«DEUX VICTIMES DES SEPTEMBRISEURS [LES BIENHEUREUX FRÈRES LA ROCHEFOUCAULD]» DE
LOUIS AUDIAT ; CHAPITRE 22


CHAPITRE 22. — Robinet préside la procession en l'honneur de Mirabeau. — Léandre-Démophile Deschamps. — Pamphlet contre Robinet. — Les curés insermentés dénoncés. — Exhortation pastorale de Robinet. — Avertissement de Pierre-Louis, le 1er avril 1791. — Ordonnance contre Robinet et contre Pierre-Mathieu Joubert, élu évêque constitutionnel d'Angoulême le 1er avril 1791. — Notes de bas de page, y compris la pièce justificative n° 4 : «Procès-Verbal de dénonciation contre les curés de Dompierre et de Brives».


Robinet ne tarda pas à avoir une occasion d'officier avec toute la pompe sacerdotale. Le 18 avril — Massiou dit le 31 octobre — la Société des Amis de la Constitution, qui avait pris l'initiative du serment à l'évêque élu, fait célébrer une pompe funèbre «pour le repos de l'âme de feu M. de Mirabeau, mort le 2 avril, ce héros citoyen, à qui la France, dit le procès-verbal de l'hôtel de ville, a les plus grandes obligations». Après l'office, «il a été prononcé par M. l'abbé Deschamps une oraison funèbre en mémoire de ce grand homme, qui mérite tous nos regrets, et celui qui l'a prononcé, les plus grands éloges.»

Malgré la phrase gracieuse du scribe municipal, Robinet n'avait pas eu la main heureuse en choisissant Deschamps pour panégyriste de Mirabeau. Pierre Deschamps, vicaire de Chaniers, puis curé constitutionnel de Dompierre à la place de Jean-Jacqes Péronneau, homme fort distingué, qui avait été professeur de philosophie au collège, changea son nom de baptême, et publia une horrible «profession de foi», datée de «Dompierre, le 2 frimaire an II de la république française [22 novembre 1793], une et indivisible». C'est là qu'il s'intitule «Léandre-Démophile Deschamps, citoyen français, électeur de 1792, ci-devant ministre à Dompierre d'une religion qui exigeait l'esprit le plus faible et la plus robuste foi» ; et qu'il y fait cette solennelle déclaration : «Pendant quatorze ans de prêtrise, j'ai entretenu le peuple dans les chimères d'une religion à la vérité de laquelle je n'ai pas cru un seul instant ; j'ai fait nombre de dupes sans l'être, chose peu honnête sans doute, mais légitimée par les lois du gouvernement absurde sous lequel nous gémissions.» Il finissait son apostasie par ces mots : «Je me repose avec confiance sur la justice d'une nation éclairée et magnanime qui ne saurait me livrer à la misère après le sacrifice loyal et volontaire que je lui fais d'une profession qui était mon unique ressource.»

La République fut généreuse ; elle le fit secrétaire général du district, puis du département et professeur à l'école centrale. Mais un beau jour, Deschamps fut déporté à Rochefort et embarqué pour Cayenne, en août 1798. Tant il est vrai que les renégats n'inspirent jamais que dégoût à ceux même qu'ils servent, et que, dans le temps des persécutions, c'est se tromper que de croire échapper à la mort par l'apostasie. Après le Concordat (1801), Deschamps, revenu de la déportation, fut curé à Germignac (1804-1844) ; il y avait une telle réputation, qu'aucun prêtre ne voulait assister à son enterrement (1). Voilà de quels hommes s'entourait et était forcé de s'entourer Robinet ; voilà ceux qui chantaient dans une église les louages de Mirabeau (2).

Après l'office, il y eut procession. L'évêque la suivit à la tête de son clergé. Il se montra une second fois dans une solennité semblable quand, le 30 octobre suivant, la Société des Amis de la Constitution, qui siégeait dans l'église des Récollets, inaugurait le buste du grand orateur par une procession sur la place Blair, changée en place de la Liberté, autour d'une colonne élevée depuis peu par elle en mémoire de la Révolution. Le buste émigra avec la Société dans une salle de l'hôtel de ville ; puis, le 11 décembre 1791, dans la salle des exercices du collège. «Un détachement de la garde nationale, dit un contemporain, est allé le prendre ce matin pour l'y transporter ; on ne l'a pas conduit aujourd'huy comme un saint, mais comme un grande homme. Une chaise à porteurs le suivit immédiatement. On le regarde comme vivant ; il l'est, en effet, dans le cœur de tous ses semblables, qui suivent avec zèle ses plans et sa façon de penser.» La découverte de l'armoire de fer transforma le patriote en traître, et le demi-dieu en scélérat (3). À Paris, Jean-Paul Marat le remplaça au Panthéon ; le peuple jeta ses cendres au vent, et la Société des Amis de la Constitution à Saintes décida que son buste serait brisé solennellement à coups de canne (4).

Robinet avait paru dans le cortège. Et comme un jour il avait écrit : «Nous nous sommes pénétré de la grandeur de nos fonctions», un témoin indigné lui lança cette trop verte apostrophe : «Vous, pénétré de la sainteté de vos fonctions ; vous qu'on a vu, un jour de dimanche, à l'heure des offices de l'église, à la tête de votre clergé, marcher à une procession révoltante, où l'on portoit en triomphe la tête d'un monstre qu'une mort précoce a enlevé au glaive du bourreau, mais que la postérité rangera parmi les plus infâmes scélérats ! cet homme qui se vantoit de décatholiciser la France ; cet homme qui n'a eu de grands talents que pour commettre de grands attentats, voilà la honteuse idole que vous promeniez comme objet de culte, après lui avoir rendu dans le temple les hommages les plus solennels. Vos propres partisans en ont été humiliés pour vous. Le peuple n'a pu contenir son indignation ; et ce seul jour a fait plus de tort à votre épiscopat que tous les écrits des ennemis de la révolution.»

