«FAVERNEY, SON ABBAYE ET LE MIRACLE DES SAINTES-HOSTIES» ; 5e PARTIE - CH. 2


CINQUIÈME PARTIE

La Sainte-Hostie de Faverney depuis la grande Révolution jusqu'à nos jours


CHAPITRE SECOND

Le grand pèlerinage à la Sainte-Hostie en 1878 et le
prélude de tous les congrès eucharistiques internationaux

Le neuf juillet 1875, à six heures du matin, après quarante et un ans d'épiscopat le plus actif dans le diocèse de Besançon, en son modeste palais archiépiscopal vers la Porte-Noire, disparaissait de la scène du monde cette noble et grande figure que fut Son Éminence le cardinal Adrien-Césaire Mathieu. C'était le doyen des évêques français par la date de sa promotion ; il comptait vingt-cinq ans de cardinalat, et déjà onze années s'étaient écoulées depuis qu'il avait ravivé la foi au miracle de la Sainte-Hostie de 1608, en proclamant, le 16 mai 1864, l'approbation suprême du pape Pie IX. Le pèlerinage de Faverney perdait en lui un apôtre fervent. Il est vrai que la Providence lui avait heureusement donné, depuis plus de quatre ans, afin de compléter l'œuvre de restauration si bien commencée, un pasteur pieux à l'âme ardente et au cœur bon et généreux : c'était l'abbé Charles-Joseph Clerc (1).

Doué d'une santé robuste et d'un zèle inlassable, ce jeune curé-doyen apparaissait bien comme l'artisan modeste, prédestiné à son insu pour accomplir un grand œuvre auquel, à cette époque, personne ne pouvait songer. L'évêque de Grenoble Mgr Justin Paulinier, sur la proposition du cardinal-archevêque de Paris Mgr Guibert, venait d'être nommé archevêque de Besançon, malgré tous ses efforts pour ne pas se séparer du diocèse si aimé de Notre-Dame de la Salette. «Il entrait dans les desseins de Dieu», a noté admirablement Mgr Besson, «qu'après quarante ans employés par le cardinal Mathieu dans les soins d'une administration qui fut un chef-d'œuvre de foi, de patience, de courage et de persévérance, le diocèse de Besançon devait échoir, avec ses neuf cents paroisses et ses quatorze cents prêtres, aux mains d'un pontife né, ce semble, pour être aimé», et pour dilater le culte de la saine Eucharistie, jusqu'alors trop renfermé dans un rigorisme de respect exagéré (2).

Depuis le 6 du mois d'août de l'an 1848 où la vénérable Mère Marie-Thérèse du Cœur de Jésus, nommée dans le monde Théodelinde Dubouché, avait inauguré dans la chapelle de la rue d'Enfer à Paris, avec ses premières filles qui ne portaient pas encore l'habit religieux, l'Adoration réparatrice et perpétuelle de jour et de nuit ; depuis le 6 décembre suivant où le jeune et célèbre pianiste Hermann Cohen, récemment converti du judaïsme au catholicisme, le futur Père carme déchaussé Marie-Augustin Hermann, avait commencé à Notre-Dame des Victoires, avec dix-huit fervents chrétiens, l'œuvre admirable de l'exposition et de l'adoration nocturne du Très Saint-Sacrement par les hommes ; une efflorescence admirable des œuvres eucharistiques s'était manifestée dans toute la France. Mais ce fut surtout depuis le grand acte historique du 19 juin 1873 dans ce pèlerinage national au sanctuaire de Paray-le-Monial où deux cents députés français, agenouillés devant l'Hostie sacrée de l'ostensoir, consacrèrent la France au Cœur de Jésus, qu'une humble fille qui rêvait d'être «la mendiante du Saint-Sacrement» reçut du Ciel, en ce jour et en ce lieu mémorables, la premiere idée des congrès eucharistiques. Cette femme se nomme Marie-Marthe-Émilie Tamisier, et c'est dans son cœur de française qu'a germé la pensée de ces assises triomphales en l'honneur de la divine Eucharistie (3).

Dans son âme toute enflammée d'une explosion de patriotisme religieux, l'État social chrétien, réalisé par le règne de l'Eucharistie, lui apparut tout à coup avec une clarté saisissante. La dévotion du moment en France, à cette époque, étant aux pèlerinages, elle crut y voir une indication providentielle, et le tableau d'une procession organisée dans les sanctuaires où s'est opéré quelque grand miracle eucharistique, se dressa alors devant ses yeux. En même temps le nom d'Avignon se présenta à son souvenir. Il y a là une chapelle, celle des Pénitents-Gris où, depuis l'an 1226, en actions de grâce de la victoire remportée le 8 septembre sur les Albigeois par le roi de France Louis VIII, père de Saint-Louis, et en réparation publique des outrages de ces sectaires contre le Sacrement adorable de nos autels, fut inaugurée, le 14 septembre suivant, l'Exposition perpétuelle de jour et de nuit. Là aussi, le 30 novembre 1433, eut lieu l'événement prodigieux de l'inondation du Rhône dont les eaux, au lieu d'envahir la chapelle, s'étaient amoncelées à droite et à gauche des murs et avaient formé comme une espèce de toit au-dessus de la Sainte-Hostie exposée sur l'autel (4).

Pour vulgariser cette idée surnaturelle de Mlle Tamisier, Mgr de Ségur, l'apôtre de la fréquente communion, composa à la prière de l'humble fille «mendiante» son opuscule : La France aux pieds du Saint-Sacrement. Bientôt les triomphes eucharistiques commencent. «A Lyon d'abord, puis en Vendée au diocèse de Luçon, à Douai, à Paris, à Angers, évêques, prêtres et fidèles viennent, croix et bannières en tête, affirmer leur foi à Jésus-Hostie et acclamer sa royauté sociale. De ces pélerinages et de ces processions les fidèles emportent une dévotion plus tendre et plus éclairée, et les âmes des évêques et de leurs prêtres, devenant plus vibrantes et plus audacieuses, éprouvent le besoin de concerter leur action : et de travailler ensemble à glorifier l'hôte méconnu du Tabernacle». C'est alors qu'à Avignon, le 10 juillet 1876, au lendemain de la Procession jubilaire où, tous les vingt-cinq ans, l'illustre confrérie des Pénitents-Gris, rappelle l'acte de foi et d'expiation du roi Louis VIII, dans les salons archiépiscopaux, sous la présidence du bienveillant pontife Mgr Dubreuil et le l'evêque de Valence, se tint une sorte de congrès en miniature qui fut en réalité le premier des congrès eucharistiques (5).

Ce timide commencement des manifestations de foi catholique, qui sont devenues, en vingt-cinq ans, de vrais et prodigieux triomphes pour la royauté sociale de Jésus-Christ, avait été notifié à Mgr Paulinier, récemment intronisé à Besançon. Dans son ardente piété il s'était empressé d'y donner son assentiment et avait même envoyé une lettre de louanges, comme du reste plusieurs autres évêques français. Le service funèbre du 15 juillet 1876, lors du premier anniversaire des obsèques de son éminent prédécesseur le cardinal Mathieu, l'empêcha de prendre part à cet essai de congrès eucharistique ; mais ce qu'il en apprit lui mit au cœur une flamme qui ne tarda pas à l'entraîner sur les pas encore hésitants de la «chevalière du Saint-Sacrement». Au Carême 1878, l'archevêque de Besançon lança d'abord son remarquable mandement, historique et doctrinal, sur «le célèbre miracle de Faverney», et il conclut par cet appel vibrant à «la foi et l'amour eucharistiques» de ses chers diocésains : «La grande et salutaire dévotion de l'Adoration perpétuelle est établie depuis plusieurs années dans la plupart des diocèses de France, et partout elle a éveillé d'universelles sympathies. Pour soutenir la piété des fidèles à l'aide de manifestations sensibles, les évêques ont autorisé l'exposition quotidienne du Très Saint-Sacrement dans les diverses églises ou oratoires de leur diocèse, et ces expositions, se renouvelant sans fin, deviennent une série de fêtes perpétuelles, symboles de la fête incessante du Ciel» (6).

«Depuis notre arrivée au milieu de vous, nous regrettions l'absence de ces fêtes, et si nous n'avions connu les immenses et nécessaires travaux qui ont rempli l'épicopat de notre vénéré prédécesseur, nous nous serions demandé pourquoi la Franche-Comté n'avait pas pris une noble initiative dans ce mouvement d'élan eucharistique, puisque Dieu, par un glorieux privilège, a honoré cette terre du plus grand des miracles en faveur du Très Saint-Sacrement de l'Autel». Ce reproche, à peine voilé à l'adresse de nos pieux ancêtres, n'est toutefois mérité qu'à demi. Car le chanoine Suchet, ce comtois si érudit et si fier de nos gloires nationales, nous apprend dans son Manuel sur l'Adoration perpétuelle que, dès l'an 1735, par conséquent près de cent cinquante ans avant la fondation des religieuses de l'Adoration réparatrice, en 1848, par la vénérable Mère Marie-Thérèse Dubouché, Mgr Antoine-Pierre de Grammont, nouvellement élu archevêque de Besançon, approuvait la réimpression d'un volume intitulé : Pratique de piété pour l'Adoration perpétuelle de Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement de l'Autel, par un prêtre du diocèse. Donc, depuis au moins deux siècles, sans les paroisses ferventes de la ville et de la campagne, en notre catholique Comté, il y avait «un groupe d'âmes dévotes qui, tous les jours et toutes les nuits en ville, chaque dimanche ailleurs, venait à tour de rôle et successivement adorer Jésus-Christ», en reconnaissance de l'affermissement de la foi de nos pères par le miracle de Faverney (7).

Quoiqu'il en soit de cette institution, jadis si florissante avant la grande Révolution, «on en avait perdu la trace parmi nous», a écrit Mgr Besson, «et personne jusque-là n'avait essayé de la reprendre». C'est pourquoi Mgr Paulinier, cédant au mouvement d'ardente piété de son propre cœur, voulut inaugurer la fête dans son église métropolitaine. Donc, le samedi 23 mars, veille du premier dimanche du Carême, à six heures du soir, l'archevêque, entouré d'un nombreux clergé, exposait lui-même solennellement le très Saint-Sacrement, et «de minuit à une heure il présidait les exercices de l'adoration nocturne, donnant ainsi au groupe d'hommes qui l'entourait l'exemple du recueillement et de la ferveur». Le second jour d'adoration perpétuelle devait échoir à l'église du Miracle à Faverney. Là, le dimanche à six heures du soir, au moment où Jésus-Hostie fut exposé sur le tabernacle du maître-autel, ayant à ses pieds devant lui la relique miraculeuse de 1608, l'antique chœur des bénédictins offrait un coup d'œil magnifique. Des massifs de verdure et de fleurs entouraient le grand autel, de riches tentures couraient le long des murailles, et près de mille flambeaux étincelaient dans l'abside, entre les colonettes des ogives et jusque sur les cinq grandes fenêtres où ils formaient des couronnes rayonnantes. À toutes les heures de la nuit et de la journée du 25 mars, la foule des pèlerins fut considérable, et nombreux furent les fidèles «qui s'agenouillèrent à la sainte table, et semblaient dire à Dieu : Nous n'oublierons jamais que ce sanctuaire est, par excellence, le sanctuaire de l'Eucharistie» (8).

Et depuis cette date mémorable, c'est à dire depuis trente-six ans, cette veillée d'armes réparatrice aux pieds de Jésus exposé sur les autels s'est continuée pour le plus grand bien des âmes et s'en va ainsi chaque soir, se perpétuant sur tous les points de ce grand diocèse et redonnant à chaque retour périodique un nouvel élan à la piété publique. Cette institution, la plus belle et la plus utile sans contredit de toutes les fondations dues au zèle infatiguable de Mgr Paulinier, n'était dans sa pensée intime que la préparation nécessaire, que l'appel des grâces de Dieu pour l'exécution d'un projet qui lui tenait fort à cœur. Après l'avoir mûri seul et dans le plus profond secret de son âme au pied du tabernacle, il s'en ouvrit à Mlle Tamisier, à Mgr de Ségur, au vicomte de Damas, président du Conseil général des Pèlerinages de France, au R. Père Tesnière, supérieur général de la Congrégation du Très Saint-Sacrement. De tous le zélé pontife reçut de chaleureux encouragements. Alors il lança, au mois de juillet, un pressant appel à tous les évêques de France et à tous les directeurs des œuvres eucharistiques. En même temps la Semaine religieuse de Besançon, par la plume si alerte de son ardent rédacteur le missionnaire apostolique Mgr Jeannin, publia une série d'articles qui bientôt éveillèrent d'unanimes sympathies, et dès lors le succès du pèlerinage s'annonça grandiose.

