«FAVERNEY, SON ABBAYE ET LE MIRACLE DES SAINTES-HOSTIES» ; 1er PARTIE - CH. 2


PREMIÈRE PARTIE

Origine historique de Faverney et de son abbaye


CHAPITRE SECOND

Les religieux bénédictins

Le 18 novembre 1132 la ville de Faverney était dans l'attente d'un grand évènement ; ce jour-là les nouveaux propriétaires de l'abbaye devaient en prendre possession. Soudain le bruit des cloches se fait entendre, la population se presse sur le passage des moines. Les quatorze religieux bénédictins s'avancent pieusement, précédés de la croix et suivis de l'abbé Bernard, premier abbé et nouveau seigneur de la terre de sainte Gude. Vêtus d'une longue robe noire, les reins ceints d'une lanière de cuir noirci, la tête rasée, les bras croisés sous le scapulaire noir, les yeux baissés, ils marchent au chant des psaumes sacrés et pénètrent dans le sanctuaire de l'abbaye en ruine. La foule les y a suivis ; et tous, religieux et citoyens, entonnent un magnifique Te Deum d'action de grâces. Désormais le service divin avec les gracieuses cantilènes grégoriennes va reprendre tout son éclat aux pieds de l'antique madone Notre-Dame la Blanche ; le peuple pieux accourra avec plus d'empressement encore célébrer la fête patronale de l'Assomption ; et le cloître désert va se repeupler sous les pas des disciples de saint Benoît et de saint Robert d'Aurillac (1).

En vertu de la charte d'union, le premier supérieur du nouveau monastère d'hommes de Faverney avait été choisi par le Révérend Père abbé de la Chaise-Dieu. Avait-il eu la main heureuse ? Était-ce bien l'homme de Dieu nécessaire pour relever l'antique abbaye déchue et lui rendre l'éclat qu'elle avait perdu ? L'avenir nous l'apprendra bientôt. Sous la vive impulsion de l'abbé Bernard, les ruines matérielles disparurent rapidement, et les mains actives et industrieuses de ses quatorze moines eurent bien vite transformé les bâtiments et les cloîtres. Adonnés à l'étude et à la prière, les bénédictins devaient faire fleurir à Faverney les lettres, les sciences et surtout les vertus. Malheureusement un incident de peu d'importance vint dès le début orienter différemment la direction du premier abbé Bernard.

D'une part, l'abbesse Odiarde déposée des sanctimoniales donna de préférence une partie de ses biens à la récente abbaye des cisterciens de Clairefontaine (2) ; d'autre part, les chanoines de Saint-Jean de Besançon avaient affirmé leur spéciale protection en menaçant d'excommunication tout malveillant qui essaierait de troubler dans la paisible possession de ses biens le monastère récemment fondé des bernardins de Cherlieu (3). L'abbé de Faverney en conçut-il des sentiments de jalousie ? Je l'ignore ; mais il est certain qu'il traita de telle manière les deux abbayes ses voisines que leurs abbés respectifs, honorés tous deux comme saints par l'Église, le bienheureux Guy supérieur de Cherlieu, et le bienheureux Lambert supérieur de Clairefontaine, durent se plaindre de ses persécutions et de ses tracasseries. C'est alors qu'intervint dans le débat la puissante voix de saint Bernard.

Quelques années auparavant, le fondateur de Clairvaux s'était montré bon et bienveillant dans sa lettre à Odiarde pour soutenir les efforts de réforme tentés par la dernière abbesse ; maintenant c'est l'énergique expression de sa douleur paternelle qu'il va porter jusqu'à la cour de Rome où siégeait le pape Innocent II. Bernard abbé de Faverney était soutenu très violemment par Pierre de Traves, doyen du chapitre rival de Saint-Étienne de Besançon (4). Quand les vexations de Bernard envers les moines cisterciens devinrent si multipliées et si graves que le saint abbé Guy se résolut dans sa détresse d'entreprendre le voyage périlleux de Rome, saint Bernard écrivit d'abord au doyen de Saint-Étienne une lettre où, mêlant le conseil au reproche, il l'accuse de n'avoir été ni juste ni loyal. «Je vous en prie, ajoute-t-il, ne vous faites pas le persécuteur des serviteurs de Dieu... n'arrachez pas vous-même de mon esprit la bonne opinion que j'avais conçue de vous... En qualité d'ami je vous assure qu'il est de votre intérêt et de celui de votre Église que le pape ne soit pas informé de tout ce qui s'est passé dans cette affaire» (5). Et comme l'abbé de Faverney n'en continuait pas moins ses injustices et ses violences, alors le protecteur de Cherlieu s'adressa directement au Souverain Pontife :

«La procédure que notre très-cher frère Guy, abbé de Cherlieu, vous a remise entre les mains, vous convaincra, je le pense, non-seulement de son innocence et de l'injustice de sa partie, mais encore de l'incurie de son juge... je prie donc Votre Sainteté de faire un accueil bienveillant à cet humble et pauvre religieux qui s'expose à des peines et à des fatigues si fort au-dessus de ses forces pour s'adresser directement à vous.

Déjà une ou deux fois j'ai eu l'occasion de vous faire le portrait de celui qui l'attaque : c'est un prévaricateur de sa propre règle et un dissipateur des biens de son monastère ; j'ajouterai même aujourd'hui, les larmes aux yeux, que c'est un ennemi de la croix de Jésus-Christ, un violent oppresseur des gens de bien qui vivent dans son voisinage, un persécuteur des pauvres, un homme qui, après avoir dévoré son propre bien, se jette sur celui de ses voisins qu'il tourmente comme un véritable tyran. Sous l'habit religieux il fait le métier de voleur, foule aux pieds toute règle monastique, et se met aussi peu en peine des saints canons que des lois. Il s'est fait un front qui ne sait plus rougir, une âme que la crainte laisse sans émotion, que les motifs de religion ne touchent plus, et qui ne se montre accessible qu'aux mouvements de la colère, à l'audace du mal et à l'attrait de l'injustice. Je me demande comment il se fait que l'abbé de la Chaise-Dieu (6) qui est un si saint prélat, ignore ou tolère de si grands dérèglements dans un de ses religieux... Après avoir inutilement tenté d'autres voies et cherché partout un protecteur sans pouvoir en trouver, nous avons enfin levé les yeux vers vous qui êtes l'asile de tous les opprimés, et nous sommes venus nous jeter à vos pieds dans l'espérance que vous nous délivrerez de ses persécutions...

Il y a aussi une maison de notre ordre dans le voisinage de Cherlieu qui souffre également beaucoup des vexations d'hommes impies et se trouve dépourvue de tout défenseur, j'ose employer mes larmes et mes prières pour émouvoir vos entrailles paternelles en sa faveur. L'abbé qui est chargé de vous remettre cette lettre vous dira de vive voix et sans déguisement quels sont les auteurs de ces violences et le prétexte sur lequel ils se fondent pour les exercer. Que le Dieu tout puissant nous conserve longtemps encore un Pontife tel que vous, qui nous protège tous, nous autres pauvres religieux, dans la vie pénitente que nous avons embrassée, «et nous délivre des mains de nos ennemis, afin que nous servions Dieu, libres de toute crainte (Luc, I, 74).»

Le pape Innocent II remit la cause de Cherlieu et de Clairefontaine à l'arbitrage de Jean, ancien religieux de Cîteaux et ancien abbé de Bonnevaux, qui avait quitté le cloître pour monter sur le siège épiscopal de Valence. Celui-ci s'adjoignit l'évêque de Grenoble et tous deux se prononcèrent, l'an 1141, en faveur des abbayes cisterciennes. Mais la décision ayant été attaquée en cour de Rome par l'abbé de Faverney et son protecteur Pierre de Traves, saint Bernard à nouveau écrivit au Souverain Pontife la lettre suivante, si pleine d'éloquence et si foudroyante pour l'abbé Bernard.

«Jusqu'à quand l'impie s'enflera-t-il d'orgueil et le pauvre sera-t-il consumé de chagrin ? Jusqu'à quand tant d'impudence triomphera-t-elle de l'innocence sous le pontificat d'Innocent ? Sans doute ce sont nos péchés qui sont cause que Votre Sainteté tarde tant à reconnaître l'imposture et à écouter les plaintes que nous poussons vers Elle en cette occasion, car je ne sache pas que jamais jusqu'à présent Elle ait tant tardé à comprendre une affaire et à s'en émouvoir. Je vous conjure, au nom de Celui qui vous a choisi pour être le refuge des opprimés, de mettre enfin un terme à la violence du méchant et à l'affliction du malheureux, car il n'est plus possible de douter ni de l'une ni de l'autre ; elles ont été toutes les deux trop bien mises en lumière. Toute cette affaire a été plaidée et jugée par votre ordre ; il ne reste donc plus à Votre Sainteté qu'à confirmer la sentence qui a été prononcée. Qu'a-t-elle besoin maintenant de prêter l'oreille aux paroles d'un homme de mauvaise foi, quand elle a contre lui la sentence de deux prélats tels que les évêques de Grenoble et de Valence ? Je me jette de nouveau à vos pieds, et vous prie, avec toutes les instances possibles, de ne pas permettre qu'un homme aussi injuste que violent consomme la ruine d'une maison religieuse. Comment, en effet, pourrait-il épargner notre monastère quand il a presque entièrement perdu le sien ? J'ajouterai, avec la hardiesse que vous me connaissez, que si Votre Sainteté me taisait l'honneur de suivre mon avis, elle ferait rentrer dans son couvent cet homme qui abuse de ses bornés, et ordonnerait à l'abbé de la Chaise-Dieu de nommer au monastère qu'il occupe si indignement, un abbé vertueux qui y fît observer la discipline régulière. Cette action ne serait pas moins digne du successeur des Apôtres qu'agréable à Dieu, et elle tournerait à l'honneur de l'abbé et des religieux de la Chaise-Dieu, en même temps que, par ce moyen, vous sauveriez l'âme de cet homme et le monastère qu'il accable de tout son poids» (7).

Cette fois, l'éloquence triompha et avec elle la cause de la vérité et de la justice. Une sentence pontificale confirma la décision des deux évêques, et l'abbé de Faverney, frappé des peines canoniques, dut laisser en paix les deux abbayes ses voisines. Toutefois il fut plus heureux et plus juste dans ses revendications contre les seigneurs Olivier et Henry de Jonvelle qui, mécontents d'avoir été contraints d'abandonner en 1132 leurs possessions usurpées, et jugeant peu favorablement le nouvel abbé, venaient de commettre de nouvelles rapines. Quelques pâtres, appartenant aux terres de l'abbaye, avaient laissé un jour par mégarde errer leurs troupeaux sur le domaine des seigneurs de Jonvelle. C'en est assez : les deux frères de Guy envahissent à main armée le prieuré de Saint-Marcel qui dépendait de Faverney (8), s'emparent du prieur Halinard et de ses religieux, les dépouillent et dévastent complètement le monastère (9), sous les yeux du gardien Louis de Jussey qui se contenta d'une simple parade de troupes. À cette nouvelle, l'abbé Bernard courut à Luxeuil où se trouvait le comte Rainaud III, et il obtint de lui qu'un nouveau plaid ou audience princière eut lieu à Faverney pour obtenir justice. Le comte Rainaud, suivi de toute sa cour, se rendit pour la seconde fois dans nos murs où le spoliateur et son complice l'avaient déjà devancé. Olivier de Jonvelle ne cacha point sa faute, mais il en rejetait la responsabilité sur Louis de Jussey, le sous-gardien, qui de son côté protestait de son innocence. Rainaud ne sachant auquel des deux donner tort et indigné de la mauvaise foi de ces seigneurs, leur proposa, selon les coutumes barbares de cette époque, le combat judiciaire qui fut accepté de part et d'autre.

Le lendemain Bernard et ses religieux prenaient place, à côté du comte suzerain de Bourgogne, sur l'estrade qui dominait l'arène où devait se livrer le combat. Aux degrés inférieurs on voyait les avoués ou sous-gardiens de l'abbaye : Guy et Henry de Jonvelle, Hubert de Jussey et Thiébaud de Rougemont. Ce duel judiciaire eut lieu dans la prairie surnommée le Breuil qui touchait aux murs d'enceinte de l'hôpital. Louis de Jussey, après avoir ménagé son adversaire pendant quelque temps, finit par lui plonger son épée dans le flanc et ne consentit à lui laisser la vie sauve qu'à condition qu'il reconnaîtrait ses torts et réparerait ses injustices. Le comte de Bourgogne intervint alors et condamna Guy de Jonvelle, le frère aîné, solidairement avec ses frères Olivier et Henry, à restituer tous les dommages causés (10).

Il faut reconnaître que, encadrée dans de pareils faits historiques, la mémoire du premier abbé bénédictin de Faverney nous paraît bien infime à côté de la grande figure de saint Bernard dont le génie et le zèle dévorant agitaient et régénéraient alors tout le comté de Bourgogne. Si du moins l'abbé Bernard, tant attaché aux droits de sa seigneurie, avait eu le don de faire fleurir les études et les lettres parmi ses religieux, l'Histoire en aurait conservé le souvenir. Mais à Faverney aussi bien que dans tous les monastères de cette époque, l'apathie intellectuelle est si grande que Pierre-le-Vénérable et saint Bernard s'en plaignent comme formant le triste apanage de ce siècle (11). Un seul fait semble prouver en faveur des dernières années du premier abbé des bénédictins de Faverney.

Le pape Eugène III, ancien moine de Cîteaux, par un bref public obligea saint Bernard dont il était le fils spirituel, à prêcher en 1146 la seconde croisade. La santé du saint moine était si vacillante qu'il pouvait à peine se tenir debout. Mais l'amour divin et l'obéissance soutinrent son corps chancelant, et son éloquence enflammée, accompagnée d'une infinité de miracles, décida l'empereur d'Allemagne, le roi de France Louis VII dit le Jeune et un grand nombre d'autres princes et seigneurs à se croiser pour aller combattre les infidèles en Orient. La ville de Faverney subit elle-même l'entraînement général, et l'abbé Bernard équipa à ses frais huit croisés en mai 1147. Grâce aux annales manuscrites du monastère, rédigées par Dom Étienne Morel bénédictin à Faverney en 1187, nous savons les noms de ces vaillants comtois : ce sont Gaucher de Friant, Manuel Noblet, Olivier le Charpentier, Hugues le Blanc, Besson le Pêcheur, le sergent Henry, Guichard le Noir et Guichard du Magny (12).

Sous les premiers successeurs de l'abbé Bernard (13) il semble que l'abbaye de Faverney ait pris à tâche de se montrer généreuse à l'égard des monastères cisterciens. Dès son avènement l'an 1149, l'abbé Pierre Ier met son sceau à une donation faite aux religieux de Clairefontaine. Lambert qui lui succède, donne en 1154 aux moines de Cherlieu tout ce qu'il possédait à Trémoncourt-sur-Venisey et sur le territoire de la grange de Charmes. L'abbé Guichard qui gouverne Faverney pendant 30 ans, accorde vers 1157 aux mêmes moines de Cherlieu «la permission de prendre dans le bois de Liège tout ce qui leur serait nécessaire pour clôture et paisselage des vignes qu'ils avaient et pourraient avoir dans la suite sur le territoire de Purgerot, pour tonneaux et bâtiments, et en particulier pour la construction et reconstruction d'une grange au même endroit, à l'usage des religieux qui y faisaient leur résidence». L'an 1164, c'est l'abbaye de Bithaine qui est gratifiée d'une rente ou cens annuel sur la terre du Planois. Une charte du même abbé concède en 1184 aux bernardins de Cherlieu la remise des dîmes de Courcelotte près Anrosey, la donation de ses biens de Venisey et de plusieurs prés situés à Baulay et à Lambrey (14). De même l'an 1186 sous l'abbé Herbert, les cisterciens de Môres au duché de Bourgogne reçoivent en largesse tout ce que l'abbaye de Faverney possédait à Beurre, à Blagny, à Brussey, à Chenevrey, à la villa d'Arcier, à Loye et à Landreville. Deux des quatorze religieux que comptait alors Faverney, Wuillaume et Étienne Morel sacristain signèrent cette donation (15). Enfin en 1212 et 1213 l'abbé Pierre II, originaire de Vesoul, confirma aux religieux de Clairefontaine tout ce qu'ils avaient reçu, maisons, terres, prés et autres donations, de la générosité des fidèles sur Amance et Senoncourt (16). Une bienveillance si généreuse et si persistante de la part des cinq abbés successeurs de Bernard à l'égard des moines blancs cisterciens, amena ces fils de saint Bernard dont la régularité, la vertu, le silence et le travail étonnaient tout le monde, à contracter une sorte d'union spirituelle avec les moines de Faverney.

Une association de prières fut ainsi formée par les bénédictins et les cisterciens de ces quatre monastères, et chaque fois qu'un moine y mourait, les religieux devaient célébrer une messe et réciter cinquante psaumes «pour que Dieu fasse merci et ait pitié de l'âme du défunt» (17).

En 1250, au retour de la septième croisade qui se termina par la prise et la captivité du grand roi saint Louis, vaincu par la peste plutôt que par les musulmans, un de ces chevaliers fameux, noble baron franc-comtois, qui avait tout quitté son manoir féodal, sa vieille mère et sa jeune fiancée, pour aller se battre, sous la bannière du roi de France, contre le soudan d'Égypte, ne trouva plus, lorsqu'il revint en Bourgogne, qu'un donjon démantelé et deux tombes à peine fermées. En face d'une telle douleur, Dieu parla à son âme chevaleresque, et le cloître avec sa solitude l'attira à Favernev. Il devint novice bénédictin (18).

Or, l'abbé Pierre II était mort depuis trois ans, et Robert son successeur, qu'avait choisi Bertrand de Pullyac, abbé de la Chaise-Dieu, n'était pas plus digne que le premier abbé Bernard. Devant les protestations fondées de Guillaume de la Tour, archevêque de Besançon (19), et sur l'intervention du pape Innocent IV, Bertrand de Pullyac se rendit à Faverney, révoqua Robert de ses fonctions et nomma pour lui succéder le chevalier franc-comtois, devenu depuis un fervent bénédictin. Le nouvel abbé prit le nom de Pierre III (20). Sous son règne, deux faits très important vinrent transformer la vie de l'abbaye et celle du bourg de Faverney.