Ces paroles étaient un indice. Jusqu'alors tout allait bien. Les hosannas retentissent ; les félicitations pleuvent ; les cloches font entendre leurs voix joyeuses ; le canon frappe l'air en signe d'allégresse, Robinet, acclamé, fêté, peut se croire véritablement heureux. Tout lui souriait. On le comblait de prévenances et de déférences. Les harangues le proclamaient sage, zélé, patriote ; et pourtant derrière le char du triomphe marchait le héraut, chargé de lui rappeler qu'il était homme. Une note stridente, railleuse, injurieuse, amère, se mêlait au concert des louanges emphatiques et officielles. L'expiation commençait. Nous en avons une preuve dans la dénonciation faite, le 10 et le 14 avril 1791, au directoire du district de Saintes contre Jean Delany, curé de Brives-sur-Charente, qui passa en Espagne l'année suivante, et Jean-Jacques Péronneau, curé de Dompierre, aussi exilé en Espagne. Ils avaient en chaire, dit-on, traité de fou l'évêque élu, et exhorté leurs paroissiens à ne pas reconnaître son autorité. Le district (14 avril) fut d'avis qu'ils devaient «être poursuivis comme perturbateurs du repos public et punis selon la rigueur des lois (5)».

L'usage voulait que le prélat installé publiât un mandement. Robinet suivit l'usage et écrivit son Exhortation pastorale. Je n'ai pu avoir cette pièce, et je n'en suis pas juge. Elle fut vivement attaquée dans une brochure anonyme de 14 pages in-8° : Réflexions aristocratiques sur le mandement d'Isaac-Étienne Robinet, évêque du département de la Charente-Inférieure. L'auteur, que Pierre-Damien Rainguet affirme être un ecclésiastique, relève dans six pages, cinq mensonges, trois calomnies et trois blasphèmes, sans compter ceux qu'il n'a pu noter. «Vous vous vantez de vos suffrages, dit-il, ne semble-t-il pas qu'un vœu général vous ait appelé à régir l'Église de Saintes ? Mais qui ignore qu'il n'y avait point à votre élection plus de la moitié des électeurs et que vous n'avez pas réuni plus de la moitié de leurs suffrages ? C'est donc à 200 environ que se réduisent ces suffrages dont vous êtes si fier. Et si l'on en retranchait les suffrages mendiés, les suffrages des protestants, que vous resterait-il ? Voyez quel rôle vous jouez dans cette ville épiscopale ! et de quel mépris vous y êtes couvert ! Comme tous les honnêtes gens vous fuient ! Comme tous leurs regards vous condamnent ! comme ils semblent vous reprocher votre habit, votre croix et jusqu'à votre existence ! Le grand-prêtre de l'ancienne loi portait sur ses habits pontificaux ces deux mots écrits : URIM et THURIM, lumière et justice. Et vous, on lit sur votre front, sur vos vêtements, sur tous les murs de votre habitation, ces deux terribles mots : Intrusion et schisme

Le polémiste a beau jeu. Robinet avait dit : «La Constitution assure à chacun dans l'étendue de vaste empire le repos et la liberté ; elle ne fait d'un peuple immense qu'une seule famille.» Il se demande «quelle liberté que celle des citoyens français qui sont liés, enchaînés, garrottés ! Quelle famille que celle où l'on entend parler sans cesse de massacres, d'incendies, de dévastations ; où retentissent continuellement des cris de proscription ; où les enfants apprennent avec avidité et répètent avec une allégresse féroce des chansons de sang et de mort qui feraient frémir les peuples les plus sauvages !» (6) Robinet avait ajoute : «Constitution enfin que l'auguste prince, chargé de l'exécution des lois, désirait depuis longtemps.» «Quoi ! s'écrie l'adversaire, le roi désirait qu'on le détrônât pour faire régner les factieux !... Apparemment aussi il a désiré d'être le jouet des bandits, d'être sous le poignard des assassins, d'être arrêté à Varennes [22 juin 1791], d'être rassasié d'opprobres par un peuple qu'il chérissait ! C'est ainsi que les nobles ont désiré qu'on brûlât leurs châteaux ; c'est ainsi que l'infortuné Berthier a désiré qu'on le mît en morceaux ; c'est ainsi que Charles 1er a désiré de périr sur un échafaud.» Cette allusion au roi d'Angleterre était prophétique.

Où la riposte éclate, c'est à propos des émigrés. Maladroitement l'évêque, dans une ordonnance qui devait prêcher l'apaisement et le calme, avait cru devoir employer contre eux le langage des Jacobins, au risque de froisser leurs parents et d'attirer sur ces derniers les vengeances populaires : «Ce ne sont plus, disait-il, les nations étrangères qui sont sur le point de venir nous combattre. Ce sont nos propres frères, qui, retirés chez les puissances voisines, trament leurs barbares complots, préparent des projets de sang et de dévastation, que leur orgueil et leur fanatisme leur ont fait enfanter. Leur cœur est aveuglé par des passions funestes. Ils projettent la destruction de leur patrie, après avoir transporté leurs trésors chez les nations étrangères. O précieuse liberté ! ô inestimable égalité ! voilà donc les ennemis que vous nous avez faits ! Il est vrai que la vertu en trouve comme le crime...» Puis rappelant qu'ils étaient français, qu'ils étaient des frères, il réclamait indulgence et humanité : «Épargnez leur sang, quoiqu'ils soient altérés du vôtre.»

L'auteur des Réflexions trouvait que cette compassion banale corrigeait peu la violence de ces déclamations : «Quoi ! s'écriait-il, tu oses publier que les émigrés sont altérés du sang français ? et c'est dans la chaire de vérité que tu fais publier cette infernale accusation ! Par qui ? par les ministres d'un Dieu de paix. Dans quel moment ? Dans celui où les têtes sont les plus exaltées, les esprits les plus échauffés, où se font entendre de toutes parts des imprécations contre les émigrés et leurs familles, dans un moment où la plus vive effervescence fait craindre les plus horribles explosions. Et c'est contre des malheureux que tu aiguises ainsi le poignard. Ils sont altérés de notre sang ! Sont-ce eux qui ont tué les Bossuet, les Rully, les Voisin, les Belzunce, les d'Anton, les Paschalis, les Mauduit ? Sont-ce eux qui ont fait périr tant d'Avignonais sous la hache des Jourdan et de ses criminels satellites ?... (7)» Puis, il s'efforce de décharger les émigrés des crimes dont les accuse le prélat ou des intentions perverses qu'il leur prête : «Quel rôle honteux vous jouez, lui dit-il ! Un évêque doit implorer, lorsqu'il le peut, la grâce des coupables, et vous, vous provoquez le supplice des innocents. Il doit éteindre les haines, et vous les allumez. Il doit atténuer les fautes, et vous les envenimez, et vous en supposez où il n'y en a pas, et vous lâchez le frein à toutes les passions que votre ministère devrait contenir. Non : vous n'êtes pas évêque ; vous êtes l'organe du mensonge et de la calomnie.»