C'est pourquoi, lorsque le 5 août l'archevêque de Besançon crut pouvoir sans témérité annoncer officiellement à tous ses diocésains le pèlerinage eucharistique de Faverney pour le 3 septembre prochain, sa lettre-circulaire mentionna des adhésions et des encouragements arrivés, soit d'un grand nombre de paroisses du diocèse, soit des diocèses étrangers tels que Paris, Lyon, Cambrai, Avignon, Nîmes, Angers, soit du comité du pèlerinage national, soit même et surtout de plusieurs de ses vénérés collègues de l'épiscopat. Aussi il concluait sa lettre de convocation un peu tardive, puisqu'elle ne fut lue dans un grand nombre d'églises que le jour de l'Assomption, par ces mots pleins d'espoir et qui maintenant paraissent avoir été prophétiques : «Tout nous fait donc espérer une de ces solennités exceptionnelles, proclamant à notre siècle sceptique que la France est toujours la nation chrétienne, et que l'église dont on se presse trop de sonner les funérailles, est plus que jamais pleine de vie. Mais nous désirons avant tout voir se grouper autour de nous le plus grand nombre de prêtres de notre Franche-Comté. Un pélerinage eucharistique n'est-il pas essentiellement un pélerinage sacerdotal ? De plus, un motif particulier nous fait désirer la présence de nos prêtres. Des délégués des œuvres eucharistiques se trouveront réunis avec nous à Faverney, et ils pourront peut-être discuter dans quelques réunions particulières les moyens de propager dans les paroisses ces œuvres si belles et de donner au culte du Très Saint-Sacrement un développement nouveau».

Cette annonce officielle du grand pèlerinage fut «accueillie avec joie par les populations des rives de La Lanterne, de la Saône et du Doubs», a narré le chanoine Rigny alors curé-doyen de Vauvillers, «et de nombreux pélerins, tant des villes que de la campagne, se promettaient de participer à cette grande manifestation catholique». Mais, durant les trois semaines qui s'écoulèrent depuis l'Assomption, «l'inquiétude était grande, car le mauvais temps semblait persister à détruire toutes les pieuses espérances». Toutefois à Faverney, on ne chômait pas. Le modeste abbé Clerc, dont le zèle débordant n'avait jamais rêvé que le bien de sa paroisse, choisi par la Providence pour être l'ouvrier indispensable de ce triomphe eucharistique, s'est mis résolument à l'œuvre. «Durant un mois il est sur la brêche : décoration de l'église, construction du reposoir, réception des pélerins, préparatifs nécessaires aux centaines de messes qui seront célébrées dans la vieille abbatiale, tout repose sur son dévouement incomparable. Il faut tout faire sans ressources, penser à tout sans aide : gardien du trésor miraculeux, le digne pasteur saura sacrifier ses études qui le passionnent, son amour obstiné de la solitude et de la retraite, pour se faire l'ouvrier présent partout, l'hôte toujours accueillant, toujours souriant de tous ceux, et ils sont nombreux, qui viennent frapper il sa porte et s'asseoir à sa table».

À Besançon aussi l'on ne chômait pas non plus. «Là un autre bon ouvrier agissait : c'était l'abbé Jeannin, missionnaire apostolique, directeur des pélerinages de la Franche-Comté et rédacteur de la Semaine religieuse. Lettres, circulaires, articles, affiches, démarches, voyages, il ne recula devant aucune fatigue pour entraîner de véritables multitudes à Faverney ; et quand les huit trains qu'il organisa à l'aide des Comités de Vesoul et de Besançon, verseront leurs flots humains dans la ville du Miracle, ce sera encore l'abbé Jeannin qui les contiendra, les dirigera, les conduira en bon ordre. Ce sera l'âme du pélerinage» et le Ciel en récompense doit lui réserver un beau triomphe pour le Dieu de l'Eucharistie (9).

À ces deux ouvriers du pieux et grand Œuvre qui va bientôt apparaître pour la gloire de Jésus-Hostie, il est juste d'ajouter le R. Père Albert Tesnière, religieux des Pères du Très Saint-Sacrement. Sa parole ardente, son esprit de foi, son savoir-faire, sa profonde expérience aidèrent puissamment le curé-doyen de Faverney dans sa rude tâche. Grâce à l'énergique impulsion communiquée aux habitants par le P. Tesnière, chacun s'est mis à l'ouvrage : «du fond des bois sont amenés des branches de sapins que des doigts habiles transformèrent en festons, en guirlandes, en couronnes ou en chiffres variés». Tout est prêt pour «orner les croix des rues, les fontaines, les balcons, les fenêtres et les façades». Enfin la veille de ce beau jour arrive. Chacun interrogeait le ciel, car depuis trois semaines c'était une série non interrompue «d'orages terribles accompagnés de tonnerre, d'éclairs et d'incendies. Le dimanche 1er Septembre, à quatre heures du soir, il pleuvait à verse. Mais le lundi la journée fut belle» ; aussi dès l'aurore, à l'extrémité de la plaine, vers la fameuse montée de la Goulotte, à plus de douze cents mètres de l'église du Miracle, à l'abri d'une colline aux pentes gracieuses, on construit une vaste plate-forme, élevée de huit pieds au-dessus de l'immense prairie en pente. C'est là que demain sera célébré le saint sacrifice de la messe. Au milieu de cette estrade on établit l'autel, couronné d'un dais de velours rouge, barré et frangé d'or. Il est couronné d'un gigantesque ostensoir aux rayons d'or habilement sculptés et dont la croix est à quinze mètres de haut. Tout autour dans les airs flottent gracieusement de longues oriflammes rouges, jaunes et blanches que relient des guirlandes de mousse et des faisceaux de drapeaux aux couleurs pontificales.

L'avenue, qui depuis la prairie conduit au magnifique pont des moines et de là à Faverney, «est bordée de hauts peupliers et de marronniers au riche feuillage. Aux angles du pont, des drapeaux frissonnent sous le vent qui fraîchit. A cinq cents mètres de la ville, l'allée de verdure est coupée par un arc de triomphe, couronné d'une croix et portant à son centre le monogramme du Christ. A mesure que l'on s'approche de la cité, les ornements se multiplient, symboliques et variés. Au rond-point coupé par deux routes, vers la barrière du chemin de fer, de longues flammes aux couleurs du Saint-Sacrement se balancent avec grâce». En pénétrant dans les rues, on ne voit partout que de la verdure mêlée aux fleurs. «Les croix des places publiques et les fontaines disparaissent sous les ornements. Les balcons sont ornés de guirlandes, de couronnes, de bandes d'étoffes où se détachent mille inscriptions. Partout on voit l'image du reliquaire de la Sainte-Hostie : il est au sommet des pignons aigus, il est au-dessus des portes, il est le long des maisons où déjà sont pendues les lanternes vénitiennes aux couleurs variées. La fête est générale : les rues même les plus étroites ont leur parure de draps blancs, tendus et piqués de dahlias.

Au-dessus du porche sombre de l'antique temple des bénédictins flottent de légères tentures ; le buis et la mousse sont suspendus comme des lianes ; un dais de verdure s'étend sous la voûte, et on y lit ces mots : Canta te Domino quoniam magnifice fecit [Chantez au Seigneur, car il a fait des choses magnifiques]. Bientôt pénétrant dans l'église, le regard émerveillé suit les profils gracieux des arceaux et des colonnes ; du pavé aux voûtes ce ne sont qu'écussons et devises, flammes et guirlandes fort bien disposés. Le bon curé Clerc, gardien du sacré trésor, grâce à l'aide de ses paroissiens a réellement orné son église avec beaucoup de goût et une certaine profusion d'ornements qu'on ne s'attendait pas à trouver dans un bourg, peuplé de 1300 habitants en grand nombre cultivateurs. Ce n'est plus aujourd'hui l'église de Faverney, c'est l'église de la Franche-Comté. Toutes les villes de la Comté sont, en effet, représentées par leurs armes, et forment le long des piliers une procession qui s'avance sur deux files vers l'écusson de la province et vers celui de la bourgade priviligiée du Miracle. C'est Arbois, Arlay, Baume-lès-Dames, Besançon, Dole, Faucogney, Gray, Héricourt, Lons-le-Saunier, Lure, Luxeuil, Orgelet, Ornans, Poligny, Pontarlier, Quingey, Saint-Amour, Saint-Claude et Vesoul».

L'entrée du chœur au gothique très pur est signalée par de longs replis d'étoffe rouge à franges d'or ; là se dressent les trônes de NN. SS. les évêques. Celui de Mgr de Besançon, plus élevé, porte les armes de Sa Grandeur sous un dais aux couleurs éclatantes. À droite et à gauche de légères oriflammes blanches portent en lettres d'or ces touchantes inscriptions : O Salutaris hostia. — Mirabilia testimonia. — Hoc est corpus meum. — Venite adoremus [O salutaire hostie ! — Admirable témoignage ! — Ceci est mon corps — Venez et adorons tous]. Au-dessus de la chapelle de l'antique Madone miraculeuse se déroule une large banderole portant cette devise : «Le culte de Notre-Dame la Blanche a précédé le culte de la Sainte-Hostie» ; et vis-à-vis, au-dessus de l'entrée de la Sainte-Chapelle se balance une autre banderole où est écrite cette sorte de prophétie : «Le siècle de Marie précède le siècle de l'Eucharistie». La richesse et le nombre des oriflammes ou drapeaux qui entourent cette devise, se font remarquer entre toutes les autres ornementations (10).

«Dès le lundi soir, tous les trains, arrivant dans la ville du grand miracle de Jésus-Eucharistique, y amenaient d'innombrables visiteurs». L'accueille plus bienveillant leur est fait par les habitants : «les familles de Poinctes, Druhot, Camus, Neveu, Bourgeois, Bischof, Maugras, Dufour, et d'autres encore dont le nom nous fuit, offrent la plus cordiale hospitalité aux étrangers, accourus pour célébrer la gloire de Faverney qui n'est pas la plus petite entre les villes de Juda !» Ce sont les termes mêmes dont se servit le R. Père Tesnière en adressant ses remerciements à la population.

«Cependant l'Angelus, pressé de faire lever ce grand jour de fête, éveille à une heure du matin la population, et dès lors les rues de Faverney s'emplissent du bruit des pas des nombreux pélerins arrivés dès la veille. Les prêtres qui veulent jouir des charmes de la prière de nuit, se hâtent de se rendre à l'église où les messes commencent aussitôt pour se dire sans interruption jusqu'à dix heures. Le comité du pélerinage a vraiment bien fait les choses, et tous lui rendent justice. Seize autels sont dressés dans le transept et dans les chapelles ; ils sont entourés par des prêtres qui attendent leur heure, et partout dans le temple du Miracle s'entend le murmure de la prière, partout des chrétiens à genoux, les larmes aux yeux, reçoivent l'Hostie sainte, et ce mouvement de communion durera ainsi jusqu'à onze heures du matin ; et même, à deux heures après-midi, des gens exténués de fatigue demanderont encore à être admis à la Sainte table.

«Mais déjà, au petit jour, apparaissent les pélerins des campagnes voisines. C'est plaisir de les voir arriver à la douzaine sur leurs charriots à planches, rembourrés de six bottes de paille fraîche et chargés de paniers de toute dimension. Dès les deux heures du matin, toutes les routes sont couvertes de véhicules et de voyageurs. En plusieurs endroits, ils partent de l'église paroissiale sous la conduite de leur curé ; un épais brouillard, signe de beau temps, couvre toute la campagne depuis le lever du soleil. Les villages avoisinant Faverney sont encombrés de voitures qui ont déjà deposé leur chargement, et, avant huit heures, la foule est compacte dans les rues et sur la route. Des processions s'organisent à l'entrée de la ville. Voici la paroisse de Menoux qui entre dans l'antique abbatiale, bannière en tête et au chant des cantiques ; puis celle d'Amance, celle de Saint-Loup, puis toutes les paroisses voisines viennent à leur tour pénétrer dans l'église pour y vénérer la Sainte-Hostie de 1608. Un double courant s'établit alors dans les basses nefs : celui de droite monte lentement jusqu'à la chapelle de Notre-Dame la Blanche, et là les pélerins ont le bonheur de baiser l'Hostie miraculeuse, renfermée entre deux glaces reliées par un anneau d'argent. C'est à peine si l'on a le temps de la fixer du regard ; on est entraîné par la foule qui salue au passage et l'autel du chœur et l'autel de la Sainte-Chapelle, puis on est emporté par le flot hors de l'enceinte où entrent sans trêve de nouveaux fidèles. Et chaque paroisse avec sa bannière avait se masser à l'endroit désigné d'avance sur le parcours de la grande procession.