C'était l'époque des premiers affranchissements. Les populations urbaines et rurales se sentaient poussées, par un souffle de liberté, à se constituer en associations communales. Un comte de la branche cadette de Bourgogne, Jean de Châlon, sire de Salins, avait inauguré sur le sol franc-comtois cette ère nouvelle de liberté en publiant les lettres de franchises d'Auxonne et de Rochefort au mois de mars 1244 (nouveau style), celles du bourg ou château d'Ornans au mois d'avril suivant, et celles de Salins en 1249. Le premier ce prince proclamait hautement cette idée que la liberté, en peuplant le sol, était un gain pour celui qui la donnait. Trente chartes communales furent dans la seconde moitié du XIIIe siècle le résultat de ce grand exemple : actes généreux, dictés par la politique et par l'humanité, et qui forment un des caractères principaux des princes de cette époque (21). Avant même que Besançon et Luxeuil n'eussent reçu de leurs seigneurs archevêque et abbé la confirmation et la garantie des privilèges dont ces deux villes d'origine romaine jouissaient de temps immémorial (22), le bourg de Faverney, destiné par Dieu à devenir une cité privilégiée, va être doté d'une charte spéciale. Car, dit M. Jules Finot archiviste de la Haute-Saône et depuis transféré à Lille (Nord), la situation de cette ancienne ville présente cette particularité singulière et vraiment exceptionnelle d'avoir joui, d'un côté, pendant la plus grande partie du Moyen Âge, de libertés municipales très étendues, et, de l'autre, de n'avoir jamais pu obtenir de ses seigneurs-abbés la confirmation expresse de ces libertés qui restèrent ainsi traditionnelles et furent qualifiées d'usances ou coutumes.

Il y a tout lieu de croire que c'est dans la période qui s'étend de 700 à 1132, période qui vit les invasions successives des Sarasins, des Normands et des Hongrois, sans compter les guerres privées des seigneurs et leurs agressions contre l'abbaye des moniales de Faverney, quel celle-ci, incapable de se protéger elle-même et faisant de vains appels à ses gardiens laïques devenus ses spoliateurs, laissa ses sujets et manans, c'est-à-dire les habitants, prendre les mesures que commandait le salut public. L'abbesse les autorisa tacitement à nommer, par élection populaire des chefs de famille, les 12 prud'hommes chargés de la gestion des affaires de la cité, puis elle consentit à laisser ces prud'hommes choisir à leur tour parmi les bourgeois deux échevins ou prévôts afin d'établir les gects et répartements pour la réparation des murailles, en un mot à faire acte de commune, comme on dira plus tard. Il est bien certain que la communauté, organisée ainsi par les habitants, n'eut aucune existence légale. Elle était due seulement à l'impuissance de l'abbaye, qui n'abandonna jamais expressément ses droits sur ses sujets. D'ailleurs dans le désordre général qui caractérise cette époque, les devoirs et les obligations des manans vis-à-vis de leurs seigneurs n'avaient pas encore pu être fixés d'une manière absolue. Ils étaient qualifiés seulement par le titre de consuetudines. Par ce mot il faut entendre des redevances annuelles, moyennant le paiement desquelles les habitants de Faverney conservaient la libre administration de leurs personnes, de leurs biens et des affaires de la cité, sous l'autorité d'un magistrat ou fonctionnaire délégué par l'abbé (23).

Quoiqu'il en soit, en face de cette liberté naissante que nul pacte formel ne garantissait jusqu'alors, l'abbé Pierre III, aussi prévoyant administrateur que preux chevalier, comprit vite qu'une affirmation solennelle des franchises ou libertés dont avaient joui, de temps immémorial, les bourgeois de Faverney, calmerait les esprits de ses sujets et affirmerait ses droits de seigneur-abbé. En 1260, profitant habilement de l'autorité archiépiscopale qui venait de créer à Besançon l'Official (24) ou juge ecclésiastique chargé, d'après le président Clerc, de populariser pour la rédaction des actes et des contrats l'usage des formules romaines et du droit romain écrit, Pierre III, fort de l'appui de ses supérieurs de la Chaise-Dieu, pria l'archevêque Guillaume de la Tour de lui envoyer le doyen rural de Faverney (25), Odon de Jussey, chanoine de Besançon ; et là, sous sa présidence, dans «l'assemblée de la plus grande et de la plus saine partie des habitants, ainsi que de ceux qui administrent les affaires de la ville et de ses procureurs», en présence de l'abbé Aubert de la Chaise-Dieu et de l'abbé-seigneur Pierre, «tous librement et spontanément reconnurent après une sérieuse délibération qu'ils étaient les hommes de l'abbé et du monastère de Faverney, ses levants manants et couchants ; que ces derniers avaient sur eux toute justice, haute et basse, tout droit de coercition, de juridiction et de châtiment, celui de confisquer leurs biens et de les frapper d'amende et de peine». En outre, ils se déclarèrent «taillables envers lesdits abbé et couvent comme ils l'ont été jusqu'alors» ; ils reconnurent être «leurs justiciables en tout lieu et pour tous les cas de coutume ou de droit, leur devoir enfin tous les services que des hommes libres doivent à leurs seigneurs» (26). L'acte légalement rédigé par l'Official à Besançon est daté du mois d'avril 1260.

Munis de ce document juridiquement reconnu et attesté par l'autorité archiépiscopale, les moines bénédictins à la suite du seigneur-abbé se montrèrent bons princes et dignes de leur époque ; et bientôt à la grande joie de tous fut promulgué l'acte d'affranchissement. En voici les premières et principales lignes : «Pierre III, humble abbé de Faverney, et les religieux du monastère dudit lieu, agissant à la requête de leurs supérieurs de la Chaise-Dieu, reconnaissent et proclament solennellement à la face de Dieu et des hommes :

1° Que les habitants de Faverney sont libres de temps immémorial, que l'origine de leurs droits se perd dans la nuit des temps, que jamais les habitants de cette localité n'ont été réduits à l'esclavage, que toujours ils ont conservé le titre et les droits de citoyens libres, et n'ont jamais été soumis aux tailles, débits et servitudes qui révèlent la condition de serfs.

De leur côté, les habitants de Faverney reconnaissent que l'abbé en fonction et les religieux du monastère jouissent des prérogatives suivantes, attendu leur qualité de seigneurs du lieu.» Outre le monopole des moulins, fours et pressoirs que conserve l'abbaye, la corvée d'un jour par semaine durant la saison des récoltes, et un droit de bienvenue de 100 florin d'or à chaque nomination d'un nouvel abbé, il y a leurs droits qui consistent à percevoir l'impôt qui est de douze sous estevenants annuels (2 fr. 50 environ), et par tête, pour les citoyens propriétaires et marchands.

Les journaliers et les veuves ne paient que le quart de cette somme, c'est-à-dire environ soixante centimes par an.

En retour des corvées et charrois qui lui sont dûs, le monastère accorde aux laboureurs et gens possédant voiture et charrue, le droit de prendre dans ses forêts le bois de service nécessaire à l'entretien des chariots et instruments de culture, comme aussi à l'établissement des haies ou palissades destinées à clore les héritages, ou encore les liens pour les gerbes, le foin et la paille.

Les journaliers et les veuves sont exempts de corvée. On accorde vingt-quatre heures de crédit pour les achats faits à la foire et au marché. Ces traits principaux suffisent à montrer ce qu'il y avait de chrétien dans cette législation monastique, plus humaine sur bien des points que ne l'est la nôtre, puisqu'elle prenait un soin particulier des pauvres et des petits (27).

Le dernier article de cette charte de premier affranchissement porte que les bénéfices en sont applicables à tous les villages dépendant de l'abbaye. Or à cette époque, Faverney, Amance, Baulay, Breurey, Buffignécourt, Cubry-lès-Faverney , Equevilley, Menoux, Mersuay, Meurcourt et Venisey formaient les terres seigneuriales du monastère bénédictin. En conséquence, à dater de ce mois d'avril 1260, la main-morte fut abolie sur toute l'étendue de la juridiction du couvent, les successions passèrent désormais, sans entraves ni empêchements, aux parents les plus proches des personnes décédées, et les femmes devenues veuves purent conserver pour elles et leurs héritiers la moitié des biens de la communauté (28).

Cet acte de générosité autant que de politique suffirait à lui seul pour immortaliser la mémoire de l'abbé Pierre III. Mais il attacha encore son nom à un second acte d'affranchissement ou plutôt d'immunité à l'égard du métropolitain de Besançon. La maison mère de la Chaise-Dieu qui était regardée «comme le modèle des cloîtres bien réglés» remarque Dom Grappin, en vertu de la donation de l'archevêque Anséric avait maintenu son droit exclusif de nommer l'abbé de Faverney. Devant les prétentions excessives de Guillaume II de la Tour, le douzième successeur d'Anséric, en cette même année 1260, le pape Alexandre IV, renouvelant la volonté formelle de ses prédécesseurs, Innocent III en 1200 et Honorius III en 1224 (20), lança une bulle par laquelle il exemptait de toute juridiction civile ou ecclésiastique, autre que celle de l'abbaye-mère, toutes les maisons religieuses qui dépendaient du monastère de la Chaise-Dieu. En vertu de cet acte pontifical, l'abbé Pierre III declara solennellement que ses religieux et ses sujets, son abbaye et ses terres, ne relevant plus desormais que de son autorite et de celle de son supérieur géneral, etaient libérés de la tutelle de l'archevêque de Besançon.

En reconnaissance de cette exemption tant désirée, l'abbaye de Faverney aurait dû se montrer plus rigoureusement fidèle aux usages sévères de la Chaise-Dieu. Mais soit appât de la fortune, soit faiblesse de l'abbé Pierre alors maladif, soit condescendance trop humaine de sa part pour des anciens frères d'armes, le baron-abbé eut le tort de consentir au desir du seigneur Renaud de Lambrey de se retirer du monde et d'embrasser la vie monastique à Faverney, sans toutefois se separer de Damiette son épouse. En échange des grands biens qu'ils donnèrent au monastère, Renaud reçut une prébende monacale, c'est-à-dire une portion des revenus du monastère attachés à la qualité de moine, et Damiette en qualite de sœur converse fut attachée, ainsi que son époux demi-moine, au service de l'hôpital du Saint-Esprit. C'était en 1260. Un fait analogue se produisit en 1262. Guillaume de Colombey, fils du seigneur Guy de Traves, récemment marié à Pierrette de Vellefaux, obéissant au grand cri des croisades : Dieu le veut ! était parti avec le saint roi Louis IX pour la septième croisade sur la terre d'Égypte. Fait prisonnier dans Mansourah où fut tué le comte d'Artois frère du roi, Guillaume, après être resté plusieurs années dans les fers, avait enfin pu s'échapper. Mais débarqué en France, il n'était arrivé à Traves que pour assister au mariage de sa malheureuse épouse trompée et infidèle. Devant une telle douleur, le seigneur Guillaume voulut embrasser aussi la vie monastique sous la direction de l'abbé Pierre, ancien croisé de Terre-Sainte. Mais jamais il ne porta l'habit religieux, et jusqu'à sa mort, il demeura, sans se lier par aucun vœu, dans ce couvent qu'il devait faire son unique héritier (30).

Un tel amalgame, même au milieu des religieux les plus fervents, s'il leur apportait la richesse, devait aussi fatalement et à bref délai, leur amener le relâchement de la Règle et l'esprit d'indiscipline. Le noble et habile abbé Pierre ne sut pas le prévoir.

Quatre ans après, l'an 1266, épuisé de fatigues et désirant consacrer plus spécialement à Dieu les quelques jours qui lui restaient encore à vivre, il se démit volontairement de sa charge. Le prieur et les religieux écrivirent immédiatement au supérieur de la Chaise-Dieu pour lui faire part de cette regrettable détermination et l'engager en même temps à leur donner un nouveau prélat, «selon la louable coutume observée si pacifiquement jusqu'à ce jour» (31). Malgré cet empressement de bon augure, il s'en suivit un interrègne de cinq années, avant que l'abbé Aubert de la Chaise-Dieu lui donnât pour successeur un religieux éminent que plusieurs titres anciens qualifient aussi de baron, et qui choisit le nom de Pierre IV. Grâce à l'habileté et au prestige de ce prélat, «l'un des plus excellents qui aient gouverné cette abbaye,» Faverney va entrer dans une phase nouvelle de son histoire (32).

Jusqu'à cette époque, l'abbaye soit des sanctimoniales comme les qualifia l'archevêque Anséric, soit des bénédictins leurs successeurs, n'avait eu comme avoués ou gardiens immédiats que quelques seigneurs voisins, choisis par l'abbé et les religieux pour les assister par les armes dans la défense et la conservation de leurs droits et de leurs terres (33). Mais le règne si brillant du baron-abbé Pierre III aussi bien que les grandes largesses des seigneurs croisés ses frères d'armes, avaient répandu au loin la reputation de Faverney. Aussi la très illustre princesse Alis de Méranie, veuve depuis 1266 du comte palatin Hugues de Châlon qui mourut vers la Toussaint et fut inhumé au monastère de Cherlieu, songea, comme comtesse palatine et mère de douze enfants vivants, à faire alliance avec la puissante et riche abbaye dans l'espoir secret un jour d'en pouvoir doter un de ses fils (34). S'étant remariée à Lausanne en juin 1267 à Philippe, comte de Savoie, afin de trouver un appui dans le gouvernement du comté de Bourgogne, antique héritage de ses pères, elle demanda au nouvel abbé le baron Pierre IV une entrevue à Baume ; et le lundi, veille de la nativité de Notre-Dame de l'an 1276, en présence et du consentement du très illustre et très puissant seigneur Philippe de Savoie son mari, en présence du vénérable Aubert de la Chaise-Dieu, du vénérable Père en Jésus-Christ Eudes de Rougemont, archevêque de Besançon (35), et du comte Othon de Bourgogne seigneur de Salins, son fils aîné et futur successeur, fut signé entre Alis de Savoie comtesse palatine de Bourgogne, et frère Pierre IV, par la grâce de Dieu humble abbé de Faverney, un traité de communion et société de biens par lequel la comtesse Alis et celui qui en ce temps sera comte de Bourgogne et non autre, posséderont à l'avenir et à perpétuité la moitié ; et l'abbé et couvent l'autre moitié des bans, amendes, tailles, prises, et justice haute et basse dans la ville de Faverney, de Baulay, du Magny, d'Astre et Mont Sainte-Marie lesquels trois derniers villages sont vulgairement appelés Amance, de Buffignécourt, de Venisey, de Senoncourt, de Menoux, de Cubry, d'Equevilley, de Meurcourt, de Breurey, de Fleurey, de Contréglise, de Mersuay et de Provenchères. Et voici le dernier article de ce contrat :

«En plus lesdits abbé et couvent voulans et concédans que ladite comtesse ou son héritier qui dans le temps sera comte de Bourgogne, puisse faire un chasteau ou forteresse à Amance par le moyen duquel les terres de notre communion et société et habitans d'icelle puissent estre mieux deffendues ; et nous comtesse ou comte de Bourgogne serons tenus de bastir ledit chasteau ou forteresse à nos cousts et dépends, et deffendre et garder lesdites terres et habitans d'icelles ; la comtesse et le comte héritier auront dans tous les subjects desdits villages un nombre d'hommes qui soyent tenus de prendre les armes de la mesme façon que font ceulx des chastellenies de Vesoul et de Jussey, et aussi, une gendarmerie et armée dans les mesmes subjects» (36).

Ce traité de communion et d'association, comme s'exprime Dom Bebin, fut pour le monastère de Faverney un titre des plus honorables et un signe caractéristique de sa liberté et de sa puissance ; mais il était aussi avantageux par ses clauses spéciales dont la plus considérable est «que tous les fonds et immeubles de tous les villages et finages qui sont compris dans ladite communion et société, tant de la part de ladite comtesse que de l'abbé et couvent, sont et appartiennent auxdits abbé et couvent, et que si quelqu'un de la juridiction de ladite société vient à commettre quelque crime ou délit qui mérite confiscation de biens, en ce cas tous les immeubles demeureront à l'abbé et au couvent, et les meubles se partageront avec ladite comtesse» (37).

Malgré toutes les précautions prises par la comtesse palatine Alis pour assurer la plus grande paix, sous le haut patronage du comte régnant, aux religieux de Faverney, l'avenir déjoua ses projets. Après sa mort à Evian en Savoie sur les bords du lac de Genève l'an 1279 (38), les cinq princes ses fils eurent ensemble de grandes difficultés à l'occasion du partage de leurs terres, fait en novembre 1278 par leur mère. Jean le plus jeune des cinq, d'un esprit fort inquiet et inconstant, et qui, selon la remarque caractéristique de l'historien Gollut, «tant qu'il hat vescu, hat faict querelle pour ses partages» (39), mécontent de n'avoir pour sa part d'héritage que les fiefs de Montaigu vers Vesoul, Fontenois, Choye, Châtenois, Buffard, Chissey et Liesle, fit tant et si bien qu'en 1289, Othon, son frère aîné et comte souverain, dut lui céder la garde de Faverney et de son abbaye, nonobstant la clause formelle du traité d'union de 1276 (40). Mais ambitieux et jamais satisfait, il parvint l'an 1292 à se faire encore céder par son frère régnant le château d'Amance, Baulay, Bourbonne, Buffignécourt, Chauvirey, Contréglise, Gevigney, Jonvelle, Jussey moins la garde de l'abbaye de Cherlieu qu'Othon IV tint à conserver, Passavant et Thoraise (41). Toujours insatiable, l'inconstant Jean Ier cadet de Bourgogne l'année suivante put enfin amener le comte palatin à lui accorder de nouvelles dotations. Le huitième jour de janvier, l'an de Notre-Seigneur 1293, à Besançon par devant leur frère Estienne de Bourgogne chanoine, fut signé par Othon et Jean le contrat définitif en vertu duquel «notre féal et bien aimé frère Jehan de Bourgogne» devenait possesseur du château fort de Montaigu, des terres d'Andelarre et Andelarrot, Amblans et Velotte, de Bouhans-lès-Lure, Bougnon, Buffard, Calmoutier, Colombier, Corbenay, Charmoille, Equevilley, Grattery, Liesle, Linexert vers Luxeuil, Montcey vers Vesoul, Thoraise, Scye, Vauchoux, Villers-Farlay sur la Loue, enfin du château fort d'Amance avec la garde de Faverney et de son abbaye.