Certes, ces paroles étaient dures, et l'expression en aurait pu être adoucie. Mais ce pontife, écho des déclamations des clubs, ne se les était-il pas attirées ?

Pas n'est besoin d'entrer dans le détail des réfutations. C'en est assez pour faire apprécier le ton de la polémique, l'inhabileté de Robinet, la répulsion qu'il excitait chez nombre de ceux dont il se disait le prêtre. Peut-être fut-il touché de cette virulente philippique. C'était le troupeau qui lançait l'anathème au pasteur. Robinet n'était point mauvais ; faible et assez pauvre d'intelligence, il se lassait diriger. Ce coup lui dut être sensible. Il en allait recevoir un plus rude, parce qu'il partait de plus haut, et qu'énergique au fond, il était calme dans la forme.

La Rochefoucauld avait vu avec une douleur profonde le schisme déchirer la France. Son diocèse, auquel il était si sincèrement attaché, où il avait essayé d'opérer d'urgentes réformes et dont, grâce à son zèle, la situation s'améliorait chaque jour, tout à coup se trouvait en proie à la révolte et à la persécution. Des prêtres s'y faisaient les dénonciateurs de leurs frères. Les administrateurs trop dociles à la loi exécutaient des décrets iniques. Les fidèles, privés des cérémonies de leur culte, atteints dans leur liberté de conscience, forcés d'avoir recours à des pasteurs sans mandats ou de s'exposer à la proscription, gémissaient autour de leurs temples fermés ou profanés. Les églises étaient en deuil. Et sur le siège épiscopal osait s'asseoir un intrus, évêque par la volonté des électeurs et l'imposition des mains d'un Saurine, d'un Grégoire et d'un Lindet. Pierre-Louis éleva la voix : il le devait. Son Avertissement au clergé séculier et régulier et à tous les fidèles de son diocèse est un monument de fermeté et de grandeur. Il ne se dissimulait pas les périls de sa courageuse résistance. Il avait entendu les clameurs autour de son nom. Et ceux qui avaient proclamé sa déchéance n'étaient point disposés à le laisser tranquille dans l'obscurité. On avait dénoncé à l'accusateur public quelques pages où il approuvait le mandement de Mgr de Boulogne. On ne permettrait pas qu'il protestât contre «l'élu du peuple», et qu'il osât dire aux fidèles : C'est un imposteur qui vient à vous couvert du masque de la vérité. Il le savait et il parla. «Le mystère d'iniquité se consomme, nos très chers frères, écrivit-il. Le schisme s'étend sur toute la France. L'Église gallicane s'écroule de toutes parts, et la religion catholique va disparoître de ce royaume. Par une catastrophe dont les fastes de l'Église n'offrent point d'exemples, tous les évêques de France, si l'on en excepte quatre, et la plus grande partie des curés sont arrachés par violence à leurs diocèses et à leurs paroisses, sans délit de leur part, sans jugement, sans le concours de l'autorité spirituelle, contre tous les principes, toutes les règles, toutes les lois, et la puissance du siècle leur substitue des ministres évidemment intrus et schismatiques. Et il se trouve des prêtres assez aveugles ou assez lâches pour envahir, sans aucun titre légitime, des places qui ne sont point vacantes, et dont la bienséance et l'honneur les repousseraient, quand même la justice et la religion ne leur en feroient pas un crime ! Et il s'est rencontré des évêques prévaricateurs, assez ennemis de l'Église, assez perfides, pour imposer les mains à ces usurpateurs ; n'ayant ni mission, ni juridiction, ni territoire, violant effrontément toutes les règles et bravant les anathèmes de l'Église ! Quel amas monstrueux de crimes, de profanations et de sacrilèges !»

En même temps qu'il imprimait cet Avertissement (8), il n'oubliait pas qu'il avait le pouvoir de lier et de délier. Il publia donc en tête son Ordonnance de M. l'évêque de Saintes, au sujet de l'élection faite, le 28 février 1791, de M. Robinet, curé de Saint-Savinien, diocèse de Saintes, par MM. les électeurs du département de la Charente-Inférieure, en qualité d'évêque du dit département. Il faut lire en entier cette pièce. On avait pu reprocher à La Rochefoucauld un peu de faiblesse, d'hésitation : ce n'était que de la modestie et de la bonté. On le vit bien quand les circonstances l'exigèrent. Ce sont les difficultés qui souvent révèlent les hommes. Le péril, loin de l'abattre, fortifie le cœur magnanime. On éprouve du plaisir vraiment, après le spectacle honteux de tant d'apostasies, après l'ignominie de certains événements que nous avons racontés, en face de la couardise et de l'infamie, à voir enfin se lever un homme de cœur, à entendre une voix brave et convaincue, et à contempler cette scène toujours émouvante de l'honnête homme seul, soutenu par sa conscience, refusant de forfaire à l'honneur et au serment, bravant la foule ameutée qui l'insulte et qu'il domine, et par sa généreuse folie aiguisant la hache du bourreau et la pique des assassins.

«Nous avons été informé par la voix publique que, le lundi 28 février de cette année, monsieur Isaac-Étienne Robinet, curé de Saint-Savinien de notre diocèse, a été nommé par les électeurs du département de la Charente-Inférieure évêque du dit département, et qu'il a accepté. La même voix nous a appris que, méprisant et étouffant les reproches qu'a dû lui faire et que lui a sûrement faits sa conscience, il a été recevoir la consécration qui lui confère la plénitude du sacerdoce ; qu'il est dans l'intention, s'il ne l'a déjà fait, de prendre possession d'une place pour laquelle il n'a pas reçu de mission légitime ; qu'il se persuade, par une entreprise aussi audacieuse et hardie que contraire à la pureté des règles de la discipline ecclésiastique, dont il devrait être le zélé défenseur, nous priver et nous dépouiller de la jurisdiction que nous tenons de Jésus-Christ, et dont il est le divin fondateur, et à laquelle il a conféré tous ses pouvoirs en donnant à ses apôtres la même mission qui lui avait été donnée par son Père : Sicut misit me pater, et ego mitto vos. (Saint Jean, ch. XX, v. 21.)