«L'encombrement n'est point seulement dans l'avenue étroite devant le portail, il est dans toutes les rues de Faverney. Presque tous les pélerins portent sur leur poitrine la croix rouge du pélerinage ou le Cœur de Jésus ; à ces insignes est ajoutée l'image de l'ostensoir de 1608 entouré de flammes. Mais voici l'heure de l'arrivée des huit trains spéciaux et de NN. Seigneurs les évêques. La gare est bientôt envahie par plus de deux mille pélerins. Sur le quai, M. le vicomte de Damas, président des pélerinages, est à la tête des principaux membres du comité. Enfin le train de Vesoul est annoncé ; il arrive, les chants se font entendre, puis leur succèdent des acclamations enthousiastes à Mgr Paulinier, à Mgr Resson et à Mgr de Saint-Dié. La foule s'agenouille, s'incline sur leur passage et reçoit leurs bénédictions.

«Enfin, après un retard pour attendre les Dolois et les Bisontins, retard nécessaire, mais que la multitude immense et impatiente des pélerins ne comprend pas, voilà que les cloches des tours de la vieille abbatiale s'ébranlent et la procession s'organise. Ce n'est point l'armée qui ouvre la marche ; on n'aperçoit ni un soldat ni un gendarme. Seul le suisse de la paroisse représente l'autorité. Derrière lui la croix du Sauveur ouvre la marche, puis s'avance d'abord la bannière de Faverney : elle est la première à l'honneur et c'est justice ! Elle est suivie par le groupe du comité de Besançon dont le chef le marquis de Vaulchier, accompagné des barons de Lagny et de Lagarde, porte noblement la bannière jaune, noire et rouge de la Franche-Comté. Celle de la Haute-Saône qui la suit est sans contredit la plus magnifique de toutes : d'un côté, le reliquaire de Faverney brodé en relief, or et couleur, et entouré de flammes ; de l'autre, l'arbre héraldique relevé en bosse avec or et émaux et portant suspendues à ses branches symboliques les armes de Franche-Comté, de Gray, de Vesoul et de Lure ; enfin l'inscription IGNIS ANTE IPSUM PRÆCEDET, inscrite en lettres onciales dans l'ovale en amande, en font un vrai chef-d'œuvre. Elle est fièrement soutenue par le marquis de Saint-Mauris qu'accompagnent le vicomte son fils, et Wattelet magistrat à Gray, le marquis de Raincourt et son fils comte de Raincourt, le marquis de Grammont, le marquis d'Andelarre ancien député, Keller député de Belfort, et les comtes de Vezet, d'Epenoux et de Buchef, tous membres du comité de Vesoul. Puis suit la foule des bannières. Rien de saisissant comme le défilé de ces insignes pacifiques. Ce ne sont plus les maigres files de personnes, plus ou moins bien alignées et marchant l'une derrière l'autre, dont se compose habituellement une procession. Ici, c'est tout un peuple qui se groupe autour des bannières et qui remplit toute la route, marchant sur un large front comme une formidable armée. Et tout ce peuple prie et chante, et ne se lasse pas un instant de prier et de chanter. Il y a par moment comme des reprises d'une ferveur plus ardente : les voix alors se renflent, les poitrines paraissent soulevées par un enthousiasme nouveau ; et la parole que chantent toutes les voix, est toujours la même «parole de l'amour, qu'on redit sans cesse et ne répète jamais».

«C'est le cantique de la Sainte Hostie de Faverney. Composé par M. l'abbé Perrin, premier vicaire à la cathédrale de Besançon, il est devenu l'expression de la fête. Chaque groupe l'entonne à son tour, lorsqu'il prend sa place dans l'immense cortège, et il le poursuit comme s'il était seul. Au bout d'un certain temps, c'était une harmonie d'un effet grandiose et étrange, ceux-ci chantant les strophes, tandis qu'un peu plus loin on répète le refrain. Les voix se mêlent, les strophes semblent se poursuivre dans des tenues sans fin ; et sur ce fond, d'une sonorité immense, domine ce refrain mille fois répété qui électrise les âmes (11) :

O Sainte Hostie
Auprès de toi,
Je viens puiser la vie
Et ranimer ma foi ;
Je viens puiser la vie,
Et ranimer ma foi.

«Et les bannières succèdent aux bannières et les groupes de pélerins chanteurs forment comme les flots vivants et harmonieux d'un grand fleuve qui va se jeter dans la vaste plaine et qu'il couvre en peu de temps. Les pélerins de Langres portent un fanion semblable à celui des zouaves de Patay ; les Bisontins, au nombre de huit cents, entourent les bannières du cercle catholique d'ouvriers, du pensionnat des Dames du Sacré-Cœur, des enfants de Marie, de l'orphelinat des Sœurs de la Sagesse et de la paroisse Saint-Maurice ; les Dolois qui les suivent au nombre de quatre cent quarante-trois, arborent l'étendard rappelant leur sainte Hostie disparue, gloire et palladium de leur fière capitale ! Tous les prêtres et les religieux de la cité doloise sont là, entourant leur vénérable curé qui a quitté son lit de douleur pour se mettre à la tête de ses paroissiens. Les villages comme les villes portent hardiment leur bannière. Luxeuil en a deux : celle du cercle catholique et celle de la paroisse ; Menoux dont l'humble curé Aubry fut l'artisan choisi de Dieu pour la cessation du miracle, touche les villes d'Angers, de Langres, de Dijon, de Belfort et de Nancy ; les villages de Morre, d'Aboncourt, Arbecey, Breuches et Vernois-sur-Mance sont voisins de la bourgade ouvrière de Saint-Loup et de Paray-le-Monial, la ville du Sacré-Cœur. Les oriflammes de Jussey et de Bains-les-Bains frissonnent au vent ; celles de Cugney et de Colombier-lès-Vesoul embellissent d'une splendide couronne l'image de la Vierge Marie, et voisinent avec le fanion du cercle catholique de Port-sur-Saône.

«Mais quelle est cette bannière aux plis soyeux, entourée de ce groupe grave et recueilli qui chante lentement le Parce de la supplication ? C'est la splendide bannière de l'Adoration réparatrice de Lyon, reproduisant d'un côté la sainte Face de Notre Seigneur, et de l'autre côté l'ostensoir placé sur une croix. Elle est portée par les Sœurs auxiliatrices de cette congrégation et les cordons en sont tenus par les dames associées. Derrière elles marchent les autres, consœurs, vêtues de noir et ayant autour du cou le ruban rouge auquel est suspendue la croix de réparation. Devant ce groupe pieux marche l'abbé Brugidou, aumônier de l'Œuvre à Lyon : prêtre zélé et dévoué, il entonne les psaumes, les litanies, les prières de réparation, et les pélerins répondent avec autant de piété et de régularité que s'ils étaient au pied du trône du Saint-Sacrement dans leur splendide chapelle lyonnaise. Tout rapprochée de ce groupe de femmes dont l'attitude attire les respects marqués de la foule, s'avance comme dans une fraternelle union la bannière des paroisses de Lyon. Une quarantaine de dames avec vingt hommes et dix prêtres, ayant à leur tête l'abbé Bridet, le fondateur, au sein populeux de la Guillotière, d'une paroisse dédiée au Saint-Sacrement, représentent les catholiques de la seconde ville de France.

«Puis voici la bannière de l'Œuvre des Pélerinages de Paris, portée par M. le vicomte de Damas, le vaillant pionnier qui depuis sept ans avait lancé les armées de pélerins du Christ ; il est accompagné de MM. Montalvo gentilhomme espagnol, de Van-Lier vice-consul de Hollande à Paris, de Beffort et Daniel Collet qui représentent les Œuvres eucharistiques de Paris ; à côté d'eux M. Louis Cartier, vice-président de la compagnie des Pénitents gris du Saint-Sacrement d'Avignon, est venu apporter le témoignage du miracle eucharistique du 30 Novembre 1433, et les souvenirs du dernier pélerinage au 10 Juillet 1876. La Congrégation des prêtres du Très Saint-Sacrement suivait, représentée à ce triomphe du Roi des rois par quatre religieux ; à leur suite marchait la députation des dames agrégées de la même Société : venues de Paris au nombre de trente au moins, elles s'avançaient respectueusement, abritées sous une riche bannière que porte Mme la duchesse de Régina. Enfin, fermant ce groupe de pélerins eucharistiques, trois juvénistes du Saint-Sacrement, portant sur leur soutane un camail orné d'un ostensoir, venus de Saint-Maurice au diocèse de Versailles avec leur aumonier-curé M. l'abbé Ch Blanchet, déployaient pour la première fois la bannière du Juvénat, qui représente l'ostensoir rayonnant sur un trône de nuées lumineuses avec cette devise : «Adveniat regnum tuum Eucharisticum» ou «Que votre règne eucharistique arrive !»

«Quel spectacle que toutes ces bannières et tous ces étendards aux couleurs vives et variées qui bientôt apparaissent sur la longue avenue du pont des moines, au milieu du feuillage des grands arbres et du chant des cantiques des milliers et des milliers de pélerins. Les prêtres, au nombre de douze cents en surplis, précédent NN. SS. les évêques qui, entourés de leur cortège d'honneur, s'avancent au milieu de la foule des spectateurs recueillis et émerveillés. Au milieu de ce défilé sacerdotal se tient M. le curé de Notre-Dame de Besançon portant le corporal sur lequel est descendu l'ostensoir miraculeux le mardi, 27 Mai 1608. Puis on voit apparaître d'abord avec sa crosse de bois le T. R. Père Malachie, abbé des Trappistes de la Grâce-Dieu, et le T. R. P. abbé des Bénédictins de Delle avec sa crosse en simple métal ; ensuite Mgr de Briey, évêque de Saint-Dié accompagné des membres de son chapitre et Mgr Besson évêque de Nîmes, si aimé des Francs-Comtois ; Mgr Hacquard évêque de Verdun dont la douce piété attire les regards, et Mgr Lachat l'évêque de Bâle, le confesseur de la foi auquel font escorte ses fidèles Suisses. Enfin voici venir l'évêque de Notre-Dame de la Salette, le doux et pieux successeur du cardinal Mathieu, Sa Grandeur Mgr Justin Paulinier, archevêque de Besançon. Autour de lui toute une pléiade de chanoines, curés de la ville archiépiscopale et curés d'arrondissements des deux départements et du territoire de Belfort. Et voilà qu'aux fenêtres des maisons, sur les balcons, sur les murs, sur les grilles, tout le long de l'immense avenue, une foule innombrable de têtes s'inclinent sous les bénédictions répétées des sept prélats.

«Mais quelque longue que soit l'avenue, non moins compacte est la foule rangée sur les côtés, et déjà une multitude attend la procession dans la prairie du reposoir. Enfin vers dix heures et demie les porteurs de bannières gravissent les degrés de l'estrade et se rangent sur les bords de la plate-forme, quand tout à coup un affaissement se produit, le plancher cède, et vingt-cinq à trente personnes disparaissent ! La bannière de Besançon est déchirée, celle de l'Adoration réparatrice de Lyon se tient fièrement au niveau des planches effondrées. Il y eut un instant de panique. Mais bientôt on fut rassuré : personne n'était blessé. Vite on se hâte de réparer le désordre, et quand les évêques arrivent, c'est au milieu d'une immense clameur de joie auquel succède le refrain du cantique, chanté par tout cet océan humain, que les sept pontifes montent à leurs trônes et entourent l'autel.

«Un signal est donné. Mgr Paulinier commence la messe basse. Debout sur l'avant de l'estrade, Mgr Jeannin, d'une voix qui ne laisse point soupçonner de grandes fatigues, annonce le commencement des chants liturgiques. Le Kyrie, ce cri suppliant vers le Seigneur ! est chanté lentement par le chœur puissant des douze cents prêtres, tous épris d'enthousiasme religieux. Puis, c'est le symbole de notre foi, «le Credo des catacombes, le Credo de dix-huit siècles» comme s'écrie le directeur du pélerinage, qui est entonné par les vingt à trente mille pélerins. Coïncidence heureuse ! Au moment où le chœur chante le verset solennel entre tous : Et homo factus est, le prélat célébrant faisait l'élévation de l'Hostie Sainte. C'était un spectacle d'une émouvante grandeur de voir, à travers l'immense plaine, tous les assistants incliner la tête pour adorer le Dieu du miracle de 1608 sous les accidents de l'Incarnation eucharistique. Enfin le Parce et l'Adoremus, toutes prières qui conviennent bien à un pélerinage de réparation et d'expiation, sont répétés par les prêtres et la foule, puis la messe est terminée.