C'en était fait : l'œuvre de la pieuse comtesse Alis avait vécu. Le monastère des bénédictins avec ses possessions considérables était devenu l'apanage convoité du cadet remuant de Bourgogne, et, en prévision d'une résistance possible, il fut inséré dans l'acte de Besançon que le comte souverain engageait sa bonne foi, aussi bien pour lui que pour ses successeurs, d'assurer à son frère Jean et de défendre la terre de Faverney et d'Amance contre n'importe qui et «spécialement contre l'abbé et le couvent de Faverney» (42). Aussi dut-il se résoudre à notifier depuis Salins, le 10 du mois d'août, à «religieuse personne l'abbé et le couvent de Faverney le nouvel arrangement, voulant et leur mandant de continuer avec son jeune frère Jehan les rapports d'obéissance et d'amitié qui avaient toujours existé avec lui comme gardien du monastère (43).

Sur ces entrefaites, Jean Ier de Bourgogne vint prendre possession de sa forteresse ébauchée d'Amance. L'abbé Pierre IV était mort en 1293, et son successeur fut l'abbé Olivier ou Olivierius, qui, nous dit Dom Bebin, «a signalé sa mémoire par les actes de générosité, de prudence et d'adresse qu'il a toujours témoignés dans les rencontres et démêlés qu'il a eus pour maintenir les droits de son abbaye, particulièrement avec l'Illustre et Puissant Prince Jean de Bourgogne qui en était gardien» (44). Fidèle en effet à sa manie d'esprit querelleur, le nouveau seigneur d'Amance ne se donna ni trêve ni repos jusqu'à ce qu'il fut parvenu, à force de ruses, d'instances et de menaces, à remplacer le traité passé avec sa mère par cet acte fameux, connu dans l'histoire comtoise sous le nom de traité de la garde. En voici les points principaux :

Comme certaines difficultés sont survenues, d'un commun accord l'ancienne union et société est annulée et révoquée, et un nouvel échange de biens est fait.

Jean de Bourgogne à qui la garde de l'église de Faverney a été donnée pour la partie qui lui revenait du bien de ses parents, donne à l'abbé et au couvent la moitié des tailles, ou impôts de la ville de Faverney et de son territoire, ainsi que les tailles de tous les hommes qui habitent cette ville.

En reconnaissance des biens que leur cède le comte Jean, l'abbé et les religieux lui donnent à leur tour tout ce qu'ils ont et peuvent avoir au village de Senoncourt, comme tout ce qu'ils ont et possèdent sur les métairies du Magny, de l'Astre et du Mont Sainte-Marie, ainsi que tout ce qu'ils possèdent sur le territoire de ces trois villages, vulgairement appelés Amance.

L'abbé retint cependant pour son église la perception des dîmes d'Amance et le patronage de la cure.

Il a été également convenu entre l'abbé et le prince Jean que celui-ci devra être présent ou se faire remplacer, lorsqu'il s'agira d'établir les tailles ou impôts de Faverney de concert avec l'abbé ou son représentant ; et même pour la levée des tailles qui lui reviennent par moitié, le seigneur Jean ne pourra se servir que d'un bourgeois de Faverney et y demeurant, lequel s'entendra avec le prévôt de l'abbé.

Pour ce qui regarde les dîmes, les religieux recevront chaque année la treizième partie du blé et du vin recueillis sur le territoire de Faverney.

Le dit comte Jean de Bourgogne ne pourra prendre la défense des hommes de Faverney ni de ceux de l'abbaye contre l'abbé en quelque lieu que ce soit. Il ne pourra également recevoir à l'avenir aucun sujet de l'abbé en commandise bourgeoise contre l'abbé et son église de Faverney.

Semblablement ledit comte Jean ne pourra établir de foire ou de marché les jours où il y aura foire et marché à Faverney, si ce n'est à deux lieues des terres de l'abbé. — Ni Jean, ni aucun de ses représentants ne pourra tenir les assises sur la terre de Faverney.

Pareillement ledit Prince Jean sera obligé de défendre l'abbé comme un gardien de son église contre tous officiers ; comme aussi de l'aider toutes les fois qu'il sera requis par l'abbé.

Enfin le seigneur comte d'Amance ne doit rien demander ni réclamer à la justice haute, moyenne et basse des terres dudit abbé, moins encore prétendre aucune juridiction sur les hommes et sujets ni sur les bois, forêts, étangs, pâtis et pâturages qui lui appartiennent, sauf toutefois le droit de garde dudit seigneur Jean.

Tel est en substance ce traité de la garde dont le prieur Dom Bebin a écrit que «certainnement il n'y a rien de mieux fait ny de plus solennel» (45). Ce fut le dix-septième jour des calendes de mai de l'an 1295 (16 mai) qu'il fut passé au chapitre de l'église de Faverney, en présence du prieur de Marteroy à Vesoul, de Jean curé de Hayroc au diocèse de Toul, de Pierre de Thoraise, de Pierre Landry notaire de la cour de Besançon, des nobles hommes Hugues de Negrey et de Jean de Velle de Faverney, chevaliers, tous appelés et requis comme témoins. Puis devant le grand autel de Notre-Dame-la-Blanche, debout et la main posée sur les saints Évangiles, le seigneur abbé de Faverney et le prince seigneur d'Amance jurèrent de garder, tenir et observer fidèlement «toutes choses contenues au traité dict et appelé vulgairement le traicté de la garde» (46).

Mais à peine trois mois s'étaient-ils écoulés que ce traité, si désiré par Jean de Bourgogne, ne ne répondait déjà plus aux exigences et à l'esprit tracassier de ce turbulent gardien. Les limites des finages de Faverney et d'Amance avaient ramené la discorde ; il s'agissait d'en fixer de nouvelles. Du consentement des parties, des bornes furent placées le lundi après la nativité de Notre-Dame et le nouvel accord fut annexé au traité de la garde (47).

Il faut reconnaître que le zèle, le courage et la générosité de l'abbé Olivier pour conserver et et maintenir les droits de l'abbaye sans irriter son trop puissant et querelleur voisin, sont au-dessus de tout éloge. Le prince Jean lui-même conçut une si grand estime pour l'abbé et le couvent qu'il les prit désormais en profonde et sincère affection, et que dès lors il ne laissa passer aucune occasion sans leur en donner des témoignages authentiques. C'est pourquoi Dom Bebin a pu écrire dans son histoire de Faverney que «jamais l'abbaye n'été plus florissante, plus paisible et plus honorée que lorsqu'elle a eu l'honneur d'être sous la gardienneté des illustres et pieux comte de Bourgogne, de Jean de Bourgogne leur sucesseur et de ses héritiers immédiats» (48).

Toutefois pour être vrai, il faut aussi convenir que l'abbé Olivier avait grand besoin de sentir la paix et la tranquillité régner en dehors de son monastère, car la vie de ses moines à l'intérieur laissait beaucoup à désirer. Si les donations des seigneurs, admis trop facilement à la vie semi-cloîtrée par l'abbé Pierre III, avaient apporté la richesse, leur ignorance crasse et leur vie désœuvrée, fort à la mode en cette fin du XIIIe siècle, n'avaient pas tardé d'amener le relâchement, puis la décadence religieuse. M. le Président Clerc n'a pas craint d'écrire cette phrase: «A peine savait-on lire à Faverney» (49) ; et malheureusement le règlement monacal que promulga l'abbé Olivier, le 1er août 1305, ne nous en donne que des preuves trop convaincantes. Je me contenterai d'en citer cet extrait, il sera suffisant. «Considérez... l'insufficience de aucuns moynes que furent faicts en nostre abbaye c'a en arrière, liquel ne scavaient ne encore ne scavent chanter ne lire sophesamment, nos havons accordez et ordonnez et juriez sor (sur) saintes Evangiles en nostre abbaye... que de ci en avant ne soit donez l'abiz de moyne à nul home en nostre abbaye... s'il ne sest chantez et lire sophesamment, et qu'il hait de par luy une habi nove (neuf) sophesant et un bréviaire sophesant et totes (toutes) les aliis (autres) choses qui essierent (conviennent) à moyne» (50). Cette stupéfiante ignorance chez des bénédictins, jointe à un pareil laisser-aller dans la tenue, n'était pas le seul abus qu'il y eut à réformer à Faverney ; et l'entreprise d'Olivier eût été plus louable encore s'il eut rendue plus complète. Mais hélas ! cet abbé, sans doute impuissant, ferma les yeux sur la fainéantise et le vice de propriété qui s'étalaient publiquement et sans crainte dans les rues de la cité. Aussi les aumônes que les fidèles et les nombreux pèlerins déposaient jusque-là si facilement aux pieds de la Blanche Madone, se firent de plus en plus rares ; la grande église abbatiale était redevenue déserte en temps ordinaire comme aux plus mauvais jours de moniales ; et la foule n'en retrouvait le chemin qu'au Vendredi saint et à la grande fête patronale de l'Assomption. Les revenus de la sacristie étant ainsi diminués, la lampe qui autrefois brûlait jour et nuit dans la chapelle de la Sainte Vierge, était éteinte ; elle n'était allumée que les dimanches et jours de fête. Les torches d'honneur qu'on avait coutume de placer à l'élévation sur tous les autels où se célébrait le saint sacrifice, n'apparaissaient plus que sur le maître-autel. La religion du bon abbé Olivier souffrait de cette indigence, et, afin de rétablir les choses comme elles étaient auparavant, par une donation faite au sacristain le lundi avant la fête de saint Jacques et de saint Philippe de l'année 1309, il abandonna vingt-cinq livres de cire que ce religieux devait lui donner tous les ans ainsi que le produit des offrandes et des oblations qui lui revenaient également à l'occasion des solennités de Notre-Dame d'Août et du grand Vendredi (51).

L'année suivante (1310) l'abbé Olivier n'existait plus et l'abbaye demeura vacante jusqu'en 1312.

Il me semble bon de faire remarquer ici soit le peu d'empressement que mettait chaque fois la maison mère de la Chaise-Dieu à pourvoir à la vacance abbatiale de Faverney, soit le choix défectueux qui trop souvent présida à ses nominations ; et c'est là sans nul doute l'une des principales causes de l'état d'infériorité morale, intellectuelle et religieuse où trop longtemps vécurent nos moines. Ainsi en 1315 l'abbe Pierre V de Binvillars, successeur d'Olivier, loua, approuva et confirma, sous prétexte d'une fondation d'anniversaire, l'atteinte portée au vœu de pauvreté par l'achat d'un pré de trois faux dans la prairie de Faverney, que conclut Dom Jean d'Amance avec son collègue Dom Grégoire (52). Ainsi en 1318, une députation de la Chaise-Dieu venue en notre abbaye constata que les observances régulières n'y étaient plus observées. Lors donc que mourut Pierre de Binvillars, les religieux de Faverney prièrent instamment leur supérieur général d'élire un moine de Luxeuil, seul capable de rétablir le lustre ancien de leur monastère. Mais ils ne furent pas écoutés ; et Dalmace de Riom, auvergnat d'origine, vint occuper une place qu'on n'avait point sollicitée pour lui. Il en profita pour doter son neveu Robert de Riom des terres domaniales de Poisseux et d'Andilly situées en Bassigny au diocèse de Langres, puis il donna sa démission en 1326 et retourna à la Chaise-Dieu (53).

Toutefois à partir du départ de l'abbé Dalmace, l'abbaye de Faverney fut plus heureusement gouvernée soit par Guillaume de Mars, prélat fort digne et plein de mérites (1326 à 1335), qui parvint à faire restituer à son monastère les fiefs donnés indûment à Robert de Riom ; soit par Jean II de Bougey qui, religieux aussi pieux que distingué, s'appuya sans cesse sur l'autorité magistral de la Chaise-Dieu et obtint ainsi l'ordre de ne recevoir que le nombre de novices nécessaire pour arriver à un maximum de quinze religieux, et la défense d'aliéner désormais aucun des biens dépendant de l'abbaye. Mais après cinq ans de règne, Jean de Bougey effrayé des responsabilités de son titre abbatial, et éditant sans cesse dans son esprit cette règle tracée par le grand saint Benoît : «Que l'abbé ait toujours devant les yeux la grandeur de sa charge et le compte qu'il en devra rendre», il se démit volontairement et résolut de vivre humble et caché parmi ses frères qu'il édifia jusqu'à sa mort survenue après 1346.

Rien de saillant à cette époque dans la vie de Faverney. Un voile épais couvre l'histoire de l'abbaye. Les abbés Mathieu de la Molette et Hugues de Salins se succèdent de cinq ans en cinq ans (54), et la cruelle peste, appelée fièvre noire, transmise de l'Orient de pays en pays, après avoir franchi l'Italie et les Alpes, porte ses affreux ravages dans notre pays de Comté. «Sur tous les chemins, on n'apercevait que malades au teint livide, aux regards mourants, dont la peau était couverte de pustules noires, rouges ou bleuâtres. Toute la contrée en fut infectée. Car on ignorait le soin de séquestrer les personnes atteintes, d'enfermer les vagabonds, d'établir des barrières hors des cités, de soumettre à la quarantaine les convalescents ou de les purifier par des parfums. Les corps, exposés à la porte des maisons ou jetés par les fenêtres, se corrompaient dans les rues. Partout se répandit la contagion, les villages se dépeuplèrent, les terres devinrent incultes, et le nom de cette année terrible s'y conserva sous celui d'année de la grande mort» (55). C'était l'an 1349.

À peine délivrée de la peste, la ville de Faverney subit une petite révolution. En ce milieu du XIVe siècle, dans le Comté comme dans le duché de Bourgogne que séparaient seulement les rives de la Saône, régnait une fièvre d'ardeur guerrière et d'ombrageuse indépendance (56). Secrètement travaillés par les douze prud'hommes qui, d'après le titre de 1260, étaient chargés de gérer les affaires communales, et que les abbés avaient laissé s'établir comme Nobles et Francs, selon l'expression de Dom Grappin (57), les bourgeois libres depuis quelques années avaient montré une certaine rébellion aux ordres de l'abbé et des religieux ; on avait découvert à temps certaines conspirations contre les propriétés de l'abbaye ; plusieurs fois les guerriers de la cité avaient refusé positivement de se soumettre aux ordres de chevauchée, c'est-à-dire de s'armer et de marcher contre les ennemis qui menaçaient les propriétés du monastère. Divers attentats sur les droits de juridiction et de police abbatiale s'étaient produits. Lors de la prise de possession seigneuriale par l'abbé Renaud de Helmont vers l'année 1352, une certaine effervescence générale se manifesta et des paroles plus ou moins aigres, accompagnées de sourdes rumeurs dans la foule, furent échangées durant la perception du droit de bienvenue. Depuis, les agents du fisc qui avaient amodié les droits de l'abbaye, en avaient profité en élevant de cinq sous à soixante sous l'amende pour refus de se servir ou du moulin, ou du four ou du pressoir du couvent ; des mesures vexatoires en opposition avec la charte d'affranchissement de 1260 avaient été établies par eux sans que l'abbé protesta : ainsi le droit de halles pour l'étalage des produits, marchandises ou denrées soit par les étrangers, soit même par les habitants hors de leurs boutiques ; ainsi le droit de rouage pour toute voiture chargée ou non qui passait dans les rues ; ainsi le droit de vente pour tout achat ou vente de bétail ; ainsi le droit d'éminage pour toute vente de grains. Or l'an 1355, sur un signe parti on ne sait d'où, un groupe de meneurs emplit le clocher de l'église paroissiale Saint-Bénigne, le tocsin fut sonné malgré l'opposition du curé et des prêtres familiers, tous les bourgeois et manants s'assemblèrent en armes sur la place auprès de l'église (58) ; et là, sous la direction des douze Nobles et Francs, une action immédiate et violente fut décidée pour réclamer les libertés violées. La foule armée se précipite aussitôt contre le monastère, les portes sont brisées, et l'abbé de Belmont insulté et même frappé (59).

Cette première révolte aussi grave et aussi préméditée méritait un châtiment exemplaire. Renaud eut pu avoir recours à la force, car le seigneur d'Amance, gardien et défenseur-né de l'abbaye, lui était tout dévoué. C'était alors le jeune comte ou damoiseau Jean II de Bourgogne (60). Mais il aima mieux temporiser. Ne pouvant ni calmer ni dominer ce flot populaire qui menaçait de l'engloutir, le seigneur-abbé le laissa tranquillement s'épandre insolemment dans toute sa fureur ; puis, dès que l'effervescence du premier moment fut apaisée, il proposa aux habitants de soumettre leurs différends à des arbitres. D'un commun accord, le gardien de l'abbaye Jean II seigneur d'Amance, et le seigneur de Blanc-mont ou Blamont, Thibaud de Neufchâtel son oncle et gardien du comté de Bourgogne, furent choisis (61). «Au mois de septembre de l'an 1355, le neuvième jour, a écrit Dom Bebin, à heure de tierce, sous l'indiction septième du pontificat du très-saint Père en Dieu et notre Seigneur Innocent, par la Providence divine pape sixième, l'on tint en la ville de Faverney, devant le grand autel de Notre-Dame de Faverney, en la présence des notaires publics de l'autorité impériale, et en présence des témoins nobles hommes et puissants Gaihier seigneur de Ray, Huart de Bauffremont seigneur de Scie, Guy de Vy, Jehan seigneur d'Amoncourt, Jacques de Vellefaux chevalier, Guyot seigneur de Genevrey et Henri de Genevrey écuyers, et plusieurs autres témoins à ce spécialement appelés, haut et puissant seigneur Thibault, sire de Blamont et de Neufchastel, d'une part, et Jehan de Bourgogne damoisel, gardien de l'église de Faverney, d'autre part, condamnèrent tous les habitants de Faverney à faire amende honorable à genoux devant ledit abbé leur seigneur, et à lui demander pardon des mépris et crimes par eux commis contre sa personne, et en outre à lui payer deux cents florins en trois termes ; et de plus pour punition et en haine des assemblées criminelles qu'ils avaient faites indûment au son de la cloche contre la juridiction et droit du seigneur-abbé, ladite cloche demeurera condamnée à ce qu'elle ne soit jamais sonnée ni qu'il en soit fait une autre, si ce n'est pour faire l'office divin» (62).