«Pénétré plus que jamais des obligations que nous impose notre ministère sacré dans une circonstance aussi critique pour la religion et le salut des âmes confiées à nos soins, nous nous sommes prosterné au pied de la croix ; et, après l'avoir arrosée de larmes, après avoir imploré les lumières de l'Esprit-Saint et tous les secours qui nous sont nécessaires, par les vœux les plus ardents et par la puissante intercession de la sainte Vierge, de saint Pierre, prince des apôtres, patron de notre église cathédrale et de saint Eutrope, qui a jeté les premiers fondements de la foi en Saintonge, nous disons et déclarons ce qui suit : «L'élection de Robinet est nulle, nulles la nomination et l'ordination qu'il vient de faire ; défense lui est faite à lui et à Joubert, évêque de la Charente, d'exercer aucune fonction ecclésiastique dans le diocèse de Saintes, aux curés et aux fidèles d'avoir aucun commerce avec les intrus,» etc. (9).

Cette éloquente protestation était une flétrissure publiquement jetée sur le front de Robinet et de Joubert, ainsi que de leurs complices ou de leurs adhérents. Ils purent quelque temps, esclaves de la multitude qu'ils flattaient, se croire les vainqueurs. Mais ce n'est pas impunément qu'on heurte les consciences. Le flot qui les avait apportés les laissa sur le sable. Un jour, ils se trouvèrent échoués sur la plage, seuls, abandonnés, méprisés. Tous ces évêques, sauf deux ou trois scélérats, après quelque mois de faveur populaire, se perdent dans l'oubli. On ignore le plus souvent ce qu'ils sont devenus. Voyez l'histoire de Robinet. Voyez celle de Joubert (10). Ce Pierre-Matthieu Joubert, né à Angoulême le 16 novembre 1748, fils d'un médecin, prêtre en 1769, usurpateur, comme Robinet, des droits de La Rochefoucauld, comme Robinet frappé par lui d'anathème, avait été nommé le premier député du Clergé d'Angoumois aux États généraux, avec douze livres de traitement par jour. Il s'était, le 16 juin 1789, réuni un des premiers aux communes, en déclarant que, «pénétrés de la grandeur de leur caractère, connaissant toute l'étendue des obligations qu'il imposait, ils n'avaient pas eu besoin d'être entraînes par l'exemple de ceux de leurs confrères qui les avaient précédés dans la noble carrière du patriotisme (11).» Le 4 juillet, il prétendit, contre l'évêque d'Angoulême, que le mandat impératif l'autorisait à admettre le vote par tête. Le 3 décembre, il défendit le comité de la ville d'Angoulême et le commandant de la garde nationale, M. de Bellegarde, qui, sur une dénonciation du comité de Blanzac, avaient arrêté l'abbé de La Blinière comme porteur de lettres suspectes, et M. de Béraudin, chef d'escadre, comme auteur d'une de ces lettres adressées à M. le marquis de Saint-Simon, député à l'Assemblée nationale, et il empêcha la destitution du commandant et des membres du comité. Il fut un des premiers qui jurèrent, le 27 décembre 1790. Aussi mérita-t-il d'être, le 8 mars suivant, élu évêque de la Charente. Sacré à Notre-Dame de Paris le 27 mars, il fit son entrée solennelle à Angoulême le 3 avril, et prit possession d'église cathédrale le 10. Après avoir été harangué à la grille du chœur par le maire Périer de Gurat, il officia, et montant en chaire lut une lettre pastorale, qui est une chaleureuse apologie de la Constitution civile du clergé. La veille, il avait préside la Société des Amis de la Constitution et y avait prononcé un discours terminé par un éloge pompeux de Mirabeau, qui venait de mourir. Il avait besoin de prêtres, quoique, à l'exception de celui de Saint-Martial, Louis-Marie Poirier, lazariste, les dix autres curés de la ville épiscopale eussent juré avec leurs vicaires. Dans l'Ordo pour 1793, il inséra donc cette note : «Ceux qui désireront être admis aux ordres sacrés, sont prévenus de se présenter devant l'évêque et son conseil les 30 et 31 octobre pour être examinés sur leurs mœurs, science et capacité.» Un certain nombre se présentèrent qu'il fit prêtres ; tous se marièrent, quelques-uns avant l'ordination. Grandeur éphémère ! La mitre lui pesa bientôt. Il se maria, quitta Angoulême et vint à Paris, où il se fit nommer président de l'administration du département de la Seine. Le 27 octobre 1798 il est fait régisseur de l'octroi municipal de Paris. Le Moniteur du 26 mars 1801 envoie préfet du Nord à Douai «Joubert, ex-constituant, administrateur de l'octroi de Paris», et un arrêté du 1er consul Bonaparte, le 16 mars 1801, de préfet le fit conseiller de préfecture de la Seine. Il resta dans cette position jusqu'à sa mort, à Paris, avril 1815 (12).

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[Notes de bas de page.]

1.  L'évêque d'Orléans, Jean Brumault de Beauregard, Mémoires (Poitiers, Saurin, 1842 ; tome II, p. 254), parle ainsi de Deschamps, dont il fait à tort un chanoine de Saintes : «Il avait été atteint de l'esprit de nouveauté, et avait adopté la Révolution dans les commencements. Par la suite, dans des temps plus modérés, il avait été appelé au département ; il y avait porté beaucoup de sagacité, l'esprit des affaires et une large tolérance. Plus d'une fois, il contraria les sévérités du directoire ; il fut déporté. Son genre était l'histoire, la politique et la littérature. Il parlait haut, mais il savait écouter. C'est une modération fort rare dans un homme savant ; il était sensible et bon ; et sa conversation était agréable.» On voit que l'auteur de ces Mémoires ne connaissait des antécédents de Deschamps que ce que celui-ci avait bien voulu lui en apprendre.

Deschamps, aux élections de l'an V, avait, par un écrit public, conseillé aux électeurs de «repousser avec indignation les persécutions de l'innocence et des talents, les ignorants présomptueux, les aboyeurs maratisés qui crispaient tous les cœurs et noyaient dans les larmes, ces lâches conventionnels, ivres d'un pouvoir qu'ils ne savent point abandonner.» Dénoncé par le directoire comme ayant été «en germinal dernier [mars-avril 1798] un des plus zélés coopérateurs des agents royaux», ayant «manifesté à toutes les époques sa haine contre le gouvernement républicain et ses institutions», et ne cessant «de calomnier chaque jour, avec une audace toujours croissante, la mémorable journée du 18 fructidor [4 septembre 1797]», il fut, par arrêté du 14 mars 1798 du directoire exécutif, condamné à la déportation. Que lui avait servi son apostasie ? Il fut embarqué le 2 août 1798 sur la Vaillante, qui fut prise par les croisières anglaises, et puis conduit en Angleterre ; il fut mis en liberté. Voir Bulletin des Archives historiques de Saintonge et de l'Aunis (IV, 240 et VI, 403).