«Alors un mouvement d'agitation profonde se produit dans l'assemblée. Le R. Père Webel des Frères-Prêcheurs de Paris s'avance lentement sur le bord de l'estrade : c'est lui qui va parler. La foule, un peu désappointée d'apercevoir un dominicain au lieu de l'ardent et patriote évêque de Nancy, Mgr Turinaz, annoncé mais empêché par une malencontreuse entorse, se resserre de telle sorte que chacun se trouve pris comme dans un étau, puis le silence se fait. Quel spectacle ! Trente mille auditeurs entourant de leurs anneaux pressés cette chaire improvisée ; sur la plate-forme, NN. SS. les évêques mitre en tête, debout à leur trône et dominant la foule et la vallée ; sur les degrés, MM. les chanoines des diverses églises ; au pied des degrés, douze cents prêtres en surplis blanc formant un éblouissant parterre sous les rayons d'un soleil aussi chaud qu'au mois de Juillet ; puis partout, dans la plaine en un cercle fantastique, derrière l'estrade échelonné sur la colline, ou allongé en bordure sur la route, c'est un océan humain. Et pour horizon, les collines gracieusement arrondies et encore couvertes de verdure, la prairie égayée par les saules au doux feuillage, la ville de Faverney s'étendant le long du miroir des eaux rapides de la Lanterne et élevant au-dessus de ses demeures les deux clochers et les pignons du temple témoin du Miracle : ce spectacle, ce calme, cette assemblée composée de pélerins venus de Lille, de Paris, de Lyon, de la Rochelle, de Saintes, des Vosges, de la Suisse, de Langres, de Nancy, de Belfort et de toute la Franche-Comté, tout devait inspirer un fils de Saint-Dominique. Aussi, ce fut avec les accents d'une chaude éloquence et d'un grand style que l'orateur fit une solide démonstration du dogme de la présence réelle par l'explication du splendide miracle de Faverney : car, cette Hostie qui triomphe des flammes, qui attire l'adoration pendant deux siècles et demi, et qui, aujourd'hui encore en ce temps de sceptique indifférence et de jouissances matérielles, peut réunir de telles multitudes, cette Hostie n'est pas un mythe, elle est vraiment notre Dieu, elle est le Christ-Jésus qui était hier, qui est aujourd'hui et qui sera toujours.

«Après ce discours d'un véritable apôtre, NN. SS. les évêques s'avancent les sept sur le bord de l'estrade ; là, debout, mitre en tête et crosse à la main, tous ensemble ils bénissent solennellement l'immense assemblée qui leur répond en entonnant le refrain : O sainte Hostie, auprès de toi, je viens puiser la vie et ranimer ma foi. Il est midi. Rendez-vous est donné pour deux heures, et la multitude s'écoule lentement, se dispersant un peu partout, dans les champs, le long de la Lanterne, sur les bords des fossés, sous les peupliers, car il est grand temps de prendre quelque réfection. Cependant les bannières, reprenant le chemin de la cité hospitalière, s'en vont traçant un sillon dans la foule, puis clergé et fidèles accompagnent, avec le même respect, les mêmes chants et le même enthousiasme, les prélats jusqu'à l'église abbatiale. Et comme on plaignait l'abbé Jeannin de ses fatigues, il répondit : «On ne se lasse pas d'être heureux !» Vraiment cette matinée du mardi 3 Septembre avait été un rayon de bonheur pour les organisateurs de cette manifestation et pour le zélé et pieux pontife qui l'avait sollicitée pour la gloire de Jésus-Hostie !

«Les journées de pélerinage qui sont des jours de privation, sont aussi des jours de labeur : on n'y a pas une minute à perdre. Aussi, deux heures sonnent à peine que la procession se reforme. L'église qui depuis midi n'avait cessé d'être peuplée, se vide rapidement et c'est de nouveau un triomphant et interminable défilé de bannières, de députations, de pélerins et de prêtres. Comme le matin, le cantique du pélerinage est chanté avec un entrain que rien ne saurait décrire. Les six évêques suivent Mgr Paulinier portant le Très Saint-Sacrement. Ils arrivent dans la prairie déjà inondée d'une immense multitude. Ils montent à l'autel sur l'estrade et tous les fronts se tournent, tous les corps se tendent vers le reposoir où désormais va briller, entourée de lumières, l'Hostie Sacrée, ancienne et nouvelle, qu'on est venu acclamer et prier.

«Avant le chant des Vêpres, l'abbé Jeannin, directeur du pélerinage, annonce une grande nouvelle qui remplit tous les cœurs d'une indicible allégresse : S. S. Léon XIII envoie à tous les pélerins sa paternelle bénédiction que Mgr l'archevêque de Besançon leur donnera en son nom, à la fin de la cérémonie. Puis les chants liturgiques, alternés par le chœur des prêtres et des fidèles, s'élèvent lentement et puissamment à travers l'assemblée recueillie. Mais voilà que, l'office terminé, Mgr Paulinier vient prendre la place qu'occupait le matin le R. Père Webel dominicain. A cette vue, un frémissement de satisfaction circule dans la foule entière, le silence le suit et Sa Grandeur prend la parole. Chose merveilleuse ! la voix du Pontife, bravant les défenses des médecins de Vichy qui lui ont ordonné de se taire, se fait entendre nette, délicate, accentuée, et pénètre jusqu'au delà de l'auditoire. «Il est des heures,» s'écrie Mgr l'archevêque de Besançon, «où le cœur est si plein qu'il faut qu'il s'épanche, et j'éprouve le besoin, avant de faire une amende honorable à Jésus, de dire quelque chose de ma joie. Lorsque nos pères de Faverney et les pieux fidèles virent, en 1608, l'Hostie Sainte sauvée des flammes et l'ostensoir comme soutenu par la main des anges invisibles, ce cri du psalmite s'échappa de leur poitrine : Ceci a été fait par Dieu ! Eh bien ! c'est le cri qui monte maintenant à mes lèvres en présence de cette foule. Comment expliquer la présence de cette multitude de chrétiens ? Qui sont-ils ? D'où viennent-ils ? Ils sont venus des quatre vents de l'espace, ils ont chanté ce matin, sous la voûte d'un ciel d'azur, le Credo catholique. D'où vient cette merveille ; pourquoi vos cœurs battent-ils à l'unisson ? N'est-ce point aussi une marque de la puissance divine ? Tandis que l'impiété veut étendre son voile sur la France, tandis que l'incendie de l'irréligion menace de tout envahir, vous voilà forts, intrépides. O prodige nouveau, c'est Dieu qui vous a fait ! Ah ! laissons ces hommes insensés aspirer à la réalisation de leurs rêves ; chrétiens de l'Eglise, disons-leur que les foules sont plus chrétiennes ; que ces bannières, ces mille voix, vos prières, vos larmes, votre respect, votre enthousiasme, sont un démenti solennel à leurs paroles, et que leurs oracles ne se réaliseront pas. Non, l'Eglise catholique n'est pas à la veille de mourir, c'est un arbre dont la tige est pleine de sève et de floraison, et quand ces hommes ne seront plus, elle couvrira encore leur tombe de ses rameaux verdoyants».

«Et Monseigneur laisse éclater son allégresse, son amour et sa foi dans une éloquente allocution. Ce n'est pas un discours, c'est le triple cri du cœur. C'est d'abord le pontife qui parle, et avec une délicatesse d'expression qui en rehausse la sincérité, il adresse des remerciements à chacun des prélats qui l'entourent et spécialement à Mgr Lachat, évêque de Bâle, chassé de la Suisse par les persécuteurs protestants. A ces mots un applaudissement prolongé s'éleva de toute l'assemblée. C'est ensuite le père et un père heureux qui parle à ses enfants : aussi remerciant toute cette multitude des pèlerins franc-comtois qui consolent leur évêque par cette preuve éclatante de leur foi, il loue le directeur du pèlerinage, les comités divers de Faverney, de Vesoul et de Besançon, et exprime le vœu que l'adoration perpétuelle, déjà si consolante et si suivie dans ce beau diocèse, le devienne encore davantage et soit le monument le plus durable de ce pèlerinage à la Sainte-Hostie du Miracle de 1608. Enfin c'est le citoyen français catholique qui parle pour féliciter les nombreux pèlerins étrangers, accourus de loin à son appel, et il les supplie de crier avec lui pardon à Jésus-Eucharistie pour répondre «aux négations audacieuses et aux blasphèmes hideux» dont il vient d'être l'objet le 30 Mai dernier par la célébration du centenaire de Voltaire, le plus grand ennemi de notre foi. Et il termine par ces mots qui indiquent bien la pensée intime de ce pontife déjà malade, mais dont l'énergie peu commune a soutenu les forces pour mettre à exécution son pèlerinage national de réparation : «La France est ici, elle se prosterne aux pieds de Dieu et lui jure une fidélité inviolable».

«Durant cette improvisation magnifique qui fut un vrai chant de foi, le silence le plus parfait contenait toute cette foule, et la parole de l'archevêque faisait tressaillir les âmes ; plusieurs pleuraient, et ce fut sous le coup de l'universelle émotion que tous tombèrent à genoux pour chanter le Miserere. Il est impossible de décrire ce moment, de peindre ce spectacle : c'était tout un peuple prosterné devant Dieu et lui demandant de pardonner à tous, présents et absents. Au nom de tous, en effet, le premier pasteur du diocèse lit l'amende honorable au Saint-Sacrement, ensuite il proclame l'indulgence plénière accordée par le Souverain Pontife et donne solennellement la bénédiction papale. Enfin la supplication pénitente du Parce, Domine répété trois fois, et le chant du Credo terminent la cérémonie ; puis en toute hâte la foule reprend le chemin de l'église, car Mgr Paulinier vient de faire une agréable surprise à tous, prêtres et fidèles, en annonçant que Mgr Besson, «l'orateur franc-comtois», va parler au retour de la procession, avant le salut de clôture de la fête.

«Mais tandis que les pélerins et les évêques quittent processionniellement le grand reposoir et la prairie, sous l'estrade on surprend un gamin de dix ans, essayant de scier avec une petite scie les poteaux de la plate-forme. «Ce n'est pas moi qui ai scié ce matin», dit cet aimable produit des nouvelles couches sociales : cette parole est un trait de lumière. On regarde de près, et il se trouve que trois piquets d'un décimètre de diamètre ont été sciés pour faire tomber l'assistance. Le gamin avoue qu'on lui a offert de l'argent pour exécuter ce beau plan. On remercie la Providence d'avoir empêché tout accident et bientôt le cortège processionnel débouche devant le portail de l'abbatiale. Mais hélas ! la rue, la place, l'enceinte du temple débordent de fidèles. Il eût fallu vingt églises comme celle de Faverney pour contenir toute cette multitude, et ce fut à grand' peine que l'archevêque de Besançon se fraya, au milieu des témoignages du respect le plus affectueux, un chemin jusqu'à son trône.

«Mgr de Nîmes se fit alors entendre. Avec quelle avidité on recueillit les accents éloquents de cette voix qui, pendant plus de vingt ans, avait réuni autour des chaires de Besançon et notamment de la cathédrale un auditoire toujours compacte et toujours fidèle. Et ce modeste vicaire de Gray, devenu supérieur-fondateur du collège Saint-François-Xavier et chanoine honoraire, venait d'être sacré, moins de trois ans auparavant, comme évêque de Nîmes par Mgr Paulinier récemment intronisé sur le siège archiépiscopal de Besançon. Aussi les assistants furent-ils vite électrisés par sa parole entraînante quand il s'écria : «Vous avez souhaité qu'un évêque sorti de l'Eglise de Besançon terminât par quelques paroles le pélerinage national que nous venons d'accomplir en souvenir du miracle de Faverney qui est la gloire la plus authentique et l'espérance la plus chère de cette illustre Eglise. Quel souvenir et quelle gloire !

«Nous avons appelé ce pélerinage de Faverney un pélerinage national. Il n'y a pas de mot qui le caractérise mieux. C'est en effet une nation toute entière qui célèbre cette fête, c'est la nation comtoise, comme on disait au XVIIe siècle alors qu'elle était maîtresse de ses destinées et qu'elle gardait, jusque sous un maître étranger, ses franchises, son caractère et ses lois. Et maintenant la voilà, à la fin du XIXe siècle, telle encore que la foi catholique l'avait faite. La voilà aujourd'hui toute entière au pied de la Sainte Hostie de Faverney. La voilà devant moi avec ses pasteurs, ses paroisses, ses bannières. Aucune ville n'y manque : nos anciennes capitales et nos places fortes comme nos bourgs et nos campagnes, notre vieille noblesse et notre excellente bourgeoisie, nos laboureurs, nos vignerons, nos ouvriers, toutes les professions et tous les âges, toute la Comté est ici ! La Suisse et la Lorraine y ont envoyé leurs évêques ; Lyon, Paris, Avignon, Langres, Troyes et Dijon y sont représentés par l'élite de leurs comités catholiques ; c'est assez pour que la France le sache, l'admire et le répète. Mais Dieu a laissé la Comté faire presque seule cette grande manifestation de foi catholique, et en voyant les trente mille pélerins qu'elle donne aujourd'hui, nos chers voisins les Suisses et les Alsaciens, comme nos illustres amis venus de l'Espagne, de la Hollande ou d'ailleurs, déclareront partout que la terre excellente de la Franche-Comté, après avoir été choisie entre toutes les autres pour être le théâtre des miséricordes du Seigneur, est demeurée la première à s'en souvenir pour les chanter encore et les célébrer toujours...».