Il faut croire que cette première révolte des hommes libres de Faverney fut bien insolente, selon l'expression de Dom Bebin, et que les droits de l'abbaye avaient été criminellement méconnus par les prud'hommes, car ces douze Nobles et Francs furent condamnés également à subir la même humiliation à genoux que leurs compatriotes. Seule l'amende leur fut épargnée. Ces conditions morales et matérielles étaient certes bien dures. Cependant on peut dire qu'elles ne portèrent aucune atteinte sérieuse à la vitalité de la commune, car les arbitres eurent bien soin de spécifier que les chartes, privilèges et coutumes étaient maintenus «en leur force et vertu» (63). Après que les habitants de Faverney, forcés de rentrer dans le devoir, eurent confessé leurs torts, la paix et la bonne harmonie régnèrent a nouveau dans la seigneurie, sous la tutelle favorable et énergique du jeune prince Jean II. Ayant succédé à son père Henry avant l'âge de puberté, il avait voué une grande affection au monastère et donné toute son estime aux religieux. À l'abbé Renaud de Belmont il s'était particulièrement attaché, et, durant toute sa vie qui fut trop courte et «en toute rencontre, il ne cessa de lui donner des témoignages effectifs d'une bienveillance extraordinaire, tant pour sa personne que pour la conservation des droits et revenus de l'abbaye dont il était gardien» (64). Sa mort prématurée fut seule capable d'arrêter le cours de ses bienfaits. Le 6 décembre de l'an 1372, Jean II de Bourgogne mourut en effet à 35 ans dans son château fort d'Amance sur le point d'être achevé. Par son testament que furent chargés d'exécuter Thibaut de Neufchâtel seigneur de Blamont, Jean sire de Ray et Hugues de Vellefaux chevaliers, il favorisa encore le monastère au-delà du tombeau : il légua aux religieux 25 livres de rente pour un simple service annuel au jour anniversaire de sa mort, et tous les droits de justice et de seigneurie et de four banal qu'il possédait sur le village de Baulay. Et même, il leur prouva encore mieux son affection inaltérable pour le sanctuaire de Notre-Dame de Faverney puisqu'il voulut que «ses restes mortels reposassent jusqu'au grand jour sous ce parvis sacré, afin, disait-il naïvement, de n'être jamais séparé de ceux que j'ai tant aimés» (65). Ses obsèques solennelles ne furent célébrées à Faverney que le dimanche 12 mars 1373. Le duc de Bourgogne Philippe II le Hardi, fils du roi de France Jean II dit le Bon, comte de Flandre et d'Artois et seigneur palatin de Salins, voulut lui-même venir à Amance pour conduire le deuil aux obsèques de son cousin du comté de Bourgogne. Tous les hauts barons suivirent le corps du noble prince qui fut seigneur d'Amance, de Montaigu près Vesoul, de Fontenoy, de Chemilly, de Fondremand, de Liesle, de Chissey et de la terre de Vallouhais. Selon ses dernières volontés, il fut inhumé au bas des degrés qui montent actuellement au presbytère, un peu à côté de l'évangile (66).

L'année qui suivit les obsèques de feu Jean II de Bourgogne, mort «sans hoirs habiles à lui succéder», c'est-à-dire sans enfants, l'abbé Renaud s'aperçut bien vite qu'il ne rencontrerait pas désormais un gardien «semblable n'y qui lui puisse être plus affectionné», car le nouveau seigneur d'Amance, messire Thibaud de Neufchâtel, «époux de Madame Marguerite de Bourgogne, sœur germaine et héritière dudit feu Jean», depuis son arrivée lui avait maintes fois témoigné la plus profonde antipathie. Aussi pour détourner l'orage qui menaçait Faverney, il aima mieux renoncer à l'abbaye, et, sur l'autorisation de la Chaise-Dieu, il permuta avec l'abbé de Saint-Vincent de Metz, Henry de la noble maison de Vienne (67).

Durant les dernières années du XIVe siècle, l'abbaye de Faverney subit encore la malchance d'être gouvernée par deux prélats non résidants, Henry de Vienne qui, au lieu du bon exemple et de l'instruction qu'il devait à ses moines, entreprit par un zèle mal entendu le pèlerinage de Jérusalem et la visite des Lieux-Saints, puis Liébaud de Cuisance évêque de Verdun, qui, ne trouvant pas suffisants les revenus de son évêché, profita de ses influences familiales auprès du pape français Clément VII, résidant à Avignon, pour obtenir en commende, c'est-à-dire en jouissance des revenus sans être tenu à la résidence, la terre abbatiale de Faverney. Toutefois, après dix années d'un gouvernement alors nouveau dans l'église et très préjudiciable à tous les intérêts spirituels et matériels, le pontife de Verdun comprit qu'un évêque se devait à son diocèse et un abbé à son couvent, et il écrivit au supérieur de la Chaise-Dieu Pierre Perrexi pour lui demander un successeur (68). Le choix de la maison mère ne laissa cette fois rien à désirer. L'abbé Pierre, guidé moins par son attachement pour sa famille que par les mérites réels de son candidat, disposa de ce riche bénéfice en faveur d'Étienne Perrexi dit de Lille, son proche parent. Celui-ci avait été religieux profès et sacristain au monastère de Luxeuil, puis à Faverney : c'était ainsi répondre au désir si souvent et si inutilement exprimé des moines de notre abbaye, depuis la nomination en 1319, de l'auvergnat Dalmace de Riom.

Dès les premiers jours de son avènement en 1396, il eut à déployer son zèle pour la conservation des droits des religieux dont il était devenu le père. Les officiers du duc et comte de Bourgogne, Philippe le Hardi, avaient taxé Faverney à l'occasion de la rançon du comte de Nevers fils aîné du duc, fait prisonnier en Hongrie en combattant les Turcs devant Nicopolis ; en 1399, ils exigèrent à nouveau des subsides pour le mariage d'Antoine de Bourgogne, comte de Rethel et frère cadet du comte de Nevers. L'abbé Perrexi allégua les immunités de son couvent, et obtint, grâce à ses vives instances auprès de Philippe le Hardi, des lettres-patentes données à Paris, le 5 janvier 1402, par lesquelles ordre était transmis aux trésoriers de Dole et de Vesoul, ainsi qu'à tous les justiciers du pays de Comté, d'avoir à tenir compte désormais des libertés et franchises de l'abbaye de Faverney, et d'accorder un délai suffisant pour le paiement privilégié de la seule rançon du prince, «voulant que ces religieux soient favorablement traités, afin que toujours ils soient plus enclins à vaquer et entendre diligemment au divin sacrifice» (69).

La grande réputation d'habileté et de sainteté d'Étienne Perrexi lui valut de pouvoir plus facilement amener ses puissants vassaux et sujets, tels que les seigneurs de Vergy, de Cicon, de Lambrey, d'Aubonne, de Frotey, de Jaquelin, de Saint-Mauris et de Saint-Remy, à rendre foi et hommage à son église et à verser les dîmes seigneuriales au monastère. Son grand mérite inclina même le pape Jean XXIII à lui accorder une marque bien glorieuse de son affection spéciale. Par un bref daté de Bologne, la première année de son pontificat (1410), le Souverain Pontife déclare vouloir récompenser les grandes vertus de l'humble abbé Étienne, et lui accorde pour lui et ses succeseeurs le privilège, bien rare alors, de porter l'anneau, d'officier la mitre en tête et la crosse en main, et de donner pontificalement au peuple, soit à l'église de Faverney soit dans toute autre église prieurale ou paroissiale y dépendante, la bénédiction solennelle après chaque office, pourvu toutefois qu'aucun évêque ni légat du Saint-Siège ne fût présent à la cérémonie (70).

Le cœur d'Étienne Perrexi ne s'enfla point de la distinction dont on couronnait son mérite. Il l'accepta comme un titre de gloire pour son abbaye et il sembla même donner un plus grand essor à la tendresse qu'il avait pour ses frères et à sa bienveillance envers les sujets de sa seigneurie. Ayant obtenu par son influence la réunion du prieuré d'Hautevelle, il profita de ce nouvel accroissement de biens pour décharger les habitants d'Arbecey, qualifiés du titre de «sujets originels de l'abbaye» (71). Malgré la détresse dans laquelle il se trouvait alors, puisque l'acte de réunion (1410) porte que les revenus de Faverney suffisaient à peine pour nourrir les neuf moines qui vivaient sous ses ordres, l'abbé Perrexi n'hésita pas à tendre la main à ses sujets plus pauvres que lui. Il réduisit donc la dîme primitive et se contenta d'une gerbe sur dix au lieu de sept (72).

Étienne n'était pas seulement un administrateur de premier mérite, mais il était surtout un modèle comme religieux. Il joignait aux qualités de l'esprit les vertus chrétiennes, on pourrait dire la perfection du christianisme. Jamais et dans aucun temps l'abbaye de Faverney n'avait resplendi d'un aussi vif éclat. Tous les moines, alors malheureusement trop peu nombreux et formés par ses soins, avaient acquis à l'école de cet excellent maître les vertus et les qualités qui font les hommes de gouvernement, et les saints religieux. Ainsi en fut-il de Jean de Chassey, de Vauthier de Chemilly et de Jean de Colombey qui fut choisi pour sacristain de Luxeuil avant d'être élu successeur immédiat de l'abbé Perrexi. Un autre moine natif de Faverney, plus illustre encore que Jean de Colombey, Guy Briffaut devint pitancier du monastère en 1401, prieur de Relanges en 1417, et abbé-prince de Luxeuil en 1431, après la mort de l'abbé Étienne Perrexi. Celui-ci, en effet, ne mourut pas à Faverney. L'an 1418, le pape Martin V le confirma sur le siège abbatial de l'antique monastère de saint Colomban où, durant six années, il édifia ses nombreux religieux par sa sainteté de vie, la générosité de son cœur et sa patience inaltérable au milieu des plus dures épreuves (73).

Jean II de Colombey, son disciple au zèle actif et vigilant, fut élu à sa place comme abbé de Faverney. Personne mieux que lui qui y avait vécu en simple moine, n'était au courant des droits de l'abbaye et nul n'était plus à même de les faire respecter. Mais nul aussi ne connaissait plus intimement l'esprit de la bourgeoisie de Faverney. C'est pourquoi dès les premières années de son règne, en 1422, le seigneur d'Amance Jehan de Neufchâtel ayant élevé des prétentions au sujet de certaines dîmes qu'il disait être en droit de percevoir sur Faverney, les bourgeois libres de la cité allèrent implorer à nouveau la clémence du seigneur-abbé, le suppliant d'oublier les torts de leurs ancêtres révoltés et de leur permettre de se réunir en assemblée générale afin d'élire des procureurs, selon leur coutume immémoriale (74). Jean de Colombey se souvenant des leçons de son maître en Dieu Étienne Perrexi, le consulta, et fort de son assentiment il publia, en témoignage d'affection après la mort de l'abbé Étienne, des lettres de licence octroyées aux habitants le 24 juillet 1428. «Par vertu et auctoritey du R. P. en Dieu et signour frère Jehans de Colombey, abbé du monastère de Notre-Dame de Faverney», soixante douze hommes libres, «faisant la plus grant et saine partie desdits habitans de ladite ville, tant en leurs noms qu'en celuy des aultres habitans absens, constituer, ordonner et estaublir leurs procureurs généraux pour garder et deffendre ès assises qui se tauront au lieu d'Amance, les droits actions, raisons, coustumes, usaiges, propriétés, saisines, possessions, libertés et franchises à eulx lesdits habitans» (75).

Cette concession bienveillante de l'abbé Jean à l'égard de son peuple, ne l'empêcha pas de revendiquer énergiquement ses droits contre les usurpateurs. Le monastère avait toujours joui du privilège immémorial d'avoir des maires héréditaires ou intendants qui, dans certains villages de la seigneurie, possédaient la basse justice et ne devaient garder pour eux que la huitième partie des amendes (76). Ainsi en était-il à Amance, Arbecey, Baulay, Buffignécourt, Cubry-lès-Faverney, Menoux, Mersuay, Purgerot et Venisey. En plus, ces dix maires anoblis et écuyers étaient tenus de se trouver en armes, à la tête de leurs vassaux, à Faverney les jours de foire et à la fête de l'Assomption, puis de lever eux-mêmes les tailles et redevances dues au monastère et d'en rendre un compte exact aux religieux. Mais depuis plus d'un siècle, toujours sous la même poussée de liberté, ces bourgeois anoblis, excités surtout par le vicomte héréditaire de Buffignécourt, avaient usurpé tous les droits d'amende, et par fierté se refusaient à paraître aux montres d'armes. Grâce au zèle infatigable de l'abbé Jean II, l'Official de Besançon par une sentence définitive en 1432 maintint tous les droits de Faverney (77).

Jean II de Colombey, dit Dom Grappin, «vécut trop peu pour le bien de son Eglise». Il mourut vers le commencement de l'année 1439, et alors va s'écouler un demi-siècle durant lequel les abbés de Faverney, les bandes anglaises d'écorcheurs aussi bien que la politique du roi de France Louis XI, vont amener à nouveau la décadence morale, matérielle et religieuse dans notre monastère à peine relevé.

La noble famille de Jacques de Buffignécourt qui, en qualité de maire héréditaire, tenait ce village en fief de l'abbaye, n'avait cessé depuis près d'un siècle de s'arroger la totalité des amendes faites sur le territoire de la commune. Froissée dans son orgueil par la sentence récente de l'Official et ne voulant pas rendre ce que sa rapacité lui avait acquis et elle profita de la mort de l'abbé de Colombey pour se venger. À force d'intrigues auprès de l'antipape Amédée VIII, duc de Savoie, homme simple et bon, mais sans énergie, qui durant dix ans, sous le nom de Félix V, ne fut reconnu que par trois ou quatre royaumes, la famille des vicomtes de Buffignécourt parvint à faire élever à la prélature de Faverney un moine de Cluny leur parent. Ni l'abbaye de la Chaise-Dieu ni les religieux de notre monastère ne furent appelés à donner leur assentiment ; et pour bien affirmer le caractère spécial de son élection, le nouvel abbé se qualifia, comme on le voit dans un titre de 1444 : «Pierre VI, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège de Rome, humble abbey du Monastère de Faverney». Aucun de nos abbés-seigneurs, remarque Dom Grappin, n'avait dit la même chose avant lui. Ce moine indigne, complice de sa parenté, livra à Guillaume de Buffignécourt tout ce qu'il put du propre patrimone de ses religieux, les menaçant même, s'ils ne consentaient à ses ventes simulées et à ses mi-partages, de leur retirer «les prébendes et pitances de chair, œufs, poissons et autres vivres». Alors les bénédictins de notre abbaye, fidèles observateurs de leur règle sévère et se souvenant des récents exemples des abbés Étienne et Jean II, pratiquaient les jeûnes absolus de l'Avent, du Carême, des Quatre-Temps, des vigiles et veilles de bonnes fêtes. Ils observaient l'abstinence du mercredi, du vendredi et du samedi. Mais démoralisés par les prétentions injustifiables de Pierre VI, ils en vinrent à se plaindre aux habitants et le scandale de l'enfer intérieur du couvent devint public (78).

Par surcroît de malheur, en l'an 1444 les Écorcheurs s'abattirent sur la Comté. C'étaient des bandes d'aventuriers, composées en partie de soldats anglais qui avaient été licenciés après le traité d'Arras, lorsque la sainte et héroïque Jeanne d'Arc eut arraché la France des griffes du léopard anglais. Les excès inouïs auxquels, durant dix années, ces soudards, au service du Dauphin de France qui plus tard devait être Louis XI, se livrèrent successivement en Alsace, en Lorraine et enfin en Bourgogne, leur valurent le nom terriblement significatif d'Écorcheurs «Thomas Basin, a publié M. Tuetey, archiviste aux Archives nationales de Paris, rapporte que ces gens de guerre reçurent cette qualification fameuse par suite de leur acharnement à tout détruire, à tout renverser jusqu'aux maisons qu'ils démolissaient au ras du sol.» Quant aux infortunés habitants qui ne pouvaient se protéger contre leur fureur, ils les mettaient littéralement à nu. «Ils attachaient les paysans aux branches des arbres, a écrit M. le président Clerc, et allumaient un feu clair sous leurs pieds. Ils ne respectaient pas plus les saints autels, dont ils brisaient les tabernacles et enlevaient les ciboires.» Au mois d'avril 1444, l'armée des routiers-écorcheurs, surnommés encore les Armagnacs, se rassemblèrent sur la frontière au nord du Comté et ravagèrent tous les villages situés entre Jussey, Faverney et Champlitte. L'abbaye elle-même fut rançonnée et livrée au pillage, ses religieux furent maltraités et ne conservèrent la vie qu'au prix des plus grands sacrifices, de sorte que pendant plusieurs années, ils se trouvèrent réduits à une pénitence d'autant plus dure qu'elle n'était rien moins que volontaire (79).

En 1458 mourut enfin l'indigne abbé Pierre VI de Buffignécourt ; et le monastère des bénédictins, semblant voué à une nécessaire décadence pour préparer les voies mystérieuses de la régénération, fut encore gratifié d'un jeune moine de 27 ans, profès également au monastère de Cluny, et nommé semblablement par le Souverain Pontife sur les instances de sa famille qui, noble et intrigante, était une de celles à qui l'on ne refusait rien. C'était Philippe le Friand, fils d'Étienne le Friand, noble écuyer de Faverney et bailli de Jehan de Neufchâtel, seigneur d'Amance. Hélas ! son gouvernement ne se signala que par sa dureté à l'égard de ses sujets, ruinés déjà par les ravages des Ecorcheurs. Afin d'obtenir la taxe de bienvenue s'élevant à 100 florins d'or, il les força, à l'encontre du traité de garde de 1295, d'aller en justice devant le seigneur d'Amance, puis devant le tribunal du bailliage d'Amont siégeant à Vesoul et enfin devant le parlement de Dole. La ville de Faverney fut contrainte le 23 avril 1474 de payer les 100 écus de bon or exigés comme cadeau d'arrivée (80).