J'ai copié sur sa tombe cette épitaphe : «Ci-gît Pierre Deschamps, né à Saintes en 1736¹, décédé le 6 septembre 1844 à Germignac, où il était curé depuis 1804. Il fut bien aimé de tous. Son souvenir ne périra point, et son nom sera répété de race en race.» [¹ sic]

2.  C'est de ce même Pierre Deschamps, curé de Dompierre, que parle Mme de Bremond d'Ars, Jean-Marie-Élizabeth de La Taste, dans une lettre datée du château de Dompierre le 6 décembre 1791, écrite à son mari, le comte Pierre de Bremond d'Ars, député à l'Assemblée nationale, qui était récemment parti pour Paris :

«La mauvais pasteur du village parla dimanche à l'église de ton départ ; il dit publiquement à ses paroissiens : «Mes chers frères et amis, je vous avertis que votre ci-devant seigneur est parti d'hier pour les pays étrangers. C'est un homme qui a peur, mais qui portera les armes contre vous, s'il le peut. Il a fait son testament à sa femme avant de partir, j'en suis sûr, et il a déposé cet acte chez un tabellion d'ici près» — et il le nomma. «Tenez-vous sur vos gardes. Je vous avertis également qu'en huit jours tous les prêtres seront forcés de faire le serment, et que s'ils ne le faisaient pas, ils seraient privés de toute espèce de pensions ; et les deux qui sont au delà de la rivière» — et il les nomma encore — «seront chassés impitoyablement».

«Tu sens que ce discours a produit son effet et qu'il a grandement animé quelques esprits qui, depuis ce jour, s'épuisent en menaces. C'est un méchant coquin que ce ministre d'une religion de paix ; mais, patience, sûrement Dieu le punira dès ce monde-ci... On m'a dit également que, le soir de ce beau prône, tout le corps municipal fut passer la veillée avec lui et que là on s'entretint beaucoup de toi... Quoi qu'il en soit, je suis fort tranquille sur la suite de ces propos, et bien que je dispose tout en ce moment pour retourner en ville passer l'hiver, je ne partirai pas une heure plus tôt.»

Elle raconte à son mari que les gens d'Orlac voulaient empêcher l'exploitation du bois de la Garenne que l'on venait de vendre :

«Ils prennent pour prétexte que c'est un argent qui doit passer à l'étranger et que par conséquent, ils ont droit d'empêcher cette exploitation. Voilà toujours les menaces qu'ils font hautement et qui leur sont suggérées par le curé Deschamps.»

3.  [Note de l'éditeur.  Le 20 novembre 1792, le serrurier François Gamain montra à Jean-Marie Roland, ministre de l'Intérieur, le secret de l'armoire de fer que Louis XVI avait fait construire dans un appartement des Tuileries ; l'ouverture de ce coffre-fort dévoila des papiers compromettants, y compris sa correspondance avec Mirabeau, La Fayette et Dumouriez, et ses complots avec le duc de Brunswick contre le gouvernement de l'Assemblée législative.]

4.  Cette colonne, d'une architecture saugrenue, qui fait la joie des étrangers, représente pour les uns 1793 [soit la mort de Louis XV, suivie de l'instauration de la Première République], pour les autres 1815 [soit la chute définitive de Napoléon, suivie du rétablissement de la monarchie sous Louis XVIII], pour ceux-ci 1830 [soit la chute définitive de la maison Bourbon sous Charles X, suivie de l'instauration de la maison Orléans avec Louis Philippe], pour ceux-là 1848 [soit chute définitive de la monarchie, suivie de l'instauration de la Deuxième République sous Napoléon III]. Le fait est qu'elle a porté successivement le drapeau tricolore, le drapeau blanc fleurdelisé, un coq, un faisceau, un tambour, une girouette, un bec de gaz. Les pierres dont elle est composée proviennent des arènes de Saintes. Dans le soubassement, on plaça une bouteille contenant la Déclaration des droits de l'homme.

5.  Voir la pièce justificative ci-dessous :

PROCÈS-VERBAL DE DÉNONCIATION CONTRE LES CURÉS DE DOMPIERRE ET DE BRIVES.

Le directoire ayant pris lecture, primo d'un procès-verbal de la municipalité de Dompierre, en date du 4 de ce mois, qui constate que le sieur Péronneau (5a), curé du dit lieu, s'est permis et se permet journellement de prêcher à tous les habitants que l'assemblée électorale a nommé un fou évêque ; qu'il ne sortira jamais de sa cure ; que la maison est à lui, et que, si ses paroissiens sont attachés à la vraie religion, ils ne souffriront pas que leur curé qui sera toujours leur vrai pasteur s'en aille ; 2° D'une lettre adressée à lui par le collège électoral de Brives en date du 10 de ce mois, par laquelle il expose que le sieur Delany, curé de la dite paroisse (5b), a monté le dit jour en chaire pour chercher à persuader au peuple qu'il ne devait point reconnaître pour évêque celui que l'assembler électorale du département venait de nommer, ni pour curés tous ceux qui avaient prêté serment, parce que ce sont des personnes incapables de célébrer la messe, et d'administrer aucun sacrement sans commettre des sacrilèges, et qu'on ne devait point s'amuser aux décrets de l'Assemblée nationale parce qu'ils étaient rendus par des scélérats.

«Par lesque les pièces les dites municipalités de Brives et de Dompierre prient l'administration de prévenir les inconvénients que pourraient entraîner de tels discours.