«Et durant une demi-heure la foule fut ainsi suspendue aux lèvres de l'éloquent prélat, acclamant avec lui le miracle de Faverney, son éclat prodigieux et son effet mortel sur l'hérésie protestante en Comté. Pendant ce temps le chœur de l'église s'illuminait et, après le Tantum ergo chanté avec enthousiasme par la foule et un millier de prêtres, la bénédiction du Saint-Sacrement, donné par l'évêque exilé de Bâle, termina la cérémonie. Il était plus de cinq heures quand tout fut terminé. C'était la fin du pèlerinage pour un grand nombre de pieux voyageurs ; aussi une animation, pareille à celle du matin, se fait dans les rues et aux abords de la gare. En quittant cette ville, chacun se redit la gracieuse hospitalité de ses habitants et l'éclat que l'humble curé-doyen et le premier magistrat de la cité ont réussi à donner à cette belle fête. La joie est sur tous les visages. Déjà les cinq cents pèlerins de Dole, ville-sœur de Faverney pour son amour envers la Sainte Hostie, regagnent avec leurs splendides bannières les chars de feu. Besançon et Gray les suivent : on dirait deux peuples qui s'en vont. Mais il était difficile d'aborder la gare, occupée à réexpédier les 15000 pèlerins qu'elle avait reçus le matin. Le retard, inévitable en pareil cas, fut plus grand qu'on ne le pensait : le dernier train montant à Aillevillers ne partit guère avant six heures du soir. Les fidèles de Saint-Loup qui étaient en fort grand nombre, firent entendre leurs chants pieux jusqu'au moment où ils furent embarqués. Du reste, les pèlerins étaient si contents de leur journée que tous les groupes de quelque importance en faisaient autant, et, foulant aux pieds le respect humain, chantaient le cantique du jour dans la traversée des villages et le long des chemins. Bientôt du centre de la ville les voitures enchevêtrées se dégagent peu à peu ; les cent soixante pèlerins de Vauvillers reprennent leur route du matin, escortés par tous les chars de la région des Vosges et des rives du Coney» (12).

Et cependant tous n'étaient pas partis. Les pèlerins adorateurs de Lyon, aussi bien que les membres du Comité des pèlerinages de Paris et des Œuvres catholiques d'Avignon, de Dijon, et un très grand nombre de prêtres s'étaient attardés à l'église abbatiale et voulaient vénérer et contempler de tout près la Sainte Relique de 1608, «cette merveilleuse vision d'une Hostie, aux éléments fragiles et essentiellement combustibles, qui n'avait pas été consumée au milieu des flammes d'un incendie, lequel avait tout dévoré autour d'elle». Ils étaient là très nombreux, agenouillés devant l'Hostie miraculeuse exposée sur un trône de fleurs et de lumières, dans cette antique chapelle du Sacrement de Miracle. Saisis d'une émotion indéfinissable, pénétrés de crainte et de respect, mais brûlants d'amour et de reconnaissance, ils veulent baiser, ils veulent examiner avec soin ce vivant et irrécusable témoignage de la puissance divine. Le zélé curé-doyen, toujours sur la brèche malgré ses durs labeurs et ses longues fatigues, la leur présente avec complaisance. «D'une grandeur double de celle des hosties de communion, elle a 41 millimètres de diamètre ; sa couleur n'est plus blanche, mais d'un gris foncé et légèrement brune ; elle présente à sa partie supérieure une échancrure qui, ouverte il y a environ vingt-cinq ans, s'est agrandie surtout pendant l'hiver de 1871-72, et qui comprend peut-être un dixième de la circonférence totale. Renfermée dans une lunette ou custode en argent, elle est contenue entre deux verres ou cristaux qu'on a eu le tort de ne pas souder pour la mettre à l'abri du contact de l'air. Malgré la détérioration à son sommet, le reste tient encore, bien qu'on dirait que les molécules sont sur le point de se désagréger. Cependant elle n'est pas réduite en poussière et ses diverses parties sont adhérentes les unes aux autres ; et, malgré qu'elle a été présentée aux baisers de la foule pendant deux jours, on n'y a aperçu aucune nouvelle altération. Nonobstant les pressantes sollicitations des Dolois qui, à plusieurs reprises, en ont demandé une parcelle en remplacement de celle qu'ils ont perdue, il est matériellement impossible, pour ne point la briser, de faire droit à leur juste requête. À la vérité, ce n'est plus qu'une relique ; car si la présence réelle du corps de Jésus-Christ ne dure en l'hostie qu'autant que cette hostie garde les qualités extérieures du pain, on n'oserait affirmer que cette matière sombre, altérée, échancrée, est Dieu lui-même. Par ailleurs, se souvenant qu'elle a passé par les flammes sans être consumée ; qu'elle s'est miraculeusement soutenue dans les airs sans appui ; qu'en 1794, lorsqu'elle fut enlevée à l'église, elle était parfaitement saine, quoique déjà grise, et qu'il y a vingt-cinq ans, on y reconnaissait encore tous les caractères d'une hostie ordinaire, on ne peut la regarder avec indifférence. Si le Christ n'y est plus, il n'en n'est pas loin, et il y a laissé le vestige de ses pas, la marque de sa présence ; car cette hostie était, en l'an 1608, son vêtement, j'oserais dire sa prison et sa chaîne, quand il commanda aux flammes de lui servir de couronne et à l'air d'être l'escabeau de sa gloire. Ce fut donc avec des lèvres tremblantes d'émotion que tous les pèlerins distingués vinrent alors la baiser après l'avoir adorée »(13).

Ce pieux devoir accompli, beaucoup de ces pèlerins prêtres et laïques exprimèrent au zélé pasteur le désir qu'une «plaque de marbre avec inscription indiquât l'endroit précis du miracle et qu'un panneau de grille en fer, rétabli selon la forme ancienne, fit comprendre la manière dont les choses se sont passées». Ce vœu très raisonnable devait attendre encore près de trente-cinq ans avant d'être réalisé. Quoiqu'il en soit, la nuit qui suivit cette glorieuse journée devait en continuer l'éclat. La cité de Notre-Dame la Blanche s'illumina tout à coup, et pas une maison qui n'eût ses lumières pour faire éclater sa foi et sa reconnaissance. En même temps l'église se remplissait d'adorateurs ; il y en avait de Lyon, de Besançon, de Paris. Devant l'autel de la Relique Sacrée, des centaines de bougies, déposées par des mains pieuses, en illuminaient les abords et les profondeurs. Groupés autour de leur bannière et de leurs prêtres, les pèlerins de Lyon, prosternés sur le sol de la Sainte-Chapelle, chantèrent leurs prières de réparation sur ce rhythme grave et dolent qui convient si bien à l'âme, unie aux humiliations et aux délaissements du divin Maître de l'Eucharistie. Une voix seule se faisait entendre : elle priait pour les pécheurs, les affligés, les malades ; puis toute l'assemblée récitait les hymnes de l'adoration nocturne. De l'autre côté, en face de l'autel dédié à Notre-Dame la Blanche, on récitait le chapelet, et des voix d'enfants, d'hommes et de femmes répondaient en priant pour la France, pour l'Église, pour N. T. S. P. le Pape, pour NN. SS. les évêques.

Enfin le silence se fait peu à peu vers la blanche Madone miraculeuse, les pèlerins du pays quittent le sanctuaire un à un ; mais à la chapelle du Sacrement de Miracle, les prières et les adorations silencieuses succèdent aux chants de pénitence ; et cela dura ainsi toute la nuit jusqu'à l'heure des messes. Ce fut vraiment une veillée héroïque pour les pèlerins qui ajoutèrent les fatigues de cette adoration nocturne aux fatigues du voyage et aux émotions de la journée du mardi 3 septembre (14).

Après cette éclatante manifestation en l'honneur de l'Hostie de Faverney, l'idée d'un Congrès eucharistique apparaissait à tous comme un complément indispensable. Après avoir prié, agi, montré sa foi en la présence réelle de Jésus au Sacrement adorable, il fallait traduire en quelques résolutions précises les bons desseins, les saintes inspirations, les grâces de ce beau pèlerinage, vraiment national et si plein d'enthousiasme religieux. Aucun autre local ne pouvant contenir les prêtres au nombre de près de deux cents et les nombreux pèlerins qui voulaient y assister, le congrès se tint dans l'église de Faverney. Il s'ouvrit par la sainte messe célébrée pour les Œuvres eucharistiques et ce fut Mgr Paulinier qui voulut lui-même officier. Après le chant du Veni Creator par tous les assistants, le Saint-Sacrement fut retiré de l'église, afin de laisser toute facilité aux discussions ; puis Mgr l'archevêque de Besançon, assisté de l'évêque de Nîmes, ouvrit la séance comme président et donna la parole au R. P. Albert Tesnière, directeur des travaux du Congrès.

Celui-ci explique en quelques mots le but de cette assemblée :

«Il est bon de réunir tous ceux qui ont pour apostolat spécial le ministère des Œuvres eucharistiques, afin qu'ils se connaissent, s'encouragent, et que chacun s'excite, par la connaissance des diverses Œuvres conduites par ses frères, à perfectionner celles qu'il dirige lui-même.

«Le champ d'action des Œuvres eucharistiques est immense, car en laissant de côté ce qui est de précepte, comme la communion pascale et le devoir dominical, on peut les diviser en trois catégories bien distinctes, basées sur le triple état que rêvet l'Eucharistie.

«1° Œuvres qui concernent la présence réelle de Jésus dans son Sacrement : adoration diurne, nocturne, processions, pélerinages, adoration réparatrice, etc. ;

«2° Œuvres qui concernent l'auguste sacrifice de la messe : messes réparatrices pour l'Eglise, pour la France ; Œuvres qui ont pour but de donner aux églises pauvres les ornements, le linge, etc. ;

«3° Œuvres de communion, comme la communion réparatrice, l'Œuvre du saint Viatique, les premières communions, etc.

«Voilà le champ propre des Œuvres eucharistiques, est-il assez vaste et assez beau ? Ces œuvres intéressent tout d'abord Notre Seigneur lui-même, puis l'Eglise, le Sacerdoce et tout le peuple chrétien.

«Hé bien ! se voir, se rencontrer, se concerter, se dire ses craintes et ses espérances, proposer à l'expérience de confrères tout dévoués les nouvelles idées qui naissent pour la gloire du Sacrement adorable, tel est le but de ce congrès. Ce n'est là qu'un commencement, nous le savons bien, il y aura sans doute quelques tâtonnements, mais tous nous avons bonne volonté, grande charité, un zèle ardent pour la sainte Eucharistie, et le plus grand désir de continuer à creuser le sillon que nous ouvrons aujourd'hui : c'est le sillon de l'action eucharistique, c'est l'Œuvre du salut par le Très Saint-Sacrement».

Et dans une magnifique péroraison où il met toute sa foi et tout son cœur, le Révérend Père acclame le Christ présent en l'Eucharistie comme le Roi immortel des siècles, la vie du monde, le principe vital de la piété, et la cause unique et nécessaire de tout bien social. Puis, adressant à travers l'espace au représentant visible du Dieu invisible, au pape Léon XIII, les hommages de vénération des fidèles assemblés autour de la Sainte-Hostie, il remercie l'archevêque de Besançon de sa noble initiative et de sa paternelle bienveillance, en lui promettant que son nom vivra à jamais dans le souvenir des pèlerins de Faverney ; il adresse à M. le curé-doyen qui a si bien préparé son église, à M. Jeannin l'organisateur infatigable du pèlerinage, les félicitations qui sont dans le cœur de tous les assistants.

Ensuite, il proclame les membres du bureau : et d'abord les présidents d'honneur : Mgr l'archevêque de Besançon et Mgr l'évêque de Nîmes ; puis comme membres : MM. Champeaux, représentant des Œuvres eucharistiques de Lille ; Louis Cartier, représentant de la Confrérie séculaire des Pénitents du Saint Sacrement d'Avignon ; de Damas, président du Comité des Pèlerinages ; de Montalvo, représentant des Œuvres eucharistiques d'Espagne ; le R. P. Drevon, S. J., directeur de l'Œuvre de la communion réparatrice à Paray-le-Monial ; M. de Beffort, représentant l'Œuvre de l'adoration réparatrice des PP. Maristes de Paris ; M. l'abbé Jeannin et M. le curé de Faverney.

Les trois secrétaires sont : l'abbé Blanchet, curé de Saint-Maurice au diocèse de Versailles, pasteur de la paroisse où s'abritent le noviciat et le juvénat de la Congregation des Prêtres du T. S. Sacrement ; puis les abbés Morey, curé de Baudoncourt et Rigfly, curé-doyen de Vauvillers, au diocèse de Besançon.