Pour comble d'infortune, en cette même année le châtiment de Dieu s'abattit sur la Comté et en particulier sur Faverney et son abbaye. D'un côté 10.000 aventuriers lorrains, suisses et alsaciens, sous les ordres de Jean de Châlons seigneur d'Arlay, s'avancèrent à travers la Bourgogne jusqu'aux portes d'Amance et de Faverney, mettant tout à feu et à sang sur leur passage. D'un autre côté, Nicolas de Diesbach, chef des alsaciens révoltés contre ledit comte de Bourgogne Charles le Téméraire, faisait irruption en Comté à la tête de 16.000 hommes et tentait par un coup de main hardi de s'emparer de Faverney et de sa riche abbaye. D'autre part, le roi de France Louis XI, pour faire une diversion en faveur des Suisses ses alliés, jetait sur notre infortuné pays une armée française commandée par Georges de la Trémouille, seigneur de Craon et gouverneur de la Champagne. Faverney fut encore attaquée et résista pour la troisième fois. Mais une quatrième fois, les troupes françaises et lorraines du duc René s'élancèrent sur le comté de Bourgogne et s'emparèrent de Faverney qu'ils saccagèrent. Ce n'était pas la fin de nos malheurs ! Quatre ans après, à peine l'abbé Philippe le Friant était-il descendu dans la tombe, le 1er février 1478, que le roi Louis XI, pour se venger du mariage de la princesse Marie de Bourgogne, unique héritière du duc Charles le Téméraire, avec l'archiduc Maximilien d'Autriche, lança à nouveau sur notre malheureuse Comté une armée de soldats forcenés que commandait le cruel et sanguinaire Charles d'Amboise. La plupart de nos cités furent prisés et ruinées, et dans l'abbaye de Faverney 1500 gentilshommes dauphinois avaient fixé leurs quartiers pour courir le pays d'alentour. Bientôt les campagnes environnantes furent sans ressources, toutes les récoltes avaient été la proie des flammes (81).

Ce fut sans doute pour obtenir plus efficacement aide et protection de la puissante et riche famille des Neufchâtel que les sept bénédictins survivants s'assemblèrent capitulairement et élurent pour successeur à l'abbé le Friant l'archevêque même de Besançon, Charles de Neufchâtel, fils du seigneur d'Amance leur gardien, Jehan de Neufchâtel-Montaigu, chevalier de la Toison d'or et lieutenant-général au duché et comté de Bourgogne. Cet abbé-archevêque ne fut que deux ans commendataire, aussi bien que l'abbé Étienne Morel qui lui succéda. Ce dernier, issu d'une famille noble et comtoise, était docteur en droit et en décrets. D'un esprit fort distingué il avait été successivement doyen du chapitre de Mâcon, chanoine des églises cathédrales de Lyon, protonotaire apostolique et enfin dataire à la Cour de Rome, où il était tenu en haute estime par le pape Sixte IV. Déjà abbé-prieur de Berne et d'Ambournay, il cumula quoique non résidant la charge abbatiale de Faverney ; et après deux années aussi, il permuta avec l'abbé de Bèze Simon de Saint-Seine dont les deux frères, Pierre et Simon de Saint-Seine, étaient seigneurs de Senoncourt et de Rosières. Mais quatre ans après il démissionna, donnant par testament la moitié de toutes les censes qu'il avait acquises, soit à Bèze soit ailleurs, à l'abbaye ruinée et déserte de Faverney : il n'y avait plus que quatre religieux (82).

Tout le pays de Comté était alors dans l'état le plus déplorable. Les paysans épouvantés par les guerres incessantes ne savaient plus où trouver un abri sûr ; les plus hardis défendaient vaillamment leur vie ; les autres hors d'eux-mêmes s'enfonçaient dans les forêts, d'où la faim ne tardait pas à les faire sortir ; quelques-uns dans leur désespoir tuaient leur femme et leurs enfants ; un grand nombre d'autres auxquels on avait pris leur bétail, s'attelaient eux-mêmes à la charrue avec leur famille ; certains, de crainte qu'on ne saisisse leurs bœufs, ne labouraient leurs champs que la nuit. À ces calamités, causées par les pillages des soudards, s'était jointe la famine. «En ces années il fit grand chier temps au comté de Bourgoigne... L'on ne pouvait visvre pour l'argent, pour quoi plusieurs pauvres gens moururent de faim... Il en mourut beaucoup tant à Lure qu'à Luxeu qu'autre part du voisinage. La mortalité fut telle à Viliers-sur-Sey (Villersexel) et en la paroisse qu'il s'il était encore mort une personne, l'on ne l'eust seu mettre au cimetière, ains (mais) l'eut fallu emmener à Villers-la-Ville» (83).

«Faverney sûrement, dit Dom Grappin, n'avait point échappée aux guerres, aux incendies, aux pillages si fréquents dans ces temps malheureux». Si ses quatre moines survivants avaient pu s'abriter derrière les murs de la puissante forteresse du gardien d'Amance, ils n'avaient pu empêcher ni la ville de Faverney ni son abbaye ni son église d'être pillées. Le temple paroissial Saint-Bénigne fut tellement ruiné qu'il fallut l'abandonner pendant un assez long espace de temps. Le portail aussi bien que les verrières de l'église abbatiale et le cloître furent «tout gastez» ; les soldats ennemis dérobèrent «les missels, graux livres de chœur, vestements et aultres choses nécessaires à servir en l'église de l'abbaye.» Les moulins, tuileries, granges, maisons, édifices, vignes et héritages de ladite abbaye furent tout désolés et désertés. Les religieux eux-mêmes manquèrent des choses nécessaires à la vie, et cela à tel point que l'abbé commendataire Étienne Morel ordonna par lettre à son prieur claustral frère Jean Charles, en 1482, de vouloir bien «dorénavant et jusque les dits vivres soient alaigez et à moinsdre prix venir boire et manger et faire votre dépense» en commun dans l'hôtel et aux frais du dit seigneur-abbé absent (84).

Mais hélas ! ce n'était pas seulement au temporel que notre monastère de Faverney était bien déchu : les ruines morales et religieuses s'étaient accumulées aussi, soit par suite des malheurs des temps soit surtout par l'absence même des abbés commendataires, qui, depuis les règnes néfastes de Pierre VI de Buffignécourt et Philippe le Friant, n'avaient pas mis le pied une seule fois à Faverney durant 12 ans. Toute dicipline avait disparu ; «la décence et l'aménité de caractère avaient fait place à la férocité des mœurs et à l'effronterie», ainsi parle Dom Grappin. Les religieux ne couchaient pas dans le dortoir ; ils ne prenaient plus leurs repas dans un réfectoire commun, mais dans leurs chambres particulières, et quelquefois avec des séculiers ; ils ne faisaient pas la lecture et n'observaient plus le silence prescrit ; ils allaient en ville et y mangeaient sans permission ; en un mot «leurs vies libertines et scandaleuses» prouvaient bien que ces quatre moines n'avaient plus de religieux «que l'habit», ainsi parle également Dom Bebin (85).

C'en était fini encore une fois de l'abbaye des moines bénédictins, comme trois siècles et demi auparavant avait fini misérablement l'abbaye des sanctimoniales. Mais Dieu veillait sur le monastère privilégié, quoique bien indigne, qui, cent ans plus tard, allait devenir le lieu d'une des plus prodigieuses manifestations eucharistiques dans la vie de la sainte Église romaine. Ce fut par Rome que la Providence intervint. Guy, noble fils de Jean de Lambrey seigneur de Sorans et de la vertueuse Jacqueline d'Orsans, après avoir acquis son grade de docteur en droit, était allé à Rome recevoir les ordres sacrés. Prêtre aussi pieux qu'affable, secrétaire très versé dans le maniement des affaires, il s'était acquis une si grande réputation à la Cour du pape Innocent VIII, que le cardinal de Frascati, archevêque de Fuscan, se l'était attaché comme familier et en avait fait son conseiller et son ami. Pourvu par sa haute protection l'an 1486 du titre abbatial de Faverney, tout proche du manoir paternel, l'abbé Guy voulut immédiatement agir en fils respectueux des droits de la maison mère, méconnus depuis quarante ans. À peine nommé, il prend le chemin de l'Auvergne et va déposer sa crosse aux pieds du R. Père abbé Renaud, qui le reçoit avec tous les égards dûs à l'élu du pape et à ses grands mérites. Causeur charmant, administrateur hors ligne, pieux et humble prêtre, l'abbé de Lambrey conquit tellement l'estime du supérieur de la Chaise-Dieu, que celui-ci le nomma vicaire général de tout l'Ordre avec pleins pouvoirs sur les abbayes et prieurés de la Bourgogne, de l'Allemagne, de la Savoie, de la Lombardie et de l'Italie (86).

Ce fut donc sous cette auréole de «prélat selon le cœur de Dieu» qu'il vint se fixer au milieu de ses moines à réformer et dans une abbaye dont les biens avaient été en majeure partie dilapidés par les seigneurs voisins. En administrateur habile, il commença par frapper un grand coup ; il s'adressa directement au roi de France Charles VIII, qui régnait alors sur le comté de Bourgogne, en raison de son alliance arrêtée avec la comtesse palatine, fille de l'archiduc Maximilien d'Autriche. Par une lettre de relief datée du 3 mars 1491, le roi ordonne et commande à ses officiers de faire rendre «aux religieux dudit lieu de Faverney» tous les biens qui leur ont été enlevés pendant les guerres malheureuses qui ont désolé cette province de son royaume, et en outre il décharge Faverney «de toutes redevances et subsides» envers la Couronne pendant toute la durée de son règne, afin de le dédommager des pillages dont cette abbaye a été victime chaque année depuis le commencement de ces luttes déplorables. Grâce à ces restitutions, l'aisance remplaça la disette, les greniers du monastère se remplirent et, après cinq années de la sage direction de l'abbé Guy, les tristes traces laissées par la guerre avaient presque disparu. Seule la vie monastique laissait encore à désirer (87).

Contrairement à la méthode déplorable suivie dans le passé par la maison mère de la Chaise-Dieu, le nouveau superieur général Jacques de Senneterre voulut appuyer de toute son autorité les louables efforts de Guy de Lambrey. Au chapitre général de l'Ordre il fit rendre une ordonnance par laquelle il était enjoint aux religieux de Faverney «de se rendre deux fois chaque jour au chapitre du monastère, de coucher au dortoir, de ne plus courir en ville et d'y manger sans la permission du prieur, de prendre leurs repas en commun et non pas dans leurs chambres en la société des séculiers, d'observer le silence et de reprendre la lecture pendant les repas, et en outre de distribuer les restes de chaque repas aux pauvres du Christ» (88).

Malheureusement le zélé prélat de Faverney avait un tort assez grave : bien loin de résider au milieu de ses religieux dévoyés et de les stimuler par son exemple journalier, il s'absentait assez souvent du monastère pour aller séjourner dans la cité archiépiscopale de Besançon ; en prévision de guerres ou de pillages éventuels, il y avait même fait transporter les objets les plus précieux du couvent, tels que les ornements, les vases sacrés et les meubles de prix. Il était donc dans cette ville lorsqu'il reçut de Jacques de Senneterre et la notification de l'ordonnance de la Chaise-Dieu et l'injonction formelle de résider désormais à Faverney, afin de veiller par lui-même à son accomplissement. Retenu encore à Besançon pour quelque temps, Guy de Lambrey crut bien faire en s'empressant de transmettre les ordres de la maison mère à ses religieux, et il chargea le frère Désiré de Scye, son prieur claustral, de tenir la main à ce qu'ils fussent observés. Mal lui en prit. Au lieu de recevoir sinon avec empressement, du moins avec respect les règles imposées, les quelques moines de l'abbaye affectent de n'en tenir aucun compte ; bien plus le frère Désiré, ayant parlé de correction, les malheureux se rient de ses menaces, l'injurient, et l'un d'eux plus exalté, frère Jean Ballet s'oublie jusqu'à frapper le prieur. Cette scène si déplorable ne fut pas la seule ni la plus grave. Le dernier dimanche avant la fête de la Toussaint 1514, le supérieur, ayant réuni ses religieux toujours insoumis pour la plupart, les supplie les larmes aux yeux de réparer par une vie plus régulière les scandales connus de la ville entière, et s'adressant plus spécialement à l'un des meneurs, il l'appelle par son nom. Ce frère Philippe Cabudet, en s'entendant nommer, sort un poignard qu'il tenait caché sous son froc et le plonge dans la poitrine de l'infortuné prieur qui tombe baigné dans son sang. «Peut-être aurais-je pu tirer un voile impénétrable sur ces désordres», dirai-je moi-même en me servant des propres expressions des deux meilleurs historiens de Faverney, Dom Bebin et Dom Grappin (89); certainement si la vérité et l'impartialité n'étaient l'âme, la fin et le but de l'Histoire, j'aurais dissimulé ces faits déshonorants et je les aurais déguisés en cet endroit pour sauver la réputation de ce pauvre monastère. Mais puisque Dieu ne fait rien que pour le meilleur et qu'il ne permet les choses que pour sa plus grande gloire et le bien de ses créatures, il ne faut pas craindre de dire la vérité et d'exposer les faits comme on les trouve, afin de bien montrer l'état lamentable où la rage de l'enfer s'acharnait à maintenir l'abbaye de Faverney, au fur et à mesure que les siècles la rapprochaient de ses destinées glorieuses et eucharistiques.

Aussitôt que Guy de Lambrey eut connaissance de cet attentat sacrilège contre son prieur claustral, il comprit clairement, quoique tardivement, que la place d'un père-abbé est au milieu de ses frères et fils religieux, et que sa résidence habituelle à l'abbaye eut peut-être suffi à empêcher bien des désordres. Il quitta donc Besançon après un séjour de dix ans, bien résolu à consacrer toutes ses forces pour rétablir l'antique discipline monastique et redonner à Faverney quelque chose du lustre dont elle avait brillé autrefois. L'abbé Guy, toujours prêtre pieux et humble, fut vite devenu un bénédictin de grande valeur ; à une vie exemplaire, à une grande pureté de mœurs, à une science éminente, il joignit une incontestable habileté dans la connaissance des hommes et du gouvernement. Parlant bien, commandant avec bonté, il se montra peu exigeant dans les commencements, comprenant que pour agir sur des natures aussi sauvages que celles de ses religieux dévoyés et réfractaires, il lui fallait non moins d'indulgence que de patience. Le succès qui ne manque jamais à celui qui sait agir et attendre, ne tarda pas à récompenser les efforts persévérants du digne abbé. Peu à peu les esprits effarouchés revinrent à la raison, insensiblement l'ordre intérieur se rétablit, la Règle bénédictine fut observée, et ces moines, si longtemps hors de la voie, comprirent enfin le besoin de rentrer dans le chemin de la vie sainte et devenir pour Faverney un sujet de bonne edification (90).

L'abbé de Lambrey, voyant que Dieu avait béni sa vie claustrale et résidente, et comprenant qu'un monastère ne peut prospérer qu'autant que le spirituel et temporel marchent de front, tourna alors sa sollicitude du côté des bâtiments à demi-ruinés de l'abbaye et de ses dépendances. Il fit recouvrir à neuf les cloîtres et l'habitation des religieux, réparer les deux moulins ainsi que les fours banaux de Faverney, construire une scierie, et en plus il acheta une grange qui touchait au couvent avec ses jardins et ses vergers. Ensuite il remit en état la maison et la grange d'Andilly, les deux étangs, le moulin, le four et la grange d'Arbecey ; à Baulay un étang, un four et le moulin Charmont ; à Buffignécourt un four et une grange ; à Cubry le four, l'étang, le moulin et la tuilerie ; puis les fours de Fleurey et de Menoux ; enfin à Poiseux un moulin et un étang (91).

Sa sollicitude paternelle ne laissa pas en défaut sa vigilance seigneuriale. En 1515, la ville de Faverney n'avait pas cessé d'être ce qu'elle était déjà au commencement du VIIe siècle, je veux dire un lieu fortifié, entouré de murailles, de tours et de fossés. L'ancien castrum, lors du supplice de l'infortuné patrice Wulf, n'était pas notablement changé. Le périmètre ou pourtour des remparts de quatre mètres d'épaisseur commençait à la «Porte basse vulgairement dite la Desseur» située au coin de la rue «Derrière les murs», et se dirigeait en montant vers le cimetière actuel, parallèlement à la rue des Rios ou des Ruaux, pour se terminer à la «Porte de Cubry». De là, le mur d'enceinte redescendait la colline pour aboutir à l'antique tour de Wulf et atteindre par échelons successifs le cours d'eau de la Lanterne auprès du moulin. À cet endroit, le rempart bordait la rivière, puis s'éloignait vers l'abattoir actuel, et, par la «rue des Glacis» qui autrefois n'était que l'immense pré marécageux du Breuil, rejoignait la tourelle de la «Porte Basse» (92). Ainsi le «lieu dit de la ville de Faverney» avec sa chemise de courtines, garnies de créneaux et flanquées çà et là de meurtrières, était une sorte de forteresse dont les tours pleines, bien percées de meurtrières et couronnées de mâchicoulis, avaient maintes fois résisté aux armées ennemies. Mais durant les dernières guerres, les fortifications avaient été renversées sur plusieurs points, et le seigneur-abbé, depuis bientôt vingt ans, en considération de la grande misère de son peuple, n'avait pas exigé que ces brèches fussent réparées. Toutefois au commencement de ce XVIe siècle, les querelles qui s'élevaient depuis quelque temps entre les maisons souveraines de France et d'Autriche faisant naître de vives inquiétudes, l'abbé Guy de Lambrey demanda l'appui de Ferdinand de Neufchâtel, seigneur d'Amance, pour remettre en état de défense sa cité abbatiale. Le tout-puissant gardien de l'abbaye, par mesure de prudence, contraignit donc en 1515 les habitants de Faverney à réparer «les murs, fortifications et emparements», afin qu'en cas de guerre la ville et monastère fussent hors de danger (93).

Guy de Lambrey, sentant la mort approcher, mit ordre à ses affaires, et comme il désirait avant tout s'occuper de sa «pore âme», il fonda dans son église abbatiale une messe basse qui devait se célébrer chaque jour, à six heures du matin, dans la chapelle de Saint-Jean. Cette messe de Lambrey, comme on l'appelait, était annoncée par le son de la grosse cloche qui tintait quinze coups ; elle était suivie de la récitation de trois collectes ou oraisons pour les trépassés, dont une était consacrée à la mémoire de l'abbé (94). Après avoir administré son abbaye pendant l'espace de 35 ans avec un zèle, une prudence et une sagesse au-dessus de tout éloge, il s'endormit pieusement dans le Seigneur le 6 juillet 1520. Le nécrologe du monastère, ajoute Dom Grappin, dit de cet abbé «qu'il était recommandable par sa doctrine, par sa piété, par l'intégrité de ses mœurs ; que la gravité et la modestie lui étaient comme naturelles et qu'il fut infatigable dans les observances régulières» (95).