«Sur ce, oui le procureur syndic,

«Considérant qu'en effet des propos, aussi irréfléchis et aussi déplacés que ceux que se sont permis les dits sieurs Péronneau et Delany, ne peuvent que jeter des inquiétudes et des défiances dans les esprits faibles et crédules dont le nombre est considérable, surtout dans les campagnes ;

«Considérant qu'ainsi le fanatisme pourrait insensiblement prendre de l'empire et faire revivre les scènes de sang et d'horreur qui désolèrent autrefois l'empire français ;

«Considérant que tout annonce dans ce moment une coalition déterminée entre les ecclésiastiques réfractaires à la loi pour s'opposer à l'achèvement de la Constitution ; et qu'il est instant par conséquent de mettre un frein à la licence effrénée que se permettent ces ennemis de l'ordre et la tranquilité publique ;

«Considérant enfin que l'Assemblée nationale, par l'article 2 de son décret du 4 de ce mois, charge les municipalités et les corps administratifs de dénoncer, et les tribunaux de poursuivre diligemment toutes personnes ecclésiastiques qui se trouveront dans les cas prévus par les articles 6, 7 et 8 du décret rendu le 27 novembre dernier, sanctionné le 26 décembre suivant ;

«Est d'avis que M. le procureur général syndic du département, les dits sieurs Péronneau, curé de Dompierre, et Delany, curé de Brives, soient dénoncés à l'accusateur public du tribunal du district de Saintes, pour être poursuivis comme perturbateurs de l'ordre public et punis suivant la rigueur des lois, conformément à l'article 8 dudit décret.

«DUBOIS. ARDOUIN. ESCHASSERIAUX. DUGUÉ. GODET, secrétaire

5a. Jean-Jacques Péronneau, né à Saintes dans la paroisse Saint-Eutrope, le 29 octobre 1742, de Jean Péronneau, charpentier, et de Jeanne Morisse, fut nommé par l'évêque de Saintes en 1776 chapelain de Saint-Maurice des Frères en l'église de Saint-Pierre d'Oléron, et la même année (6 décembre) prieur de Saint-Catherine de Coux en l'Isle, paroisse d'Arvert, par l'abbé de Masdion, Hilaire-Marie d'Hérisson ; il fut, le 7 octobre 1766, nommé professeur de 4e au collège de Saintes, puis de philosophie. Il devint en 1780, curé de Saint-Blaise à Dompierre-sur-Charente, bénéfice de 2400 livres, à la nomination de l'abbé de Saint-Jean d'Angély, dans l'archiprêtré de Burie, population de 576 habitants. Intrépide défenseur de la foi catholique et écrivain distingué, il lançait chaque jour un pamphlet contre la Révolution. Il fut remplacé par Pierre Deschamps, vicaire de Chaniers, et fut forcé de passer en Espagne, avec son frère cadet, Étienne-Henri Péronneau, né à Saint-Eutrope le 30 avril 1745, tonsuré en 1766, prêtre en 1770, vicaire amovible de Saint-Thomas de Conac, curé de Rioux-Martin depuis 1786 ; voir Archives historiques de Saintes (II, 242). En 1801, il fut nommé curé de Juicq, où il mourut en 1812.

5b. Jean Delany, nommé curé de Brives-sur-Charente en 1785, fut forcé de passer en Espagne et remplacé par Berny, qui avait juré. (Est-ce Jean Berny, né en 1749, curé de Saint-Pallais de Phiolin depuis 1777, jureur et marié, ou son frère Jean-Claude Berny, curé depuis 1761 de Saint-Dizant de Gua depuis 1761 ?) Delany revint en France au commencement de 1797. Un Jean Delany, né à Pons le 6 janvier 1739, fut curé de la Chapelle-des-Pots et de Belluire en 1768 (où il eut pour successeur en 1786 Romain Gaildreau). Est-ce le même ?

6.  On jugera de la situation par quelques extraits des lettres de la comtesse de Bremond d'Ars à son mari. Elle lui mande de Saintes, le 10 avril 1792 :

«... Depuis quelque temps, les méchants travaillent les habitants des campagnes et les ont montés dans le sens de la révolution d'une manière tout à fait affligeante.

«Ils se promènent par bandes et vont dans les maisons mettre à contribution les gens qu'ils soupçonnent d'aristocratie. Ils se font donner à boire et à manger, heureux ceux qui en sont quitter pour un repas. En général, ce sont les volontaires des paroisses nouvellement inscrits qui vont faire le tapage chez les propriétaires honnêtes.

«Une troupe de ces brigands s'était, il y a quinze jours, emparée de la maison de M. de Chastaignier à Burie, et ils y faisaient bombance depuis une huitaine, lorsqu'on fut obligé d'envoyer la force armée d'ici pour les en chasser. Pareille chose se passait, en même temps, à Augeac, chez Mme de Chièvre. On se contente de chasser les coquins et l'on ne punit personne. Voilà le mal et qui fait craindre que pareilles scènes se renouvellent souvent.

«Jusqu'à présent, nous en sommes quitte à meilleur marché. Le jour de l'assemblée du canton à Dompierre, qui était précisément le 25 du mois dernier, une bande d'insolents drôles de Chérac, au nombre de cinquante et quelques, se porta à la maison et força notre homme à leur donner à boire et à manger. Heureusement qu'ils ne sont restés que le temps de prendre leur repas. Ils avaient fait avant, chez le pauvre Pelletreau, une passée aussi désagréable.

«Quant au séquestre des biens, il n'a point encore été mis à exécution. En attendant, le directoire a fait, la semaine dernière, un arrêté qu'il a envoyé à tous les municipaux de villages pour les engager à veiller sur le bien des émigrés et empêcher que rien ne se vende et ne sorte des maisons. Le réquisitoire qui est en tête de cet arrêté est digne de son auteur ; il est bien sot, bien plat, bien coquin et bien incendiaire. Peut-il sortir autre chose de la plume du sieur Garnier ?... Nos écharpés [municipaux] de Dompierre, très dociles à la leçon, ont été sur-le-champ trouver notre régisseur et lui ont enjoint de ne rien envoyer de la maison. On dit même qu'ils se disposaient à faire tout de suite l'inventaire des effets ; mais leur curé leur conseilla d'attendre de nouveaux ordres de leurs chefs... Tu vois, mon cher ami, que la bonne volonté ne manque nulle part pour l'exécution des justes et douces lois de l'Assemblée...

«... Le club [de Saintes] a fait, hier, une superbe chose : il a décidé qu'il serait fait une instruction en forme de catéchisme, pour envoyer ensuite dans toutes les campagnes du département qu'il ne trouve pas encore assez patriotes. En conséquence, ils ont nommé Garnier, Godet et Duchesne pour rédiger ce beau chef-d'œuvre. Ils ont de plus arrêté que, tous les dimanches et fêtes, il y aurait club à trois heures, afin que les paysans des environs puissent y assister. Tu vois encore que ce ne sera pas la faute des patriotes de notre ville, si les imbéciles habitants des hameaux ne deviennent pas aussi méchants qu'eux...