Mgr Paulinier se lève et adresse à l'assistance une chaude allocution où vibraient éloquemment l'amour et la foi envers le Saint-Sacrement. «Il y a deux ans, dit-il, la ville d'Avignon, à raison de ses miracles de l'Hostie sauvée des eaux en 1433 et de l'Hostie laissant couler du sang en 1554, aussi bien que, quelque temps avant, la ville de Douai pour son Hostie de Saint-Amé changée au corps d'un charmant enfant plein de vie en 1254, a célébré avec magnificence une fête eucharistique, mais qui est restée toute particulière à la cité, tandis que Faverney me semble destiné à inaugurer un vaste mouvement eucharistique par toute la France. Ce pélerinage a dépassé de beaucoup toutes les prévisions : il ne sera pas le dernier, nous en avons l'espérance ; nous le verrons se développer, comme partout aujourd'hui renaissent les pélerinages à Marie. Il ne faut pas se faire d'illusion, c'est vers le Saint-Sacrement que tout doit converger dans l'Eglise ;... et c'est un fait incontestable, le culte du Saint-Sacrement est la source de tout vrai dévouement, c'est le remède contre l'égoïsme qui dévore notre société. Là seulement est le salut social ; oui, si le monde doit encore voir de beaux jours, il les verra par le Saint-Sacrement ! Puisse ce congrès être le point de départ d'un nouvel élan de ferveur et d'amour envers Jésus-Hostie, car là, encore une fois, est le salut !» Et Sa Grandeur déclare le congrès ouvert.

Alors M. le vicaire général Boilloz, président de l'Œuvre de l'adoration perpétuelle au diocèse de Besançon, prend le premier la parole et rend compte de la fondation récente qui a été accueillie avec foi, confiance et amour dans les 874 paroisses, tant du pays annexé de Belfort que des montagnes du Doubs et des plaines de la Haute-Saône. Avec les 22 couvents d'hommes, ayant une chapelle et conservant le Saint-Sacrement, ce chiffre s'élève à 896 adorations de jour et de nuit ; quant aux 60 communautés de femmes, elles sont tenues en réserve pour suppléer, dans l'occasion, aux adorations de nuit. Il suit de là qu'il faudra deux ans et cinq mois et quelques jours pour que chaque paroisse, en suivant ordinairement l'ordre alphabétique, ait eu à son tour cette source de grâces désormais intarissable pour le clergé et les fidèles comtois.

Après ce rapport dont la lecture a vivement intéressé l'assemblée, le R. P. Tesnière donna la parole au R. Père Drevon, jésuite et chef de l'Œuvre de la communion réparatrice, fondée une fois par semaine ou au moins une fois par mois, depuis 1854 dans cette chapelle de Paray-le-Monial, où Jésus se plaignit avec tant d'amertume à la bienheureuse Marguerite-Marie des outrages, des blasphèmes et des impiétés, aussi bien que des communions faites sans amour. Honorée de six brefs ou rescrits du pape Pie IX, approuvée par vingt-quatre cardinaux, archevêques ou évêques, tant de France que de Rome, de l'Espagne, du Portugal et du Canada, elle offre déjà 50.000 communions chaque jour au cœur outragé de Jésus-Hostie. Quand le R. P. Drevon eut terminé la lecture de son magnifique rapport, on entendit celui de M. Maurice de Benque, président de l'Adoration nocturne des hommes à Paris. Empêché d'assister au pèlerinage, il avait délégué M. Daniel Collet qui mit un zèle au-dessus de tout éloge à accourir à Faverney. C'était une chose nouvelle pour beaucoup de pèlerins d'entendre un laïque, un homme du monde parler avec l'accent de la foi la plus vive le langage du véritable zèle. Aussi son rapport fut-il interrompu plusieurs fois par des applaudissements. Fondée à Paris le 6 décembre 1848, dans l'église de Notre-Dame des Victoires, par le pianiste juif converti et si connu depuis sous le nom du R. Père Hermann, cette œuvre depuis 1864 avait atteint son entier développement et dès lors l'adoration put se faire sans lacune pendant toutes les nuits : elle députait quinze de ses membres dans chacune des paroisses où se faisait l'Adoration diocésaine. En cette année 1878 plus de 3.000 hommes, ouvriers, apprentis, étudiants, soldats, hommes du monde, hommes de lettres, participent à l'adoration nocturne dans Paris, et déjà quatre-vingt-cinq de ses membres ont reçu la grâce de la vocation sacerdotale ou religieuse. Cette œuvre sera une des gloires religieuses du XIXe siècle.

Que des hommes, pris dans toutes les classes de la société, sacrifient une heure par nuit pour adorer le Dieu de l'Eucharistie, c'est beau et c'est édifiant ; mais il est quelque chose de plus grand encore et de plus difficile peut-être, c'est de voir ces mêmes hommes oublier un instant, pendant le jour, leurs affaires les plus pressantes ou leurs plaisirs les plus chers, pour veiller une heure au pied du tabernacle. Cette œuvre ne semble-t-elle pas impossible ? Hé bien ! cette difficulté est vaincue, ce prodige est un fait accompli par le fonctionnement régulier de l'Adoration diurne par les hommes, ainsi que le constate dans son rapport M. Van-Lier, vice-consul de Hollande à Paris. L'œuvre est fondée récemment dans la chapelle des Pères du Saint-Sacrement. Ils sont déjà soixante-dix qui adorent Jésus-Hostie sans interruption le premier vendredi de chaque mois ; mais ce jour par mois ne leur suffit déjà plus, ils veulent arriver à faire un jour d'adoration par semaine. Du reste, quand Dieu demeure pour nous au tabernacle des jours et des années, les hommes peuvent bien y venir passer pour Lui une heure par mois ; et pour conclure, le rapporteur formule le vœu que l'on travaille énergiquement à établir l'Adoration diurne pour les hommes dans toutes les paroisses qui comptent au moins mille habitants. Mais la foi convaincue de M. Van-Lier avait mis dans sa parole des accents si éloquents que, son enthousiasme se communiquant à l'auditoire, l'assemblée tout entière éclate en applaudissements.

La parole est ensuite donnée à l'abbé Portier, le fondateur et le directeur de l'Œuvre du Saint-Viatique, suggérée par une pieuse fille et instituée le 3 avril 1874 en l'église Saint-Pierre de Saintes au diocèse de la Rochelle, afin de fournir tout ce qui est nécessaire pour qu'il y eût de la décence dans les pauvres ménages où l'on porte le Bon Dieu aux malades. Joignant le fait à la théorie, le zélé directeur montre à l'assemblée ravie sa jolie boîte du Saint-Viatique, au moyen de laquelle un reposoir très honorable peut être offert partout à Jésus-Hostie, ami des mourants.

La séance durait depuis trois heures déjà et grand nombre de pèlerins devaient repartir dans la journée ; on fut donc obligé de résumer le rapport de M. de Beffort sur l'Adoration réparatrice de Paris. Fondée en 1874 dans la chapelle des Pères Maristes, cette œuvre donne chaque mois à Notre-Seigneur 1023 heures d'adoration, et en une année près de 13000, dont 2046 faites par les hommes et 10779 faites par les dames.

Malgré l'heure avancée, l'hospitalité faisait un devoir aux membres du bureau d'entendre en entier le rapport de M. de Montalvo sur le Mouvement eucharistique en Espagne. D'abord l'Adoration diurne, établie à Madrid sous le nom de «Veillée du Saint-Sacrement», dès 1772, par le R. Père Jérôme saint religieux carme déchaussé, y a persévéré jusqu'à nos jours. Pendant toute la durée de l'Exposition, les hommes qui composent la garde d'honneur du Sacrement de l'Autel, veillent avec des cierges à la main : ils sont quatre par heure. Aujourd'hui vient s'y joindre l'Adoration nocturne, et c'est M. de Montalvo qui, témoin à Paris de la ferveur des associés, s'en est fait depuis un an l'apôtre à Madrid, à Séville, à Grenade, à Barcelone, à Malaga, à Saragosse. «Il se fait maintenant, 4000 adorations par mois dans la capitale du royaume catholique, et c'est ainsi», ajoute l'orateur, «que l'Espagne reviendra grande et la France aussi, car les peuples qui croient, espèrent et prient, sont les peuples qui se sauvent !» La parole très sympathique et pleine de conviction du noble rapporteur est accueillie par une double salve d'applaudissements, d'autant plus ardents que quelques-uns des pèlerins savaient qu'il avait puisé dans sa foi et dans son amour pour le Dieu de l'autel, le courage de laisser à Cauterets sa jeune femme malade pour venir à Faverney.

Ravi et de ces belles paroles et des applaudissements qui les avaient accueillies, le directeur des travaux remercie NN. SS. les évêques présents au congrès, loue les divers délégués des œuvres eucharistiques qui, pour unir et combiner ensemble les efforts de leur zèle, étaient venus à Faverney, dans ce sanctuaire où la puissance divine apparut. «Il faut, dit-il, que nous nous groupions pour nous fortifier les uns les autres dans une action commune de zèle et de réparation. Je vous convie donc tous l'année prochaine, au nom de Mgr l'évêque d'Angers, à Ulmes-Saint-Florent, à quelques lieues de Saumur, pays devenu la gloire de l'Anjou par l'apparition de Notre-Seigneur dans l'ostensoir, le samedi de l'octave de la Fête-Dieu, 2 Juin 1668, pendant le salut sur les sept heures du soir. Mais nous ne devons pas quitter cette enceinte sacrée sans y laisser un souvenir du bonheur que nous y avons goûté. Il faut que l'Hostie miraculeuse que nous avons baisée, soit enfermée dans un reliquaire de bronze, d'or et de pierres précieuses. Le chef si dévoué des pélerinages franc-comtois, M. l'abbé Jeannin, va recueillir nos aumônes et nos souscriptions, la catholique province s'associera à un désir qui est le sien, et au premier pélerinage de Faverney, nous baiserons de nouveau cette relique vénérée, déposée dans un chef-d'œuvre de l'art chrétien».

C'est alors que Mgr l'évêque de Nîmes, prié par le R. P. Tesnière de bénir ces premiers congressistes eucharistiques avant leur séparation, se levant de son trône, jeta sur l'assemblée quelques paroles ardentes qui achevèrent d'enflammer les cœurs. Il adresse ses remerciements à Mgr Paulinier pour la gloire rendue à l'Eucharistie par ses chers diocésains ; il loue le zélé directeur des œuvres eucharistiques ; il félicite les rapporteurs venus de si loin pour enseigner à la religieuse Franche-Comté ce que la France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, l'Angleterre, la Belgique font déjà ou veulent faire pour développer le culte de l'Eucharistie ; puis il convie, il invite avec insistance tous les zélés directeurs des Œuvres à se réunir dans trois ans à Nîmes pour un nouveau congrès eucharistique dans sa cathédrale nouvellement réparée, enfin il bénit toute l'assemblée. Alors Jésus-Hostie, à son tour, daigne sortir de son tabernacle pour écouter encore les dernières supplications de ses fervents pèlerins en faveur de l'Église et de la France, et les bénir divinement, et une dernière fois, avant leur départ. Le salut fut très solennel. L'invocation à la Vierge miraculeuse Notre-Dame la Blanche, la prière pour le Souverain Pontife, puis le Tantum ergo chanté par des voix admirables, permirent à trois religieux juvénistes du T. Saint-Sacrement de tendre les premiers la main pour la Sainte-Hostie de Faverney. Leur quête fructueuse s'éleva à 244 francs. Alors les pèlerins de Franche-Comté, de Lyon, de Paris, le front prosterné sur les dalles, firent leurs adieux au lieu du Miracle ; puis, debout, le bâton à la main, ils parcoururent une dernière fois cette belle et douce église de Faverney qui venait de rajeunir sa gloire, bientôt trois fois séculaire, en inaugurant en quelque sorte le règne des congrès eucharistiques internationaux. Oui, c'est à Faverney, c'est en cette date mémorable du 4 septembre 1878, reconnaît lui-même le R. Père Durand de la Congrégation du T. S. Sacrement, que se rapportent l'origine et le prélude de ces grandes assemblées triomphales en l'honneur de la divine Eucharistie. L'éclosion de cette œuvre régénératrice, appelée à procurer dans l'univers tout entier des triomphes inouïs au Dieu caché dans nos autels, venait d'avoir lieu. Encore trois années, et l'humble fille, devenue de plus en plus la mendiante du Saint-Sacrement, verra se tenir à Lille en 1881 la première session des États-Généraux de l'Eucharistie, et commencer l'affirmation de la royauté eucharistique et sociale de Jésus-Christ, Hostie pour le salut du monde (15).

Ainsi le succès du pèlerinage national à la Sainte-Hostie de Faverney avait dépassé toutes les prévisions. Les trente mille pèlerins du 3 septembre avaient proclamé, une fois de plus, la vérité de ce stupéfiant miracle qui violant toutes les lois fondamentales de la nature, avait arrêté les progrès de l'hérésie protestante en notre province comtoise et récompensé la foi de nos pères en 1608. Mais si, depuis cette époque jusqu'à nos jours, l'Hostie miraculeuse, conservée avec le plus grand respect, n'a pas cessé d'être offerte à la vénération des fidèles, jamais, il faut le dire, la pauvreté du reliquaire n'avait été aussi grande que depuis la Révolution en 1795. Tous les pèlerins étrangers en avaient été frappés, et c'est pourquoi les membres éminents du premier congrès euchuristique avaient eu l'heureuse inspiration de procurer par une souscription «un magnifique reliquaire de bronze, d'or et de pierres précieuses». C'était de leur part un témoignage de leur ardente foi, un souvenir du grand pèlerinage, et un mouvement de reconnaissance à l'église de Faverney.