À la disparition de l'abbé Guy, notre abbaye de Faverney ne comptait encore que six religieux, à savoir : Messire Loys de Lambrey sacristain, Charles de Mont Saint-Ligier, Philippe Galandet, Jean Millot, Loys Carmillé et Jehan Patouillet. Moines fervents et exemplaires, ils eurent sans doute recours à la maison mère de la Chaise-Dieu pour obtenir de suite un abbé. Mais rien ne nous prouve qu'on s'occupa d'eux alors, et nous constatons à nouveau un interrègne de trois à quatre ans, durant lequel Faverney est administrée par une sorte de triumvirat, composé d'un chanoine de Besançon Désiré Morel, d'un maître des requêtes de la cour souveraine à Dole Jérôme Vignet, et de Nicolas Perrenot conseiller au même Parlement (96). Cette direction plutôt administrative que spirituelle cessa en 1524 par l'intervention du nouvel empereur Charles d'Autriche, si connu depuis dans l'Histoire sous le nom de Charles-Quint. Sa mère Jeanne la Folle, archiduchesse d'Autriche, la fille des rois catholiques Ferdinand et Isabelle, duchesse douairière de la Savoie, comtesse palatine de notre Comté et gouvernante des provinces des Pays-Bas, avait placé à la tête de son conseil privé de Bruxelles Claude de Boisset, ancien professeur de théologie dans l'université de Dole, conseiller-clerc au Parlement de la Comté, grand archidiacre d'Arras, abbé de Notre-Dame de Tournay, doyen des églises de Dole et de Poligny, prévôt de Malines, et choisi déjà par Charles-Quint comme conseiller et maître des requêtes ordinaires de son hôtel «à cause, dit Dom Bebin, de la force de son esprit et de ses autres belles qualités». Ce fut à lui que le Souverain Pontife Clément VII donna en commende l'abbaye de Faverney l'an 1524 (97).

Obligé de résider à Bruxelles à cause de ses fonctions auprès de l'archiduchesse souveraine, le nouvel abbé de Boisset, «l'un des rares et excellens hommes de son temps», pourvut autant qu'il le put à la direction de ses religieux et de sa seigneurie en donnant à son frère Guillaume de Boisset, conseiller de l'empereur et son trésorier pour les villes de Besançon, Vesoul, Luxeuil et Faucogney, une procuration spéciale quant au matériel, et en établissant Messire Loys de Lambrey, sacristain de l'église abbatiale, comme «son vicaire général in spiritualibus» (98).

Mais bientôt informé que «la communauté de ses sujects de Faverney et d'Arbecey, aussi bien que le seigneur de Conflandey et surtout le gardien seigneur d'Amance, à raison de son absence», entreprenaient et usurpaient par trop les droits de ladite abbaye, il demanda et obtint de l'archiduchesse Jeanne l'autorisation de se rendre à Faverney où il séjourna un an. Fort de son droit seigneurial, mais bienveillant dans son application, il concéda à ses sujets hommes libres la faculté de passage dans le grand pré, «appelé le Breuil de Monseigneur de Faverney» (99). Quant aux prétentions abusives des seigneurs d'Amance, soit d'abord «la bonne fille spirituelle et gardienne de l'Eglise de Faverney» Anne de Neufchâtel, fille et seule heritière de Ferdinand de Neufchâtel défunt et épouse de Messire Jean de Longwy, soit plus tard l'impétueux et audacieux chevalier Marc de Rye, seigneur de Dissey, Montaigu et Bourguignon, l'abbé Claude de Boisset, revenu pour la seconde fois dans son abbaye, s'adressa directement à son magnanime maître «l'Invincible Monarque, toujours auguste et victorieux Charles-Quint», comme parle Dom Bebin ; et grâce à l'intervention amicale de Messire François de la Palud, protonotaire du Saint-Siège apostolique, seigneur commendataire et administrateur perpétuel du monastère de Luxeuil, un accord intervint et le 23 octobre 1541, l'acte étant signé, Marc de Rye et Jeanne de Longwy sa femme, accompagnés du révérend abbé Claude de Boisset, se rendirent devant le grand autel de l'église abbatiale et là, à genoux, ils prêtèrent sur les saints évangiles de Dieu entre les mains dudit seigneur-abbé le serment d'observer et entretenir le traité, appelé vulgairement «le traicté de garde» de mai 1215 et la transaction passée le 15 août 1529 avec Anne de Neufchâtel-Longwy (100).

C'était un magnifique triomphe pour l'abbé de Boisset dont le zèle allait de pair avec son crédit. Car si dans ces jours malheureux, remarque Dom Grappin, l'abbaye n'avait été défendue par un tel homme, ses droits eussent passé à l'avide et ambitieux gardien qu'elle avait alors ; et peut-être le monastère eut-il cessé d'exister..., car Marc de Rye, pour satisfaire sa vengeance jalouse contre les Perrenot de Granvelle, se préparait à trahir son Dieu et son prince. En tout cas, il avait rêvé un coup de force contre le monastère : profitant en effet de la longue absence de l'abbé Claude à Bruxelles, un jour il avait violemment fait planter par des étrangers et inconnus six grandes bornes portant ses armoiries, tout auprès des portes de Faverney, quatre près de la Porte-Basse vulgairement dite la porte la Desseur, du côté de la route actuelle d'Amance, et deux autres près de la Porte de Cubry ; et il avait annoncé aux religieux sa «résolution de bâtir et faire construire dans la ville de Faverney, ajoute Dom Bebin, en une ancienne place dite proche la tour, une forteresse et donjon pour y mettre et tenir telle garde qu'il lui appartiendra» (101).

Trop heureux d'avoir réussi à consolider la paix dans sa seigneurie, l'abbé de Boisset, avant de rejoindre définitivement son poste à la Cour de l'archiduchesse, voulut encore donner une preuve signalée de son amour pour son abbaye et son peuple de Faverney. En 1542, il consent à autoriser désormais les habitants «à prendre leurs aisances sur la place de la tour, à passer sur les murailles, et à jouer et faire feux de joie quand il leur plaira» (102). Ce fut vers 1546 ou 1547 qu'après un règne d'environ vingt-quatre ans, consacré tout entier à défendre ou réglementer le temporel de ses bien-aimés frères et fidèles sujets, mourut à Bruxelles Claude de Boisset.

Grâce au crédit extraordinaire de l'illustre homme d'État, si connu dans nos annales franc-comtoises sous le nom de cardinal de Granvelle, cette fois alors notre riche abbaye dut d'avoir un abbé commendataire résident malgré lui. Charles Perrenot, le nouvel élu, était chanoine archidiacre de l'église métropolitaine de Besançon, protonotaire de la Cour de Rome, abbé du Parc en Sicile, trésorier d'Utrecht, conseiller du conseil privé de la Flandre, possesseur de plusieurs pensions sur des abbayes et prieurés et par-dessus tout le frère du célèbre cardinal Perrenot de Granvelle, chancelier ou premier ministre de cet illustre empereur d'Allemagne et roi d'Espagne, si connu dans l'Histoire sous le nom de Charles-Quint et qui devint le maître du plus vaste empire formé depuis Charlemagne. Prêtre malgré lui ou, comme l'a écrit Dom Grappin, ayant eu «une constante répugnance pour l'état ecclésiastique», il dut se résigner à demeurer pendant vingt ans à Faverney, afin d'obéir à son tout-puissant frère. En vain, les 29 et 31 octobre 1564, écrivit-il au cardinal qui était alors à Baudoncourt, pour le prier d'agréer la résignation qu'il désirait faire de son abbaye afin de vivre tranquille, le chancelier de Granvelle refusa, et ce ne fut que trois ans après qu'il put enfin obtenir cette autorisation. Cet abbé commendataire n'avait évidemment ni l'esprit ni le génie de son frère le cardinal, cependant il possédait quelque chose qui le faisait aimer de chacun. «Il était, a écrit Dom Bebin, d'une humeur si douce, si condescendante, si traitable et si libérale, il était doué d'une si grande bonté naturelle en ses mœurs et en ses actions et en tous ses procédés, que l'on ne l'appelait pour l'ordinaire que «le bon abbé», parce qu'il était tout bon et, comme on dit, la bonté même» (103). C'est à cette grande qualité de l'abbé Charles de Granvelle que les bourgeois de Faverney durent en 1567 de se voir soutenus contre les privilèges excessifs des familles nobles qui prétendaient être franches de tout impôt. Non seulement le seigneur-abbé condamna les Nobles et Francs, comme les qualifie Dom Grappin, à payer le montant des taxes nécessitées par les besoins urgents de la communauté, mais il en profita pour réprimer leurs empiétements et affirmer ses droits de suzerain. Sa sentence, rendue solennellement devant le maître-autel de l'église abbatiale, portait que «tous les habitants, sans aucune exception, devaient prendre les armes et aider de tout leur pouvoir, tant de leur personne que de leurs biens ; et toutes les fois que cela serait nécessaire et qu'ils seraient requis par les religieux ou par l'abbé, ils devaient marcher à la défense de l'abbaye sous la conduite de l'un des religieux, ou de l'abbé ou du gardien du monastère». Ceci se passait le 12 août 1567. Quelques semaines après, il abdiquait en faveur de son neveu Antoine d'Achey et partait pour Besançon où il mourut sur la fin de cette même année (104).

Ce successeur de l'abbé Charles Perrenot de Granvelle était le fils du sire de Thoraise. D'une taille élevée, d'une fort belle prestance, d'une «corpulence irréprochable», il passait à juste titre pour un des plus beaux hommes de son temps. On ne le connaissait que sous le nom «le Grand d'Achey», ainsi en parle Dom Bebin. Docteur ès décrets, protonotaire du Saint-Siège apostolique, grand archidiacre de l'église métropolitaine de Besançon, tous ces titres lui venaient de sa protection de son père, messire Jean d'Achey alors capitaine-gouverneur de la ville de Dole. En parlant aussi de cet abbé commendataire, Dom Grappin se contente de dire qu'il «mourut à Besançon le 4 Juillet 1580, sans avoir laissé au monastère aucun motif de reconnaissance» (105).

Après la mort d'Antoine d'Achey, le roi d'Espagne Philippe II, en vertu d'un indult du pape Léon X daté de 1515 et lui conférant le droit de nommer directement aux abbayes et prieurés de ses états, enjoignit aux religieux d'élire pour leur abbé François de Grammont «dont la mémoire, a écrit Dom Grappin, ne périra jamais à Faverney tant qu'il y aura des cœurs sensibles aux bienfaits». Issu de cette noble famille qui, selon l'expression de M. l'abbé Loye, «tient une si belle place dans l'histoire de notre diocèse», il était aussi recommandable par ses rares vertus et ses belles qualités que par sa haute naissance. Amateur des sciences et des belles lettres, docteur ès droits, il avait été créé conseiller et maître des requêtes de son Parlement de Dole par Philippe II, bien informé de ses mérites et de son bel esprit. Nommé à l'unanimité en 1564 comme haut doyen de l'église métropolitaine de Besançon, choisi en février 1567 comme administrateur du diocèse par l'archevêque Claude de la Baume durant son séjour de trois ans à Rome, élu d'une voix unanime en 1584 au siège archiépiscopal après la mort du cardinal Claude à Arbois, il avait décliné cet honneur et désigné par modestie aux suffrages des chanoines l'illustre et puissant chancelier Antoine Perrenot de Granvelle. Deux ans après, le 21 septembre 1586, le cardinal de Granvelle étant mort à Madrid, sur une lettre de recommandation du roi Philippe II d'Espagne lue en plein chapitre le 3 octobre suivant, François de Grammont haut doyen fut pour la seconde fois élu archevêque de Besançon. Devant ses protestations bien connues d'humilité, les chanoines tous d'une voix s'étaient écriés : «Bon gré, mal gré, vous serez notre archevêque !» Mais Dieu en avait décidé autrement. Il entrait dans ses desseins providentiels qu'un prélat du sang des Grammont contribuât à préparer le lieu futur du miracle eucharistique. Le pape Sixte-Quint, aussitôt qu'il connut le décès du cardinal de Granvelle, s'empressa d'user de son droit pontifical «vacare in Curiâ» pour nommer immédiatement à l'archevêché vacant le jeune abbé Ferdinand de Rye qu'il affectionnait tout particulièrement ; et c'est ainsi que François de Grammont, deux fois élu archevêque de Besançon et déjà abbé de Montbenoît dans le Doubs, ayant pris possession de notre monastère dès 1582, consentit à venir y demeurer (106).

Ce prélat respectable ne voulut être «chargé de l'administration de notre abbaye, remarque Dom Grappin, que pour être le père et l'ami des religieux qui la composaient», le père et l'ami des affligés, le protecteur et le soutien des malheureux habitants de la cité. Reprenant l'œuvre, inachevée faute de ressources, de la restauration du cloître et de l'habitation des moines qu'avait commencée Guy de Lambrey, l'abbé de Grammont la compléta avec ses richesses familiales ; les maisons des pauvres manants de Faverney ayant été en grande partie détruites par un violent incendie, allumé le premier dimanche du Carême, en 1550, lors du feu de joie appelé les brandons, François de Grammont, utilisant son puissant crédit auprès de la Cour d'Espagne, en obtint des sommes considérables pour permettre a ses sujets de relever leurs habitations (107).

On était arrivé aux derniers jours de janvier de l'année 1595, et le seigneur-abbé de Grammont, depuis neuf ans faisant la joie de son peuple et de son monastère, semblait leur promettre encore de longues années de paix et de prospérité, quand courut la triste nouvelle de la déclaration de guerre par le roi de France Henry IV à Philippe II, roi d'Espagne et souverain de la Comté. Le fait datait du 18 janvier. Et voilà que subitement on apprend à Faverney que, le 4 février au soir, une troupe d'aventuriers lorrains, comptant 1000 à 1500 chevaux et 3 à 4000 hommes de pied, avait pénétré sans coup férir dans la place forte de Jonvelle située sur les confins de la Lorraine et de la Bourgogne, et en assiégeait le château. C'était le premier exploit de ce soldat sabreur, égorgeur et incendiaire, qui fit tant de mal à notre province comtoise durant son court séjour de deux mois et demi : il s'appelait Louis de Beauveau seigneur de Tremblecourt. Fort de l'appui du roi de France dont il était même parent assez rapproché, et voyant que la garnison de Jonvelle tenait tête à ses troupes et à ses quatre petits canons de campagne, le général de Beauveau avait envoyé chercher du renfort à Langres. Ses soldats en avaient ramené deux énormes pièces d'artillerie de siège dont la seule vue faisait frémir les gens qui les voyaient passer. Aussi, le 6 février, à peine furent-elles mises en batterie devant le château bien défendu et eurent-elles tiré six coups, que les défenseurs, pris de peur se rendirent (108).

La chute si rapide de Jonvelle répandit la panique dans tous les alentours. Disposant d'une nombreuse cavalerie, Tremblecourt se servit habilement de l'une et de l'autre pour terroriser le pays, s'emparer de toutes les places fortes et faire un énorme butin. Dès le 7 février, il arrive devant Jussey qui se rend sans résistance. Le lendemain 8 février, il se saisit de Chauvirey, de Baulay, de Bassigney, de Mersuay ; le surlendemain, ce sont les bourgs de Port-sur-Saône et Scey-sur-Saône, le tout sans coup frapper, car le pays était si étonné d'une si soudaine invasion, a écrit Jean Grivel, que tout le monde se sauvait «sans oser faire teste». C'est ce qui se produisit à Faverney même dans la matinée du 9 février. À peine la place fut-elle investie et les deux fameuses pièces de canon eurent-elles tonné, faisant pourtant plus de bruit que d'ouvrage, que la terreur s'empara des défenseurs, et l'armée des Lorrains put pénétrer dans la ville, s'y installer, y piller tout à son aise. L'abbaye n'échappa pas à leur fureur ; tout ce que renfermaient les celliers, basses-cours, écuries, caves et greniers, disparut successivement. La maison fut vidée sous les yeux de l'abbé et des moines, qui ne cessèrent pas de célébrer les louanges de Dieu au milieu des clameurs, des blasphèmes et des chants frénétiques des soldats (109).

Mais par une circonstance providentielle les aventuriers lorrains quittèrent Faverney le soir même, et quelques semaines après y rentrait un autre aventurier italien, le capitaine Antonio Corvini, venu au secours de notre province par le moyen de M. le comte de Champlitte, gouverneur de la Comté. À la tête de deux cents hommes environ, tant de pied que de cavalerie, Antonio vint camper à Faverney vers le 20 avril et en fit le quartier général de ses incursions d'abord pour reprendre les cités voisines, puis des contributions ou subsides que les communautés d'habitants devaient payer à sa bande d'Espagnols et d'Italiens (110).

L'abbé François de Grammont ne survécut pas longtemps à cette cruelle épreuve de la guerre. Le lendemain des nones de juin (6 juin) à Besançon, ce bon et généreux prélat, atteint de phthisie, s'en alla dans un monde meilleur recevoir la récompense réservée à ceux qui ont consacré au bien leur vie et leur fortune, et, selon son désir, il fut enterré dans la cathédrale de Saint-Étienne (111).

L'année même de la mort de François de Grammont, nous voyons monter sur le siège de Faverney un abbé qui fut un des plus beaux esprits de son temps. Jean Doroz naquit à Poligny d'une famille des plus qualifiées du Tiers-État. Entré de bonne heure dans l'Ordre des bénédictins de Cluny au prieuré de Vaux, tout proche de son pays natal, il fut remarqué par ses supérieurs qui l'envoyèrent étudier à l'université de Dole. Reçu deux fois «docteur en sainte théologie et en droit canon», il obtint au concours le titre de professeur royal de l'université et pendant dix-sept ou dix-huit ans il occupa avec éclat la chaire de droit ecclésiastique et parvint même au grade de vice-chancelier. En 1582, il fut pourvu du prieuré de Vaux, et à ce titre convoqué au chapitre général de Cluny il y fut élu premier définiteur. Trois ans après, sur la présentation de l'archevêque Ferdinand de Rye qui, connaissant ses grands talents, voulait en faire son vicaire-général coadjuteur, le pape Sixte-Quint le nomma évêque de Nicopolis et suffragant du siège métropolitain de Besançon. Ses bulles sont datées du septième jour des calendes de septembre (26 août 1585) (112).