«Nous sommes, malgré cela, assez tranquilles jusqu'à présent, parce que le nombre des honnêtes gens est ici encore assez considérable et en impose aux agitateurs...»

On voit par là que l'invention des manuels et des conférences date de loin et aussi que les honnêtes gens, toujours les plus nombreux, se laissent néanmoins mener par quelques coquins.

7.  [Note de l'éditeur.  Mathieu-Jouve Jourdan, dit Jourdan Coupe-Tête, se rendit tristement célèbre par les excès qu'il commit pendant la Terreur — par exemple, les massacres de sang-froid à Avignon, les 16 et 17 octobre 1791 ; il périt sur l'échafaud, le 28 mai 1794.]

8.  Pierre-Louis de La Rochefoucauld, Avertissement au clergé séculier et régulier et à tous les fidèles de son diocèse (Paris, Crapart, 1791).

«Nous vous avertissons de nouveau, N. T. C. F., «comme ambassadeurs de Jésus-Christ auprès de vous, et nous vous exhortons de la part de Dieu», de faire la plus sérieuse attention au danger terrible où vous place la crise présente par rapport à votre salut. Il est ici question de votre bonheur ou de votre malheur éternel, du salut ou de la perte éternelle de vos enfants dans les générations futures.

«Les nouveaux pasteurs qu'on vous donne ne sont point vos pasteurs ; ils sont de faux pasteurs ; ils n'ont point l'institution de l'Église ; ils n'ont point la mission de Jésus-Christ ; ils sont hors de la succession légitime ; ils sont des mercenaires, des usurpateurs, des intrus, des schismatiques ; ils entrent dans la bergerie selon l'expression de Notre Seigneur pour égorger et pour perdre (Joann., cap. X). Leur ministère est frappé de stérilité ; ils ne peuvent ni remettre les péchés, ni accorder des dispenses, ni bénir les mariages ; tous les actes de juridiction qu'ils pourroient faire seroient nuls. Ils sont en horreur à l'Église, dont ils déchirent le sein, et loin d'attirer sur les peuples les bénédictions du ciel, ils allument sa colère pars leurs sacrilèges, et provoquent ses vengeances.

«En vous adressant cet avis, N. T. C. F., nous remplissons un devoir que la religion nous impose, et que l'amour, dont nous sommes pénétrés pour vous, nous prescrit. Comme votre pasteur, nous devons vous éclairer et vous instruire. Ministres de la religion, c'est à nous qu'il appartient plus spécialement de la défendre, et de combattre pour elle. Mais enfin, N. T. C. F., c'est pour vous, comme pour nous, que nous la défendons. Ce don du ciel, le plus précieux de tous les biens, vous appartient autant qu'à nous ; il est notre bien commun ; et si nous veillons sans relâche sur ce dépôt sacré, dont la garde nous est confiée, c'est pour le transmettre à vos enfants dans toute sa pureté. Si nos avis, N. T. C. F., ne vous font point impression, si nos instructions ne vous persuadent pas, si nos exhortations ne vous touchent point, si tous nos soins, toutes nos peines sont sans succès auprès de vous, vous vous perdrez ; mais votre perte ne nous sera point imputée par le souverain pasteur des âmes. Il connaît, ce juste juge, et la pureté de nos intentions, et toute notre tendresse pour vous, et toute notre sollicitude, et les amertumes dont notre âme est remplie, et la douleur dont notre cœur est déchiré à la vue des dangers auxquels votre salut est exposé et des malheurs qui vous menacent, et l'ardeur des vœux que nous faisions pour que vous les évitez.

«Donné à Paris, où nous sommes retenu comme membre de l'Assemblée nationale, le premier avril mil sept cent quatre vingt onze.

X
Pi.-Lo., évêque de Saintes

9.  «Il est de foi, qu'il y a dans les ministres de l'Église deux pouvoirs très distincts, le pouvoir de l'ordre qui est conféré par l'ordination, et le pouvoir de juridiction qui émane de Jésus-Christ et qui est transmis par l'Église ; qu'il ne suffit pas, pour qu'un évêque ou un prêtre puisse se dire légitimement pasteur, qu'il soit ordonné ; qu'il faut encore qu'il soit investi de la mission de l'Église et que cette mission ne peut être validement conférée que par les supérieurs qui ont le droit et l'autorité. (Conc. Trid., sess. 23, chap. 7.)

«... 1° C'est une vérité qui appartient à la foi, que la puissance séculière n'a ni le droit, ni le pouvoir d'instituer les pasteurs, et par conséquent de les destituer. (Conc. Trid., sess. 23, chap. 4.)

2° «La nomination faite par MM. les électeurs du département de la Charente-Inférieure de M. Isaac-Étienne Robinet, en qualité d'évêque du dit département, est donc radicalement nulle et de nul effet ; et nous sommes toujours le véritable et légitime évêque du diocèse de Saintes, que nous continuerons de gouverner avec l'autorité épiscopale, jusqu'à ce que la mort, ou un jugement canonique, ou notre démission acceptée par l'Église, nous ait séparé du troupeau qui nous a été confié.

4° «En conséquence, et en vertu de la puissance de Jésus-Christ dont nous sommes revêtu et dont il nous demandera un compte rigoureux, lorsque nous comparaîtrons à son tribunal redoutable, nous défendons à M. Isaac-Étienne Robinet, sous les peines prononcées par les SS. canons contre les intrus et les schismatiques, de se dire évêque du département de la Charente-Inférieure, ce qu'il ne pourroit faire sans usurper des droits qui nous appartiennent comme seul légitime évêque de Saintes, de prendre possession de notre siège, déclarant la dite prise de possession, au cas où il l'auroit déjà prise, nulle et de nulle valeur ; de s'immiscer en aucune manière dans le gouvernement de notre diocèse et d'y exercer dorénavant aucune fonction épiscopale ; déclarant que toutes les fonctions qu'il y exerceroit, seroient autant de crimes et de profanations ; que tous les actes de jurisdiction qu'il feroit, seroient radicalement nuls et de nul effet ; que tous les prêtres qui recevroient de lui l'institution seroient pareillement des intrus et de faux pasteurs ; que les absolutions données en vertu de cette institution, seroient nulles, ainsi que tout autre acte de jurisdiction ; comme aussi les absolutions données en vertu de l'approbation de mon dit sieur Robinet, curé de saint Savinien, excepté à l'article de la mort, auquel cas, au défaut de tout autre prêtre, l'Église, toujours attentive au salut de ses enfants, accorde la jurisdiction.