Toutefois, à la faveur de l'empressement qui accueillit la seule annonce de la souscription publique, le zélé et pieux abbe Clerc comprit qu'il pouvait et fallait faire mieux. Quelques jours après le congrès, en effet, grâce au don princier de Mgr l'Archevêque, grâce aux offrandes généreuses de NN. SS. les évêques de Verdun et de Nîmes, de MM. Louis Cartier d'Avignon, du vicomte de Damas et de Beffort à Paris, de MM. Vrau et Champeau à Lille, et d'une vingtaine de personnes tant de Faverney que de Besançon, la question de la reprodution du reliquaire-monstrance en argent de 1608 était solutionnée. L'idée vint donc d'offrir «un Ostensoir artistique et monumental» qui fût un vrai «chef-d'œuvre de l'art chrétien», selon l'heureuse expression du R. Père Tesnière. Aussi dès le 15 septembre suivant, une circulaire du curé-doyen de Faverney, munie de l'approbation archiépiscopale, était envoyée dans toute la France «à tous les amis de l'Eucharistie, à tous les hommes soucieux de la gloire de l'Eglise». Cet appel général aux fervents catholiques suscita «des dons de bijoux et d'objets précieux», ainsi que des dons d'argent, «accompagnés des sentiments les plus touchants». En quelques mois, le nombre des souscripteurs s'éleva à 860 et le total des offrandes monta à 5120 francs. Aussitôt M. Chertier de Paris, l'éminent artiste qui obtint le grand prix à l'Exposition universelle de 1878, fut chargé d'exécuter cette merveille d'orfèvrerie (16).

L'année suivante, au 270e anniversaire du Miracle, le mouvement de piété eucharistique s'accentua d'autant plus qu'un fait tout récent avait surexcité la fibre franc-comtoise, toujours prête à s'émouvoir lorsqu'il s'agit d'une gloire provinciale. Durant les exercices de la retraite ecclésiastique, l'archevêque de Besançon, à peine revenu de Rome où une malencontreuse phlébite l'avait condamné de longs jours à une immobilité complète, avait voulu, «dans une fête magnifique, décerner les insignes de chevalier de Saint-Grégoire-le-Grand à M. Edouard Raille, le célèbre peintre bisontin qui s'est immortalisé par les quatre grandes fresques dont il a couvert les murs de la riche chapelle du collège Saint-François-Xavier». La dernière de ces toiles qui, au témoignage du vicomte de Chiflet, est peut-être la plus remarquable quant aux détails, représente «Les Hosties miraculeuses de Faverney».

«Sur une toile de huit mètres de hauteur, collée au mur et peinte à la cire avec ce mat si beau que donne la fresque», la scène nous reporte à la nuit du dimanche 25 au lundi 26 mai 1608. «Le feu a pris à l'autel de bois sur lequel étaient exposées les saintes espèces ; le tabernacle où était l'ostensoir s'est effondré dans le feu ; le dais de damas rouge qui le couronnait est en partie dévoré par les flammes, ses lambeaux pendent déchiquetés ; mais les hosties sont demeurées suspendues dans le vide... Ici, une heureuse inspiration, dictée par la foi, a été rendue par l'artiste-poëte : deux esprits célestes sont entrevus dans les airs, soutenant de leurs mains presque invisibles l'ostensoir préservé. Vrai rêve, vraie vision ! Apparition diaphane et charmante idée rendue sans matière et sans corps ! Le groupe des moines qui adorent Dieu dans son miracle, forme, par ses robes sombres, noires et brunes, un puissant repoussoir en même temps qu'un heureux contraste avec le flot brillant des dames et des jeunes seigneurs, vêtus de velours et de soie, qui sont accourus au bruit du prodige. Il y a là quelques figures très remarquables, un moine entre les autres, les mains levées, semble nous dire et des yeux et du geste : Mais voyez donc là-haut ces hosties ! Miracle ! Miracle !

«Le feu, la fumée, sont d'une grande vérité et d'une grande beauté ; ces voûtes, ces ogives sorties de la palette de l'artiste, semblent, tant elles sont vraies, faire partie de la chapelle elle-même et ouvrir un vide devant vous... Cette œuvre qui, payée son prix, vaudrait une fortune, l'artiste bisontin, grand et magnifique comme un prince, l'a donnée !... il l'a donnée, non pour de l'or, non pour la gloire, il l'a donnée pour l'amour seul du Dieu dont il était heureux d'orner la demeure», en peignant l'un des plus grands miracles eucharistiques de l'univers (17).

Bien que les détails historiques ne soient pas absolument exacts dans ce chef-d'œuvre, il n'en constitue pas moins un hommage de haute valeur et de foi profonde en l'honneur du prodige de 1608, et cela à une époque où «le cléricalisme» était déclaré «l'ennemi», et où la propagande irréligieuse, commencée sous le second Empire, allait battre son plein, grâce à l'esprit révolutionnaire. Bientôt les décrets du 29 mars 1880 qui expulsaient les religieux de France, furent appliqués dans le diocèse et ébranlèrent, par leurs émotions successives et violentes et profondes, la santé de Mgr Paulinier, de sorte que le 24 avril 1881, le pontife sérieusement atteint dut partir pour Pézenas, sa terre natale. C'est pourquoi au lundi de Pentecôte, 6 juin 1881, la fête annuelle de la Sainte-Hostie de Faverney, qui devait avoir un grand éclat à raison de l'inauguration de l'ostensoir artistique et du nouveau reliquaire-monstrance, offerts par la générosité des catholiques de France, fut teintée d'un double deuil. Car, à l'absence pour maladie de l'illustre pontife du diocèse s'ajouta celle du promoteur de la souscription, ouverte le jour même du congrès du 4 septembre 1878. Le R. P. Tesnière, cet orateur dont la parole ardente avait laissé les meilleurs souvenirs dans les âmes, cet apôtre inlassable des Œuvres Eucharistiques, devait donner le sermon. Mais, devenu supérieur général de la Congrégation du Très Saint-Sacrement, il écrivit à l'abbé Clerc curé-doyen ces quelques mots, pleins de regret : «Je ne pourrai pas aller à Faverney, c'est un véritable sacrifice... J'ai gardé un si bon souvenir de ce cher sanctuaire et du beau pèlerinage de 1878 ! Je vous serai uni de cœur... La persécution nous a fait chercher en Belgique un petit coin où nous puissions exposer et adorer en paix le Très Saint-Sacrement. Nous sommes dans toutes les difficultés d'une première installation. Priez pour les exilés...» (18).

Malgré le désappointement causé par cette double absence et le moins grand éclat donné à la solennité, la foule des pèlerins accourut nombreuse, «comme à l'ordinaire, rendre ses hommages à la Sainte-Hostie. Un fort beau reposoir, représentant une colonnade de style mauresque qui a été fort admirée a reçu le nouvel Ostensoir. Haut de 75 centimètres et fort massif, ce chef-d'œuvre d'orfèverie est en argent premier titre, richement doré et orné de ciselures, d'émaux, de filigranes et de pierres fines».

«La lunule de la gloire, entourée d'une riche galerie finement ciselée, présente un premier plan vertical formant quatre lobes, au centre desquels se trouvent des médaillons en émail rappelant Notre-Dame la Blanche, Saint Bénigne patron de la paroisse, Saint Benoît fondateur des religieux bénédictins, et Sainte Gude la première abbesse de Faverney. Ces quatre médaillons, entourés d'un riche filigrane de feuillages ciselés à jour, se détachent sur un second plan de forme carrée dont les pointes représentent une espèce de croix romane. Des bouquets d'épis fouillés avec soin supportent la gloire et donnent naissance à un fleuron terminal orné d'une grosse améthyste. Seize rayons plats, un peu larges et portant chacun au milieu une rangée de topazes du Brésil, puis quarante-huit petits rayons répartis entre les seize grands, forment la gloire proprement dite. Le haut de cette gloire est surmontée d'une croix, au centre de laquelle apparait étincelante une autre croix en brillants de belle grosseur et produisant un riche effet.

«La partie supérieure du pied est formée de rinceaux, disposés en forme de fleuron et qui paraissent s'épanouir sous le poids de la gloire. Là, au centre du fleuron, un ange à mi-corps, la main levée vers la gloire, indique la Sainte-Hostie. La tige du pied est coupée par des nœuds ; à sa partie supérieure, elle est ornée d'épis remarquablement travaillés ; à sa partie inférieure, ce sont des ceps et des feuilles de vigne. Le nœud du milieu, fortement accentué, est orné de quatre médaillons, ronds et entourés de perles fines et de ciselures. Les quatre médaillons représentent en émail les armes du pape Léon XIII glorieusement règnant, de Fedinand de Rye, du Cardinal Mathieu et de Mgr Paulinier. Le premier de ces médaillons se déplace à volonté, et, au moyen d'une ingénieuse disposition, il cède la place à la Sainte Relique pour les fêtes de la Pentecôte. C'est ce qui fut fait ce jour même pour là première fois.

«Le pied de forme rectangulaire est supporté par quatre dragons dont les corps se développent en rinceaux sur toute la hauteur des angles. Sur la surface principale, un joli bas-relief repoussé représente l'ostensoir de 1608 au milieu des flammes de l'incendie. Sur les trois autres faces, au milieu d'enroulements, repoussés et ciselés, se détachent en émail les armes de Franche-Comté, puis celles de Dole et de l'abbaye de Faverney. Enfin le bas du pied est entouré d'un bandeau de pierres fines artistement rangées.»

Après la procession, «les pèlerins ont été bien heureusement surpris en voyant le nouveau reliquaire, qui, muni de la lunette de la Sainte-Hostie enlevée du nœud de l'Ostensoir, représente l'ancien reliquaire-monstrance du Miracle ; avec joie et satisfaction ils constatèrent qu'on peut vénérer et baiser la Sainte-Relique beaucoup plus facilement qu'autrefois» (19).

Mais si la piété des fidèles, toujours plus nombreux, était facilitée avec un empressement vraiment paternel par «le bon curé Clerc», si les prêtres pèlerins recevaient la plus cordiale hospitalité dans son presbytère, ce n'était pas assez pour le zèle dévorant du curé déjà sexagénaire : il rêvait d'une église complètement restaurée dans son style primitif ; il rêvait d'une flèche romano-gothique à la place de son clocher à dômes. Très richement secondé par une insigne bienfaitrice des pauvres dont le nom est sur toutes les lèvres, mais dont la noble modestie a pris pour devise :

Le bien ne fait pas de bruit,
Le bruit ne fait pas de bien,

il fit dresser des plans magnifiques qu'il me montra souvent avec une complaisance marquée et une allégresse vraiment touchante. Déjà même le chœur abbatial, débarrassé «du soubassement, en pierre rouge de Sampans, et des panneaux en marbre gris-blanc que le salpêtre avait ravagés et que l'humidité avait détachés des murs», vit reparaître ses gracieux arceaux en pierre, grâce à un grattage délicat et dispendieux ; déjà encore de riches boiseries en chêne venaient d'être placées pour ornementer les murs absolument dénudés ; déjà, suivant les traces de la ville de Dole qui, en février 1894, au centenaire de la profanation de la Sainte-Hostie disparue sacrilègement, venait de faire une grandiose cérémonie de réparation, le pieux pasteur préparait lui aussi un pèlerinage splendide pour le centenaire de la profanation de son Hostie sacrée et heureusement conservée ; déjà ensuit, le lundi de la Pentecôte du 14 mai 1894, avec les sept à huit mille pèlerins, accourus de tous côtés à la patriotique cérémonie de Jeanne-d'Arc déclarée Vénérable, «avait réjoui tous les cœurs et «particulièrement celui du vénéré doyen dont la devise était bien : Vive labeur ! le labeur pour les âmes et pour Dieu !», lorsque, sur une dénonciation en préfecture, ordre fut intimé au conseil de fabrique d'avoir à abandonner tout projet de reconstruction du clocher, de cesser toute réparation à l'intérieur de l'église, et même d'avoir à remettre le soubassement enlevé. Ce fut un coup mortel pour le bon abbé Clerc. En vain essaya-t-il, dans un mémoire fortement documenté, d'obtenir le retrait de cette injonction méchante et politique ; toute démarche et tout rapport furent inutiles. On alla même jusqu'à lui signifier sur son lit d'agonie, l'avant-veille de sa mort, la notification des frais nécessités par cette remise en état. Il mourut le 18 novembre de cette même année, emportant dans la tombe et les regrets unanimes de ses paroissiens qui l'affectionnaient comme un père, et l'estime de tous les prêtres du diocèse qui successivement avaient été ses hôtes, et les larmes des pauvres dont il était la providence perpétuelle, et le chagrin de n'avoir pu achever l'embellissement de l'église de Notre-Dame la Blanche (20).