On raconte qu'à Bruxelles où il s'était rendu pour porter ses remerciements à l'archiduc Albert, souverain des Pays-Bas et de la Franche-Comté, dont l'épouse la princesse Isabelle, fille du roi Philippe II, l'avait fait nommer à l'abbaye de Faverney qu'il s'agissait de reconstruire : «Monseigneur, dit-il à l'archiduc, il me serait difficile de bien bâtir sans chaux», faisant allusion au riche prieuré de Chaux-lès-Clerval qui était alors vacant, et dont il désirait le revenu pour l'appliquer à son entreprise de restauration. Le prince Albert comprit l'allusion, et répondit en souriant : «Vous l'aurez, afin que vous n'ayez point d'excuse de rétablir Faverney». Venu pour visiter ses religieux, il fut désagréablement surpris de voir réapparaître, le 18 novembre 1595, l'aventurier italien Antonio Corvini à la tête de sa compagnie de soudards espagnols et italiens. Sous prétexte, en effet, que le comte de Champlitte, gouverneur de la Comté, ne lui avait pas payé le prix de ses services contre les Lorrains de Tremblecourt, le capitaine Antonio que l'on croyait rentré en Italie, revenait occuper Faverney et y établir son quartier général pour y passer grassement l'hiver avec ses troupes. De là jusqu'au 19 février 1596, il signa ses ordres de contribution guerrière et, par ses arquebusiers à cheval, rançonna en pain, vin, viande, foin, paille, avoine, aussi bien qu'en bons écus sonnants, Faverney et Amance, Port-sur-Saône, Flagy et Vesoul, Noroy-le-Bourg, Gy et Bucey, Velesmes et Villefrançon, et même Baume-les-Dames et Besançon (113).

Ce ne fut qu'après le départ de cet aventurier que l'abbé Doroz put commencer la restauration des bâtiments de notre abbaye dont l'état était vraiment lamentable. La maison abbatiale ou l'hôtel qui servait de demeure au seigneur-abbé, avait été brûlée dans les guerres de 1569 et était devenue inhabitable : Jean Doroz, ayant comme tous les grands hommes le goût du beau avec le culte du passé, fit bâtir vers l'entrée du monastère un magnifique hôtel abbatial, remarquable par la beauté de ses salles et de ses trois étages. Sur le frontispice de sa belle construction, au-dessous de ses armes qui portaient pour devise : Honos Renovat Dies, il fit placer les armoiries d'Hugues de Salins et de Guy de Lambrey que la pioche des ouvriers avait découvertes au milieu des décombres amoncelés par l'incendie. Entre les blasons de ces deux abbés, il fit graver en latin ce qui suit : «Jean Doroz, Évêque suffragant et vicaire général du très illustre archevêque de Besançon, abbé du très antique monastère de Faverney et des prieurés de Vaux et de Chaux, restaurateur de ce palais terrestre en attendant le palais céleste, fit placer, en l'honneur de la pieuse mémoire de ses prédécesseurs, les fragments que tu vois et qui ont été trouvés dans les anciennes ruines de cet édifice l'an 1599». Sa nomination par le pape Clément VIII, le 10 avril 1600, à l'évêché de Lausanne, fut le couronnement de cette vie chargée d'ans et de mérites. Il alla se faire installer à Fribourg, puis revint habiter la Franche-Comté d'où, pendant quatre années encore, il fit par délégation les fonctions épiscopales. Mais sentant la mort approcher, il se démit de sa charge d'évêque et, après avoir gouverné notre abbaye pendant l'espace de douze années, il rendit sa belle âme à Dieu dans son prieuré de Chaux-lès-Clerval, le 17 septembre 1607 à l'âge de soixante-dix ans. Comme son illustre prédécesseur François de Grammont, il voulut être inhumé dans l'église de Saint-Étienne de Besançon (114).

Dans les premiers jours de cette même année 1607 se présentait au couvent de Faverney un jeune homme de Luxeuil, ayant à peine 18 ans. «Né d'une famille plus distinguée par la vertu que par la naissance», déclare Dom Grappin, Claude-Hydulphe Brenier fut admis au noviciat. Âme pure et ardente, il y rencontra comme compagnon de piété un petit novice d'une douzaine d'années, le jeune frère Antoine-Gabriel Hudelot. Ces deux cœurs d'adolescents aspiraient à une vie de foi et cherchaient en vain le chemin de la sainteté dans cette abbaye dont les religieux et les bâtiments ne respiraient plus que la ruine et la décadence. Étant venus pour pratiquer la règle sévère de saint Benoît, ils se trouvaient dans un monastère où n'existaient ni dortoir, ni cloître, ni chapitre, ni réfectoire, ni discipline monastique, ni observance régulière (115). Lors donc que le vieil abbé Doroz fut descendu dans la tombe, tout portait à croire que la chute dernière de l'antique abbaye de sainte Gude était arrivée et que les bénédictins de la Chaise-Dieu allaient finir après bientôt cinq siècles, comme avaient fini les sanctimoniales. Mais là où la science, la richesse, la noblesse, l'habileté avaient échoué, le Ciel allait intervenir : dans l'abbaye relâchée, Dieu préparait un saint et un miracle. Les deux jeunes novices, à l'âme ardente, au cœur pur, suppliaient le Dieu de l'Eucharistie de les rendre fervents religieux. Encore quelques mois, et le Seigneur Jésus exaucera cette prière des humbles par la plus étonnante des merveilles eucharistiques.

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[Sources bibliographiques et Notes de bas de page.]

1. Émile Mantelet, Histoire politique et religieuse de Faverney depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, Paris, chez l'auteur, 1864, p. 63 ; Société des Bollandistes, Acta santorum, Antwerp, V, p. 5.

2. Dom Pierre-Philippe Grappin, Mémoires sur l'abbayé de Faverney, Besançon, Daclin, 1771, p. 6 ; L'abbé Hippolyte Brultey, Étude d'histoire sur le Cartulaire de l'ancienne abbaye de Clairefontaine de l'Ordre de Cîteaux, s.l., s.d., pp. 18, 317 et 318 ; L'abbé Jean-Baptiste Bullet, Histoire manuscrite de l'abbaye de Faverney, p. 30. — Selon l'acte de 1150 par lequel Humbert, archevêque de Besançon, confirme la totalité des donations faites, depuis la fondation en 1131, au monastère de Clairefontaine, on voit que l'ancienne abbesse Odiarde ainsi que plusieurs autres bienfaiteurs ont donné plus de 200 voitures de foin dans la prairie de Saint-Remy.

3. L'abbé Louis Besson, Mémoires historiques sur l'abbaye de Cherlieu, Besançon, Bintot, 1847, p. 7. — Depuis 1126 à 1139, douze abbayes cisterciennes venaient d'être créées dans le comté de Bourgogne : c'était par ordre de date de fondation Bellevaux-les-Cirey, Rosières vers Salins, La Charité près de Neuvelle, La Grâce-Dieu, Lieu Croissant ou les Trois Rois, Cherlieu, Clairefontaine, Theuley près de Vars, Bithaine près de Saulx, Balerne vers Champagnole, Acey, et Mont-Sainte-Marie vers Mouthe ; Édouard Clerc, Essai sur l'histoire de la Franche-Comté, Marion, 1870, 2e éd., I, p. 332 ; L'abbé Léopold Loye, Histoire de l'église de Besançon, Besançon, Jacquin, 1901-1903, II, pp. 137 à 154.

4. Ce haut dignitaire de l'église de Saint-Étienne (1120-1145) avait pour frère aîné Renaud, connétable de Bourgogne et marié à Elisabeth, fille de Humbert III sire de Salins et pour frère cadet Vidon de Traves dont la femme Eluis était la sœur de Gislebert de Faucogney, vicomte de Vesoul. — Besson, Mémoires, p. 86.

5. L'abbé Charpentier, Œuvres complètes de saint Bernard, Paris, Vivès, 1865, I, 342 (lettre 197e à Pierre, doyen de Besançon, l'an 1141).

6. C'est avec raison que saint Bernard appelle cet abbé un saint prélat, car on prétend qu'Étienne de Mercœur, supérieur de la Chaise-Dieu, fit des miracles ; il mourut le 29 mars 1146. — Charpentier, Œuvres complètes, I, p. 343 (lettre 198e, note a).

7. Charpentier, Œuvres complètes, I, p. 344 (lettre 199e en l'an 1141). — Besson, Mémoires, p. 12 ; Bullet, Manuscrit, p. 34.

8. Le prieuré de Saint-Marcel au canton de Vitrey-sur-Mance fut fondé par les religieux de Saint-Bénigne de Dijon, au milieu du VIIe siècle, sur un domaine allodial ou franc-alleu appelé Albiacum. Les moines y bâtirent une chapelle et un monastère sous le vocable de saint Marcel de Châlon ; de là le nom de Saint-Marcel donné au village qui se forma autour du couvent ; Loye, Histoire, I, p. 157.

9. Dom Grappin, Mémoires, p. 12 ; Mantelet, Histoire, p. 64 ; Bullet, Manuscrit, p. 29.

10. Dom Grappin, Mémoires, pp. 11 à 13 ; François-Ignace Dunod de Charnage, Histoire du second royaume de Bourgogne, Dijon, Fay, 1737, tome II, p. 170. — D'après Pérard cet arrêt solennel serait un des plus anciens monuments qui fasse mention des Placites du comté de Bourgogne; il le place vers 1140. — Mantelet, Histoire, pp. 64 à 66 ; Bullet, Manuscrit, p. 29 ; L'abbé Joseph Morey, Notice historique sur Faverney et son double pèlerinage, Besançon, Jacquin, 1878, p. 40.

11. Clerc, Essai, I, pp. 333 et 334.

12. Mantelet, Histoire, pp. 77 et 548 ; Morey, Notice, p. 21 ; Société des Bollandistes, 20 Août ; Clerc, Essai, I, p. 328.

13. Voici les noms et les dates des abbés de Faverney, d'après Dom Grappin : Bernard (1132 à 1149) ; Pierre Ier (1149 à 1151) ; Lambert (1151 à 1155) ; Guichard (1155 à 1185) ; Herbert (1185 à 1199) ; Pierre II (1199 à 1247).

14. Dom Grappin, Mémoires, pp. 14 et 129 (note 9) ; Besson, Mémoires, p. 23.

15. Dom Grappin, Mémoires, pp. 16, 17 et p. 129 (note 10). — C'est Dom Étienne Morel qui rédigea les Annales sur les premiers temps de l'abbaye. — Au temps de Dom Grappin, en 1770, deux sceaux étaient encore pendants au parchemin. Le premier représentait la Vierge assise : c'étaient les armes que l'abbaye prenait anciennement. Le second représentait un abbé debout. — Voici les noms des quatorze religieux en 1186 : Étienne Morel, sacristain, Hugues, Galter, Wuillaume, Bernard, Carbon, Nicolas, Wuillaume, Robert, Mathieu, Wuillaume, Étienne, Anselme et Jehan ; Dom Grappin, Mémoires, p. 130 (note 11).

16. Archives du Doubs, B, Cote Amance A, inv. XVIe S ; Archives de Vesoul, H. 435.

17. Morey, Notice, p. 21 ; Mantelet, Histoire, p. 79 ; Bullet, Manuscrit, p. 36, d'après Dom Bebin ; Besson, Mémoire, p. 23 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 16.

18. Bullet, Manuscrit, p. 43 ; Mantelet, Histoire, p. 93 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 39.

19. Guillame II de la Tour est le 67e archevêque de Besançon. Il était issu de la noble famille de la Tour qui, depuis le milieu du XIe siècle, possédait la charge de maître d'hôtel de l'archevêché. Trésorier d'abord de l'église de Besançon et doyen de la cathédrale de Saint-Jean, il avait été élevé, en mars 1231, sur le siège de Châlon. Il fut choisi directement par le pape Innocent IV et nommé le 12 des calendes d'avril (20 mars 1245), par une bulle datée de Lyon où le pape s'était réfugié. Il mourut le 20 août 1268 ; L'abbé Jean-François-Nicolas Richard, Histoire des diocèses de Besançon et de Saint-Claude, Besançon, Cornu, 1847, I, pp. 505, 507 et 526.

20. Mantelet, Histoire, p. 93 ; Bullet, Manuscrit, p.43.

21. Clerc, Essai, I, pp. 429, 441 et 442 ; Anon., Documents inédits sur l'histoire de la Franche-Comté, III, p. 528.

22. Auguste Castan, Origines de la commune de Besançon, Besançon, Bulle, 1858 ; Aristide Déy, Étude sur la condition des personnes, des biens et des communes au comté de Bourgogne pendant le moyen âge, Paris, Colin, 1870-1872. — Ce ne fut qu'en 1291 que la ville de Luxeuil reçut de l'abbé Thiébaud de Faucogney une charte de commune ; Clerc, Essai, p. 512.

23. Archives de la Haute-Saône, H. 493, cartulaire de Faverney. — Une charte de 1226 fait mention d'un Guillaume de Faverney, chevalier, fils de Licelin jadis villicus de ladite ville. — Jules Finot, Les franchises municipales du bourg de Faverney, Vesoul, Suchaux, 1879.

24. La création de l'Official par les archevêques de Besançon paraît remonter à 1239 ; Clerc, Essai, I, p. 427.

25. Ce fut l'archevêque Hugues Ier qui, tout en maintenant les cinq archidiaconés de Luxeuil, Faverney, Traves, Gray et Salins qu'avait établis saint Miget, les partagea chacun en trois décanats, et fit revivre l'autorité des doyens ruraux qui avait presque entièrement disparu durant les jours mauvais du Xe siècle. Il voulut que la dignité du doyen fut personnelle et ne resta pas l'apanage de la cure dont le décanat portait le nom. L'archevêque en nommait directement les titulaires qu'il choisissait toujours parmi les prêtres les plus recommandables et les plus instruits ; Loye, Histoire, II, p. 20.

26. Finot, Franchises ; Bullet, Manuscrit, p. 45 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 137 (note 16) ; Archives de la Haute-Saône, H. 435, n° 31.

27. Voir aux notes et pièces justificatives II la teneur de l'acte d'affranchissement de la seigneurie abbatiale de Faverney. — Mantelet, Histoire, p. 103 ; Bullet, Manuscrit, p. 52 ; Morey, Notice, pp. 22 et 23.

28. Mantelet, Histoire, pp. 107 et 108 ; Bullet, Manuscrit, p. 56.

29. Dom Grappin, Mémoires, pp. 19, 20 et 21.

30. Mantelet, Histoire, p. 111 ; Bullet, Manuscrit, p. 58, à qui tous les détails de cette légende furent donné par mon ancien condisciple et ami du séminaire de Marnay, M. l'abbé Auguste Cizel, né à Traves, poète distingué, ancien professeur au collège Saint-François-Xavier de Besançon, et mort curé de Navennes vers Vesoul, en 1896.

31. Dom Grappin, Mémoires, p. 39 ; Bullet, Manuscrit, p. 59. — Archives de la Haute-Saône, H. 435, cartulaire de Faverney.

32. Dom Odilon Bebin, Histoire manuscrite de l'abbaye de Faverney (Bibliothèque de Vesoul, manuscrits 192 et 193), p. 100 ; Dom Grappin, Mémoires, qui indique à la page 39 l'abbé Kales comme ayant été nommé abbé d'abord de Faverney par la Chaise-Dieu, puis choisi et nommé abbé de Luxeuil la même année 1271.

33. Dom Bebin, Manuscrit, p. 66.

34. La comtesse Alis, outre sept filles qui embrassèrent la vie religieuse ou s'allièrent à d'illustres maisons, avait eu du comte Hugues d'abord Othon ou Ottenin qui lui succéda, puis Hugues, Étienne chanoine de la métropole, Renaud qui obtint par mariage le comté de Montbéliard, et Jean sire de Montaigu.

35. Eudes de Rougemont, fils de Guillaume vicomte de Besançon, fut élu par le chapitre métropolitain sur la fin de 1268 et confirmé par Rome le 9 février 1269. Il fut, comme successeur de Guillaume de la Tour, le 68e archevêque de Besançon (1279-1301) ; Loye, Histoire, II, p. 346.

36. Dom Bebin, Manuscrit, p. 14 ; l'acte original de ce traité existe encore aux Archives de la Haute-Saône, H. 440. Le parchemin est bien conservé ; on y voyait encore (16 octobre 1902) les seize trous auxquels pendaient les huit sceaux des signataires, à savoir : sceau de la comtesse Alis, sceau du seigneur Philippe son mari, sceau de l'abbé Pierre IV et celui du couvent de Faverney, sceau de l'abbé Aubert et celui du monastère de la Chaise-Dieu, sceau de l'archevêque Eudes de Rougemont et enfin celui d'Othon de Bourgogne seigneur de Salins. Mais tous ces huit sceaux de cire et leurs rubans ont disparu ; seule reste une partie de celui de l'abbé Aubert de la Chaise-Dieu.

37. Dom Bebin, Manuscrit, p. 103 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 32.

38. Clerc, Essai, I, p. 467.

39. Louis Gollut et Charles Duvernoy (éd.), Les mémoires historiques de la république séquanaise..., Paris, Delahaye, 1856, p. 559 ; Dunod, Histoire, II, p. 602 (tiré de la chambre des comptes de Dole).

40. Dom Grappin, Mémoires, p. 148 (note a) ; Mantelet, Histoire, p. 117 ; Frère Albin Gros, Mémoire manuscrit sur le monastère de Faverney, 1391 ; Duvernoy, Nouveau Gollut, p. 559.

41. Dom Grappin, Mémoires, p. 148 (note a) ; Mantelet, Histoire, p. 117 ; Frère Gros, Mémoire ; Besson, Mémoires historiques, p. 54. — Archives du Doubs, B. 19.

42. Bullet, Manuscrit, pp. 62 et 63. — Archives de la Haute-Saône, H. 435, n° 36. — Le parchemin original de ce traité entre Othon IV et Jean cadet de Bourgogne existe encore (12 octobre 1902). — Dom Bebin, Manuscrit, p. 105.

43. Mantelet, Histoire, p. 117 ; Bullet, Manuscrit, p. 64 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 106. — Archives de la Haute-Saône, série H. 435, n° 35. — Extrait des archives de M. le marquis du Châtelet, seigneur d'Amance.

44. Dom Bebin, Manuscrit, p. 105.

45. Dom Bebin, Manuscrit, pp. 107 à 109. — Archives de la Haute-Saône, série H. 435, n° 42 ; copie faite en 1402 par l'Official de Besançon et provenant des papiers du marquis du Châtelet, seigneur d'Amance. Dans la série H. 440, district de Vesoul, Faverney, se trouvait encore, à la date du 16 octobre 1902, l'acte original sur parchemin et ayant encore attachés les trois cordons doubles de soie rose pâle, et deux sceaux seulement subsistaient : à droite celui du comte Othon IV a disparu ; celui du milieu, qui est le mieux conservé et le plus grand, est le sceau du roi des romains Adolphe de Nassau, représenté à cheval et l'épée à la main ; celui de gauche est le sceau de Jehan de Bourgogne, seigneur d'Amance. — Voir au III des notes et pièces justificatives la teneur intégrale de ce fameux traité dit de la garde.

