriste  12l.10s.
Au sieur Savigny, basse-contre  54l.3s.4d.
Total : 651l.9s.10d.

«Quant à la somme de douze livres qui manque pour parfaire le montant de l'état des appointements des individus du dit bas-chœur, et qui était attribuée au Sr St Cyprien, ci-devant premier vicaire, le directoire arrête que cette somme ne sera pas payée au dit Sr St Cyprien attendu qu'il est salarié comme curé de la paroisse de St.-Pierre.

«La séance a été levée à midi,

«DUBOIS. ARDOUIN. DUGUÉ. ESCHASSERIAUX. GODET, secrétaire.»

[¹ Probablement un ténor, mais possiblement un violoniste. ² À proprement parler, serpentist ; personne qui joue du serpent, qui est un instrument à vent ancien. ³ Un bedeau qui, dans des cérémonies religieuses, portait une canne faite avec des fanons de baleine.]



«Deux victimes des Septembriseurs» :
Table des Chapitres ; Lexique ; Chapitre 15

[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]