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[Sources bibliographiques et Notes de bas de page.]

1. M. l'abbé Louis Besson, Vie de son Éminence le cardinal Mathieu, archevêque de Besançon, Paris, Bray et Retaux, 1882, II, pp. 336 et 500. — L'abbé Charles-Joseph Clerc, né à Besançon le 12 octobre 1828, vicaire à Vesoul en 1854, curé de Selles près Vauvillers, fut nommé curé-doyen à Faverney au mois d'août 1871.

2. M. l'abbé Louis Besson, Vie de Mgr Paulinier évêque de Grenoble, archevêque de Besançon, Paris, Retaux-Bray, 1885, pp. 177 à 188 ; Mgr Justin Paulinier fut le 107e archevêque de Besançon (1875-1881).

3. Petit Messager du Cœur de Marie, Septembre 1911, p. 215, et Juillet 1913, pp. 199 et 200 ; L'abbé Jean Vaudon, L'Œuvre des Congrès eucharistiques, Paris, Blond, 1914 ; Messager du Cœur de Jésus, Août 1911, p. 480.

4. Petit Messager du Cœur de Marie, Septembre 1911, p. 278 ; Messager du Cœur de Jésus, Août 1911, p. 484 ; M. l'abbé Eugène Couet, Les Miracles historiques du Saint-Sacrement, Paris, Bureau des Œuvres eucharistiques, 1898, pp. 220 à 222.

5. Messager du Cœur de Jésus, Août 1911, p. 485 ; Couet, Miracles historiques, p. 221.

6. Petit Messager du Cœur de Marie, Septembre 1911, p. 281. — Mandement de Mgr Justin Paulinier pour le Carème 1878, p. 323.

7. Mgr Justin Paulinier, Mandement pour le Carême 1878, pp. 323 et 324. — M. le chanoine Jean-Marie Suchet, Adoration perpétuelle du Très Saint-Sacrement à l'usage du diocèse de Besançon, Besançon, Jacquin, 1898, pp. 37 et 38.

8. Besson, Vie de Mgr Paulinier, p. 239. — Suchet, Adoration perpétuelle, pp. 60 et 63.

9. Mgr Justin Paulinier, Lettre-circulaire à son clergé pour annoncer le pèlerinage diocésain à Faverney, le 3 septembre 1878 (5 août 1878). — Semaine religieuse de Besançon, 7 septembre 1878, p. 430. — Le R. P. Tesnière, Revue du Très Saint-Sacrement, n° 55, 15 septembre 1878, pp. 196 et 197.

10. Semaine religieuse de Besançon, 7 septembre 1878, p. 431 et 432 ; Éleuthère Rusticus, Le Pèlerinage de Faverney, 3 septembre 1878, Besançon, Jacquin, 1878, pp. 2, 7 et 15 ; Chronique religieuse de Dijon, 14 septembre 1878, p. 669 ; Tesnière, Revue, n° 55, pp. 196 et 197 ; Journal l'Univers, 9 septembre 1878.

11. Tesnière, Revue, n° 55, pp. 196 à 205 ; Chronique religieuse de Dijon, 14 septembre 1878, pp. 668 à 670 ; Courrier de la Haute-Saône, 7 septembre 1878 ; Rusticus, Le pèlerinage, pp. 5 à 16 ; Semaine religieuse de Besançon, 7 septembre 1878, pp. 442 à 444. — Voir aux notes et pièces justificatives le n° XVI : Cantique de la Sainte-Hostie de Faverney. Mon devoir d'historien est de payer ici un juste tribut à la mémoire du chanoine Suchet dont l'ardente et indéfectible dévotion au Miracle de 1608 nous a valu ce beau chant populaire qui fit merveille au grand pèlerinage de 1878 et le volume intitulé : Adoration perpétuelle du Très-Saint-Sacrement à l'usage du diocèse de Besançon. Ce fut par piété à l'égard du Miracle de Faverney que le chanoine Suchet, curé-archiprêtre de la cathédrale de Saint-Jean, composa ce dernier opuscule en 1878 ; ce fut à sa sollicitation que son premier vicaire, M. l'abbé Ernest Perrin, mon condisciple et ami et devenu curé-archiprêtre de la cathédrale et doyen du chapitre à Besançon, poète heureux et orateur éloquent, se résolut à composer le cantique : O Sainte Hostie sur l'air pieux et populaire de : Pitié, mon Dieu ! Combien de fois ses vicaires ont entendu le docte et érudit chanoine Suchet exprimer son profond regret que la notion du grand miracle comtois ne fut pas plus populaire et qu'elle fut si peu exposée à leur peuple par les curés de Franche-Comté ! Pour lui, la Sainte-Hostie de 1608 était sa dévotion favorite ; assez fréquemment il prêchait ce prodigue indéniable ; et chaque année, lors de la retraite de première communion, il s'astreignait à expliquer lui-même à ses nombreux enfants le fait miraculeux.

12. Tous les détails circonstanciés de ce grand pèlerinage national ont été puisés de : Tesnière, Revue du Très Saint-Sacrement, n° 55, 15 septembre 1878 ; la Semaine religieuse de Besançon, n° 37, 14 septembre 1878 ; la Chronique religieuse de Dijon, 14 Septembre 1878 ; l'Univers, 9 septembre 1878 ; Rusticus, Le pèlerinage ; et Besson, Vie de Mgr Paulinier, pp. 191 et 244 à 248. — Mgr Paulinier arriva à Besançon le mardi 9 novembre 1875 et ce fut le 14 suivant qu'il sacra Mgr Besson dans la cathédrale de Saint-Jean. — Les compagnies de chemins de fer ont distribué 15000 billets de pèlerinage. Un grand nombre de pèlerins, ceux de Paris, de Lyon, d'Avignon, de Lille, de Nancy, de Saint-Dié, de Dijon, de Langres, sont venus par les trains ordinaires, et plus de 10000 ont gagné à pied ou en voiture la ville de Faverney. — Rusticus dans sa plaquette sur le Pèlerinage a calculé que la surface occupée dans la prairie, autour du grand reposoir, par la masse compacte des pèlerins, est de 5.026 mètres carrés en chiffre rond ; et qu'en supposant cinq personnes par mètre comme chiffre moyen, tant la foule était serrée, on arrive à 25130 personnes dans le grand cercle ; avec 1200 derrière l'estrade et 3.000 sur la route, on atteint 29300 personnes présentes à la cérémonie sans compter tous ceux qui restèrent à Faverney même.

13. Description de la Sainte-Hostie donnée par : le R. P. Tesnière, Revue, pp. 193 et 194 ; l'abbé Joseph Morey, Notice historique sur Faverney et son double pèlerinage, Besançon, Jacquin, 1878, p. 140 ; l'Univers, 9 septembre 1878 ; la Chronique religieuse de Dijon, 14 septembre 1878, pp. 672 et 673.

14. Rusticus, Le pèlerinage, p. 14 ; Tesnière, Revue, pp. 208 ; Semaine religieuse de Besançon, 14 septembre 1878, p. 448.

15. Tous ces détails sur le Congrès et ses travaux sont extraits de : Couet, Les Miracles historiques du Saint-Sacrement, pp. 18, 37, 72 et 220 ; Tesnière, Revue, n° 55, pp. 211 à 254, et n° 56, p. 254 ; Compte rendu des travaux du congrès de Faverney en 1908, p. VIII.

16. L'abbé Charles-Joseph Clerc, Circulaire pour la Souscription d'un Ostensoir à la Sainte-Hostie de Faverney, 15 septembre 1878 ; Registre spécial des souscriptions qui est conservé aux archives curiales de la Sainte-Hostie de Faverney ; dans les dons en nature, j'ai lu : «parure de corail montée en or ; diamant et épingle d'or ; trois médailles d'argent, prix de jeunesse ; trois bagues en or avec un briliant». — Tesnière, Revue, n° 56, p. 254, n° 57, p. 292, n° 58, p. 330.

17. Besson, Vie de Mgr Paulinier, p. 260. — Ferdinand Chiflet, Les peintures de la chapelle du collège Saint François-Xavier à Besançon, Besançon, Dodivers, pp. 12 et 13. — Le collège Saint François-Xavier, établi par le cardinal Mathieu dans l'ancien couvent des Cordeliers sur le flanc des remparts de Besançon auprès de Chamars, fut ouvert le 5 novembre 1850 à la suite d'une souscription diocésaine. L'administration en fut confiée à l'abbé Louis Besson de Baume-lès-Dames, alors âgé de 29 ans et déjà connu pour ses talents d'orateur et d'écrivain. La chapelle fut bâtie sur l'emplacement de l'ancienne église des Cordeliers, d'après les plans de l'architecte Ducat. Elle est du style du XIIe siècle. En 1874, le cardinal Mathieu avait cédé à la Congrégation des Eudistes le collège tenu jusqu'alors par des ecclésiastiques franc-comtois ; Auguste Castan, Besançon et ses environs, Besançon, Marion et Morel, 1880, p. 118.

18. Besson, Vie de Mgr Paulinier, pp. 266 et 292 ; Semaine religieuse de Besançon, 12 juin 1881.

19. La description fort bien détaillée de l'Ostensoir a été publiée par l'Union Franc-comtoise et le Courrier de la Haute-Saône, 2 et 3 août 1881. — Semaine religieuse de Besançon, 11 juin 1881. — Article d'André Pidoux dans l'Eucharistie, 10 novembre 1913.

20. L'abbé Charles Clerc, Rapport au préfet de Vesoul en 1890. — Le devis des dépenses prévues, tant pour la construction de la flèche que pour la réfection complète du chœur et de l'église, s'élevait à 100.000 francs. Ce don vraiment princier que seule la piété la plus humble et l'amour de la Sainte-Hostie avaient déterminé, devait s'effectuer en trois annuités. La généreuse bienfaitrice se proposait ainsi de perpétuer les nobles traditions que lui avait léguées le comte Charles-Antoine de Poinctes de Gevigney, seigneur de Gressoux, capitaine des cuirassiers du Roi, chevalier de Saint-Louis, et maire de Faverney en 1814 sous les alliés, et du 21 juillet 1815 au 1er juillet 1822. Ce noble bienfaiteur de l'église du Miracle, né à Faverney le 25 avril 1776, marié en secondes noces avec noble Jeanne-Baptiste-Gabrielle Buson de Champdivers, eut cinq enfants, à savoir : 1° Marie-Sophie-Élie-Anne, dite Éliane, née en 1814 à Faverney et décédée en 1898 ; 2° Louise-Caroline, née à Faverney en 1816, fut mariée à M. J.-Nicolas de Lieffroy et mourut en 1843 ; 3° Françoise-Gabrielle, née en 1818 à Faverney, plus connue dans le monde des lettres sous le nom de Fanny, auteur de l'opuscule sur le Miracle, et morte vers 1886 ; 4° Louis-Charles-Amédée, né à Faverney en 1822, ancien inspecteur des forêts de la Couronne, marié à Versailles le 9 mars 1857 où il est mort le 12 août 1881 ; 5° Marie-Jeanne-Baptiste, dite Jenny, née à Faverney en 1828. (Tous ces détails généalogiques sont extraits de la brochure, composée pour le procès de 1866 en cour d'appel de Besançon et intitulée : Affaire de Poinctes de Gevigney contre Durand, Besançon, Jacquin.) Or, c'est Mme la comtesse de Poinctes de Gevigney, veuve de M. Louis-Charles-Amédée comte de Poinctes de Gevigney, qui, s'étant fixée définitivement dans son castel de Faverney, s'est vouée depuis 25 ans à l'embellissement de la magnifique église du Miracle, sans jamais se lasser ni de faire le bien ni d'entourer de son généreux dévouement tous les curés-doyens de Faverney. — Les boiseries en chêne, placées au chœur, furent enlevées et offertes généreusement à l'église gothique de Noroy-le-Bourg, nouvellement construite et inachevée : elles avaient coûtées 10.000 fr. — Quant au soubassement de Sampans tout détérorié et gisant (je l'ai vu) dans la cour de la cure derrière l'église, on fut obligé de le simuler par une boiserie en chêne verni de même hauteur, alors que, d'après les délibérations du conseil municipal en 1822, et du conseil de fabrique en 1845, et selon les plans approuvés par le préfet Isoard en 1860, il avait été résolu de le faire disparaître et que seul alors le manque de ressources disponibles arrêta son enlèvement. — Qu'il me soit permis, en souvenir de l'affection dévouée dont m'honora l'abbé Clerc pendant cinq ans, d'exprimer le regret que j'ai bien souvent entendu formuler, c'est que le camail de chanoine honoraire n'ait pu recouvrir au moins son cercueil.


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[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]