5° «Défendons à tous les curés, à tous les vicaires, à tous les prêtres séculiers ou réguliers et à tous les ministres de la religion, dans toute l'étendue de notre diocèse et sous les mêmes que dans l'article ci-dessus, de reconnaître M. Isaac-Étienne Robinet, curé de Saint-Savinien, pour leur évêque et de lui obéir en cette qualité.

6° «Nous défendons également à tous les fidèles de notre diocèse de reconnoître mon dit sieur Robinet ou tout autre que nous pour leur évêque et de lui obéir en cette qualité, de recevoir de lui les sacrements, d'assister à la messe ou à tout autre office qu'il célébreroit ; leur prescrivons de se comporter à son égard de la manière que l'Église le prescrit à l'égard des intrus et des schismatiques, avec lesquels on ne peut, sans se rendre complice de leur intrusion et de leur schisme, communiquer dans l'exercice de leurs fonctions.

7° «Nous défendons, sous les mêmes peines que celles-ci dessus, art. 4 et 5, à tout prêtre de recevoir de mon dit sieur Robinet la qualité de vicaire de l'évêque du département de la Charente-Inférieure, et d'exercer en cette qualité aucune fonction, déclarant nuls et de nul effet tous actes de jurisdiction qu'il exerceroit.

8° «Attendu que les destitutions de plusieurs curés de notre diocèse, prononcées par la puissance temporelle seule, sous le prétexte de défaut de prestation de serment, sont radicalement nulles, ainsi que les nominations d'autres prêtres pour remplacer les dits curés, nous défendons, sous les peines portées par les SS. canons contre les intrus et les schismatiques, à tous prêtres de prendre la qualité de curés des dites paroisses en vertu des dites nominations, et de s'immiscer dans le gouvernement spirituel des dits paroisses ; déclarant que tous les actes de jurisdiction qu'ils feroient seroient nuls, et que toutes les fonctions du saint ministère qu'ils rempliroient seroient autant de profanations et de sacrilèges. Défendons à tous les fidèles des dites paroisses de les reconnoître pour leurs pasteurs, de recevoir d'eux les sacrements, et leur prescrivons de se comporter avec eux ainsi que l'église le prescrit à l'égard des intrus et des schismatiques, avec lesquels on ne peut, sans se rendre complice de leur intrusion et de leur schisme, communiquer dans l'exercice de leurs fonctions, soit par l'assistance à la messe et à l'office divin, ou de toute autre manière que ce soit.

9° «Nous faisons à M. Joubert, curé de Saint-Martin d'Angoulême, nommé évêque du département de la Charente par MM. les électeurs du dit département, les mêmes défenses, et sous les mêmes peines, et avec les mêmes déclarations que celles que nous faisons à M. Isaac-Étienne Robinet par l'article 4 de la présente ordonnance ; et ce respectivement à la partie du dit département de la Charente qui est de notre diocèse ; comme aussi nous faisons aux curés, vicaires, prêtres et autres ministres de la religion et aux fidèles de notre diocèse, compris dans le dit département de la Charente, les mêmes défenses, sous les mêmes peines et avec les mêmes déclarations à l'égard de mon dit sieur Joubert, curé de Saint-Martin d'Angoulême, que celles portées par les articles 5, 6 et 7 de notre présente ordonnance, à l'égard de mon dit sieur Isaac-Étienne Robinet, curé de Saint-Savinien.

«Nous faisons défense, sous les mêmes peines que ci-dessus, à toutes personnes d'exercer, dans quelque portion de notre diocèse que ce soit, aucune fonction épiscopale, sous prétexte de nomination ou élection qui auroit été faite d'elles en qualité d'évêques de quelques départements qui renfermeroient quelque partie de notre diocèse, comme aussi nous faisons les défenses et les déclarations portées aux articles 5 et 6 de notre présente ordonnance, à tous les curés, vicaires, prêtres et autres ministres de la religion et à tous les fidèles de notre diocèse qui seroient compris dans les dits départements à l'égard des dites personnes.

«Et attendu que les circonstances où nous nous trouvons ne nous permettent pas d'employer, pour la signification et la publication de la présente ordonnance, les formalités ordinaires, nous déclarons que la conscience de chacun de ceux qu'elle concerne, sera liée pour son exécution du moment que son authenticité leur sera suffisamment connue.

«Donné à Paris, le premier avril 1791.

«X Pi.-Lo., évêque de Saintes

10. L'évêque d'Angoulême, Albignac de Castelnau, docteur de Sorbonne, vicaire général de Bayeux, un des aumôniers de Louis XVI, qui avait refusé le serment et s'était retiré en 1791 au Triadou, à trois heures de Montpellier, d'où il passa en Angleterre, où il mourut en janvier 1815 après avoir refusé de reconnaître le Concordat (1801), anathématisa aussi de son côté Pierre-Mathieu Joubert ; voir note 2 au chapitre 13.

11. Moniteur (I. p. 79).

12. Pierre-Matthieu Joubert eut pour successeur en 1802 Dominique Lacombe : né à Montréjeau (Haute-Garonne) le 25 juillet 1749, ancien Doctrinaire, il fut principal du collège de Guienne à Bordeaux en 1788 et curé constitutionnel de Saint-Paul de Bordeaux en 1791 ; élu député de la Gironde à l'Assemblée législative le 2 septembre 1791, il démissiona le 7 avril 1792 et retourna à Bordeaux ; élu évêque métropolitain de Bordeaux le 4 décembre 1797, sacré en l'église Notre-Dame de Paris le 14 février 1798, il démissiona à la demande du gouvernement consulaire ; grâce de l'intervention de l'abbé Bernier, négociateur du Concordat (1801), il reçut la bulle papale de Pie VII, qui le nomme évêque d'Angoulême le 18 avril 1802 — sur ce personnage, voir l'Ami de la religion (Paris, Le Clerc, 1823 ; tome XXXV, p. 337). C'est lui qui voyant Pie VII enlevé de Rome (1809), emmené prisonnier en France, publiait un mandement où il déclarait que «la souveraineté temporelle ôtée et soustraite des attributions de N. S. P. le pape, c'est là le doigt de Dieu,» etc.



«Deux victimes des Septembriseurs» :
Table des Chapitres ; Lexique ; Chapitre 23

[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]