46. Dom Bebin, Manuscrit, p. 65.

47. Dom Grappin, Mémoires, p. 40 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 110.

48. Dom Bebin, Manuscrit, pp. 66 et 110.

49. Clerc, Essai, I, p. 513.

50. Bullet, Manuscrit, p. 75 ; Mantelet, Histoire, p. 125 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 42.

51. Bullet, Manuscrit, pp. 74 et 75 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 115.

52. Dom Grappin, Mémoires, p. 42 ; Bullet, Manuscrit, p. 77. — Archives de la Haute-Saône, acte de l'abbé Pierre de Binvillars et cartulaire de Faverney.

53. Dom Grappin, Mémoires, pp. 19 et 44 ; Mantelet, Histoire, p. 132.

54. Dom Grappin, Mémoires, pp. 44 et 45 ; Mantelet, Histoire, pp. 134 et 135 ; Bullet, Manuscrit, qui donne à la page 80 un titre daté de 1346 et où sont nommés les dix religieux composant l'abbaye : «C'étaient discrète personne messire Hugues de Salins, par la grâce de Dieu humble abbé de l'église de Faverney, messire Jean de Bougey jadis abbé, messire Jean de Baulay prieur de Faverney, messire Roland sacristain, messire Outhe de Meurcourt, Russard, Perrenot, Philippe de Salins, Jacques de Faverney, Mathieu de Besançon, Pierre Perinet, et Thiébaud de Venisey».

55. Clerc, Essai, II, pp. 86 et 87 (note 1). — En 1349, les deux tiers de la population périrent dans le Montbéliard ; Charles Duvernoy, Ephémérides du Comté de Montbéliard, Besançon, Dies, 1832, p. 377. — Tempore magnae mortis, disent les chartes de la terre de Saint-Claude. En 1351, le village de Chatelblanc au canton de Mouthe (Doubs) demeure presque entièrement détruit, propter pestem.

56. Clerc, Essai, II, pp. 99 et 440 ; le comté de Bourgogne était en deçà de la Saône, et le duché de Bourgogne était d'Outre Saône.

57. Dom Grappin, Mémoires, p. 47 ; Finot, Franchises.

58. Bullet, Manuscrit, pp. 82 et 83 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 45 ; Mantelet, Histoire, pp. 138 et 139.

59. L'église Saint-Bénigne avait remplacé sur le mont Saint-Martin, monticule où se trouve actuellement la caserne de gendarmerie, le temple païen en l'honneur de Diane, la déesse des forêts. C'était l'église paroissiale entourée d'un cimetière, selon l'usage des premiers siècles chrétiens. Devant le cimetière se trouvait une rue qui portait le nom de Saint-Bénigne jusqu'à ces dernières années ; actuellement c'est la rue Bossuet. Mais une grande place se trouvait devant la tour du patrice Wulf, à quelques mètres du cimetière.

60. Le prince cadet de Bourgogne, Jean Ier, était mort à Amance en 1304. Son fils Henry lui avait succédé et à sa mort, en 1343, il laissait comme héritier un fils âgé de 12 ans : c'était Jean II de Bourgogne.

61. Louis Suchaux, Galerie héraldo-nobiliaire de la Franche-Comté, Paris, Champion, 1878, II, p. 90.

62. Dom Bebin, Manuscrit, pp. 123 à 125. — Dom Grappin, Mémoires, pp. 46 et 160 (note 22) : acte authentique copié aux Archives de la Haute-Saône, série H. 564. — Mantelet, Histoire, pp. 98, 126 et 139. — Toute commune libre ou affranchie s'empressait de choisir une tour pour y placer une cloche ou beffroi. Tous les habitants devaient accourir en armes sur la place publique, aussitôt qu'ils entendaient le son de cette cloche ; puis ils se formaient en assemblée délibérante soit dans l'église soit sur la place, et là ils juraient sur les choses saintes de se défendre mutuellement. Le beffroi de la commune libre de Faverney était jusqu'alors établi dans la tour de l'église paroissiale Saint-Bénigne, bâtie tout proche de l'église abbatiale.

63. Dom Grappin, Mémoires, p. 162 ; Finot, Franchises.

64. Dom Bebin, Manuscrit, p. 127.

65. Mantelet, Histoire, p. 152 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 48 ; Bullet, Manuscrit, p. 84.

66. Archives de Dijon n° 634. — Dom Grappin, Mémoires, p. 49 ; Mantelet, Histoire p. 152 ; Clerc, Essai, II, p. 175 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 125.

67. Dom Grappin, Mémoires, p. 50 ; Dom Bebin, Manuscrit, pp. 127 et 128.

68. Dom Grappin, Mémoires, pp. 50 et 51. — Bullet, Manuscrit, qui relate à la page 87 l'extrait des archives de Faverney sur le voyage au Saint-Sépulcre d'Henry de Vienne et sur sa captivité, durant six ou sept ans chez les corsaires sarrasins. — Jules Gauthier, Catalogue descriptif de 206 sceaux-matrices, Besançon, Dodivers, 1900, où il donne au n° 166 la description du sceau de cet abbé de Faverney (1374-1386) dont il a retrouvé la matrice originale au British Museum. «Dans une niche, sous un dais, l'abbé agenouillé, tenant sa crosse devant une Vierge à l'Enfant. Au-dessous un écu : un aigle à deux têtes». — Bullet, Manuscrit, donne également à la page 99 l'extrait des archives de l'abbaye concernant l'abbé Liébaud de Cuisance, fils de Jean sire de Cuisance et d'Elisabeth de Belvoir, dont la noble famille «avait donné à l'Eglise comme à l'Etat plusieurs personnages remarquables par leurs vertus et par leurs talents» (1386-1396).

69. Dom Grappin, Mémoires, pp. 51 et 52 (note 25), où sont publiées, d'après les archives de Faverney, les Lettres-Patentes du duc Philippe le Hardi ; Mantelet, Histoire, p. 158.

70. Dom Grappin, Mémoires, p. 53 ; Bullet, Manuscrit, p. 92. — Archives de la Haute-Saône, H. 440, où se trouve le bref authentique du pape Jean XXIII.

71. En 1223, Arbecey n'était qu'un petit hameau, sans église et sans pasteur, situé au milieu d'une vaste forêt appartenant à l'abbaye de Faverney et comprenant tout le pays situé entre Port-sur-Saône, Scey-sur-Saône, Combeaufontaine, Lambrey, Gevigney et Baulay. Les premiers habitants s'occupaient à défricher, sous promesse de donner annuellement une gerbe sur sept, cette ancienne forêt appelée Liège qui comptait environ 60 hectares, et qui maintenant est une prairie, portant les noms de Grand-Liège et Petit-Liège ; Mantelet, Histoire, pp. 78 et 84.

72. Bullet, Manuscrit, p. 92 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 54.

73. «Multa mala passus» lisons-nous dans un ancien manuscrit de Luxeuil, ce qui signifie : «Il a subi beaucoup d'ennuis» ; Bullet, Manuscrit, p. 93.

74. Mantelet, Histoire, p. 175 ; Bullet, Manuscrit, p. 95.

75. Finot, Franchises. — Il y a actuellement aux archives communales de Faverney, un titre de 1571 intitulé : «Papiers des usances de Faverney pour les vouhiers et eschevins dudict lieu.» Les procureurs, choisis en 1428 par l'assemblée des bourgeois de Faverney, furent au nombre de 30. Il y en avait 7 de Besançon, 1 de Langres, 5 de Vesoul, 1 d'Amance, Perrenet Dard, 3 de Baulay, 2 de Charriez, 1 de Fleurey, 1 de Grattery, 1 de Mersuay, 1 de Port-sur-Saône et 7 de Faverney, à savoir : Estienne le Friant, Philibert de Poinctes, Jehan d'Aubonne, Fourcault de Deluy tous écuyers, Jehan dict de Gray, Jaquot Nycolas et Jeannot Laullot.

76. Les grands seigneurs, tels que l'abbé de Faverney et le gardien d'Amance, jouissaient des droits de haute, moyenne et basse justice. Le signe caractéristique du droit de haute justice était la potence à deux, trois ou quatre piliers, selon l'importance de la seigneurie. Cette potence était élevée dans l'endroit culminant de la localité, afin que les voyageurs l'aperçussent de loin. Le seigneur, jouissant de ce droit, constituait lui-même un tribunal chargé d'informer ; ses archers ou gendarmes saisissaient les coupables et les livraient au bourreau après leur condamnation. À Faverney cette potence ou signe patibulaire se trouvait vraisemblablement sur la colline, non loin de la porte de Cubry, à la jonction des antiques chemins d'Amance et de Menoux, vers l'emplacement actuel de la croix de saint Marc qui date de 1780. Les attributions de la moyenne justice étaient les actes de tutelle et les délits sujets à une amende excédant soixante sous. Quant à la basse justice, celle que les abbés-seigneurs de Faverney avaient concédé à leurs maires héréditaires, elle n'avait pour objet spécial que la surveillance des droits seigneuriaux et que les simples délits, susceptibles d'une amende n'excédant pas sept sous. — Mantelet, Histoire, p. 109.

77. Dom Grappin, Mémoires, pp. 58 et 59 ; Mantelet, Histoire, pp. 172 et 181 ; Bullet, Manuscrit, qui donne à la page 94, d'après les archives de l'abbaye, le texte authentique de la sentence de l'Official de Besançon.

78. Bullet, Manuscrit, qui relate aux pages 96 à 104 de longs détails sur les prébendes ou régime des moines de Faverney, et dont le texte fut publié intégralement, en 1882 ou 1883, par M. Jules Gauthier dans le Bulletin historique du ministère de l'instruction publique. — Morey, Notice, p. 38. — Dom Grappin, Mémoires, p. 63.

79. Alexandre Tuetey, Les Écorcheurs sous Charles VII : épisodes de l'histoire militaire de la France au XVe siècle d'après des documents inédits, Montbéliard, Barbier, 1874, I, p. 4 ; Thomas Basin (1412-1491) et Jules-Étienne Quicherat (éd.), Histoire des règnes de Charles VII et de Louis XI, Paris, Renouard, 1855, I, p. 125 ; Clerc, Essai, II, pp. 465 et 467 ; Mantelet, Histoire, p. 185 ; Bullet, Manuscrit, p. 105.

80. Mantelet, Histoire pp. 188 et 195 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 65.

81. Mantelet, Histoire pp. 196 à 202 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 69 ; Brultey, Étude, p. 114.

82. Bullet, Manuscrit, qui donne aux pages 111 à 117 le texte des actes originaux d'après le cartulaire de Faverney. — Dom Grappin, Mémoires, p. 67. — Voici les noms des sept religieux de Faverney en 1480 : Henri Ferron prieur claustral, Laurent de Flamerans sacristain, Didier d'Allyot, Hugues Raguelet, Jean Charles, Estienne Guiot et Nicolas de Montaigu. — D'après Dom Bebin, en 1486, ils n'étaient plus que quatre : Jean Charles prieur, Laurent de Flamerans sacristain, Didier d'Allyot et Nicolas de Montaigu.

83. Bullet, Manuscrit, qui donne à la page 114 cet extrait de la Collection diplomatique de M. Duvernoy, p. 11.

84. Morey, Notice, p. 27 ; Bullet, Manuscrit, pp. 115 et 116 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 70. — Archives de la Haute-Saône, H. 440. — Il y avait une tuilerie du couvent dans le pré actuel de M. Marcel Neveu, en face de l'habitation du sculpteur M. Victor Perignon. Il y a 20 ans on y a trouvé des fondations, et toute la colline voisine était désignée par les anciens et est indiquée au cadastre sous le nom de terraire, parce qu'on y prenait la terre pour la tuilerie.

85. Bullet, Manuscrit, pp. 118 et 119 ; Morey, Notice, p. 39 ; Dom Grappin, Mémoires, pp. 68 et 69. — En cette malheureuse période pour la réputation de l'abbaye de Faverney, je suis heureux de pouvoir signaler deux de ses religieux qui font exception, au moins pour la science : c'est Nicolas de Montaigu, prêtre bénédictin dudit lieu, qui écrivit en 1487 un manuscrit intitulé : L'abbaye de Faverney et les hommes qui ont illustré icelle, voir Mantelet, Histoire, p. 548 ; c'est aussi Simon de Faverney, abbé de Balerne de 1476 à 1499, et qui, d'après M. Jules Gauthier, serait l'auteur probable de la chronique anonyme, mais d'une réelle valeur historique, intitulée : Déportements des Français et des Allemans tant envers le Duché que Comté de Bourgogne. — Mémoires et Documents inédits sur la Franche-Comté, VII, p. 13.

86. Bullet, Manuscrit, p. 118 ; Cartulaire de l'abbaye de Faverney ; Dom Bebin, Histoire manuscrite, p. 160.

87. Bullet, Manuscrit, p. 120 ; Mantelet, Histoire, p. 209 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 72.

88. Bullet, Manuscrit, p. 121, qui publie le texte latin de l'ordonnance capitulaire d'après le Cartulaire de Faverney aux Archives de Vesoul.

89. Bullet, Manuscrit, p. 123 ; Morey, Notice, p. 40 ; Mantelet, Histoire, p. 212 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 13 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 168.

90. Bullet, Manuscrit, p. 124.

91. Bullet, Manuscrit, p. 126 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 173. — Un ancien four banal des moines existe actuellement dans la rue des Ruaux ; il ressemble à une petite chapelle avec ses voûtes et ses contreforts bien conservés. C'est là qu'est installée la fromagerie. — La rue des Ruaux, anciennement des Rios, d'après l'étymologie celtique selon Bullet signifie petit ruisseau. Cette rue fort ancienne et fort étroite qui longeait les remparts, justifiait très bien son nom en temps de pluie. (Glanures de Longchamp. — Journal de la Haute-Saône, 23 février 1853). — Un autre four banal se trouvait dans la maison Thérion qu'occupe actuellement M. l'abbé Déchambernoît, ancien aumônier de Mme Veuve Marie Garret. On voit encore dans la cave les voûtes et les contreforts comme au four des Ruaux.

92. La Porte Basse ou la Desseur est indiquée par Dom Grappin, Mémoires, pp. 5 et 79. — Le vieux mot desseure signifie dessous (Dictionnaire de Trévoux) ; cette porte était donc au-dessous du «lieu dit la ville de Vaverney», par opposition à la porte de Cubry située au-dessus de la colline et où aboutissaient les trois routes de Cubry, Menoux et Amance. — Il y a 50 ans à peine, au lieu de la magnifique place des Casernes, se trouvait le long même du bâtiment militaire une rue très étroite et désignée au cadastre de 1834 sous le nom de rue Bourbouse, laquelle se prolongeait, encaissée profondément et marécageuse, jusque plus loin la maison de M. Perignon sculpteur. — À l'entrée de la ville de Faverney du côté d'Amance, vers les anciennes rues des Glacis et Derrière les murs se voyait l'ancien fossé qu'on traversait sur un pont de bois. — En montant la rue Derrière les murs, actuellement rue Catinat, on trouve encore une section de l'ancien rempart ; c'est le mur en arrière de la maison appartenant à Madame Veuve Despercy. Ce fragment de l'ancienne fortification a au moins 8 m. de hauteur, et dans sa large épaisseur est percée une fenêtre. — Plus en montant et assez proche du cimetière on voit également et parfaitement conservé le mur d'enceinte au travers duquel M. Eugène Ber (anciennement maison Billon) a taillé une fenêtre. Cette partie des remparts a plus de 7 m. de longueur et 1,5 m. d'épaisseur, le tout bâti en blocs de pierre. — L'entrée principale de la ville fortifiée de Faverney était placée vers le cimetière et s'appelait, d'après Dom Grappin, «Porte de Cubry» — Mémoires, p. 79 et note (a) p. 162. C'est par cette porte que passaient d'abord la voie romaine secondaire de Corre à Amance et à Faverney pour Luxeuil, puis les chemins anciens de Cubry et de Menoux sur Vauvillers. — De là, le rempart s'éloignait par les jardins Henry et Cordier, traversant le réservoir d'eau actuel où, il y a 15 ans, on a trouvé l'ancien mur d'enceinte ; et, s'inclinant en ligne oblique vers l'angle d'arrière de l'habitation de M. Eugène Camus où j'ai vu, le 30 septembre 1912, de gros blocs de pierre intacts, il rejoignait l'antique tour du patrice Wulf. — Au témoignage de M. Eugène Camus, ancien commis en librairie à Paris, et que j'ai confondu avec son père M. François Camus, géomètre à Faverney, cette tour avait encore, en 1840 au rez-de-chaussée, une chambre voûtée qui paraissait être un corps de garde avec d'énormes crampons de fer placée presque en face de l'extrémité du bûcher Camus, s'avançant considérablement sur le chemin, on la démolit à tort pour laisser passage à la route de Mersuay. Dans le mur de soutènement du jardin, M. Eugène Camus a tenu à conserver un pan au mur du bas de cette tour, vestige le plus antique peut-être du vieux Faverney. À partir de la tour Wulf, l'enceinte fortifiée descendait par échelons successifs le mont Saint-Martin, englobant la vieille église Saint-Bénigne et son cimetière qui couronnaient la colline (maintenant caserne de la gendarmerie) et atteignait le ruisseau du moulin (canal actuel) où se dressait une forte tour. En effet dans le jardin de M. Charles Uimanche, rue d'Enfer, on voit encore un escalier tournant que fit autrefois tailler à grands frais Mme Veuve Leblond dans le mur d'une tour. Ce mur mesure 1,5 m. d'épaisseur et l'escalier aboutit au lavoir Dimanche, établi sur le canal en face de l'ancienne tannerie de M. Marcel Neveu. — Depuis cette tour les fortifications suivaient le canal pour atteindre alors la rivière auprès du moulin vers l'ancien gué. — Dans la rue des Glacis subsiste actuellement, dans un bûcher qui appartenait autrefois à M. Maillard pharmacien et qui est situé à côté de l'abattoir, une section du rempart longue de 3 m. — À l'angle droit de l'ancienne porte du jardin du couvent qui ne fut construite qu'après la Révolution pour le jardin Druhot et vers la petite porte, à la place du chenil des chiens de chasse de M. Charles Blum (anciennement maison Bardenet) se trouvait une tour très antique : elle fut démolie il y a bientôt 20 ans. — Au fond du jardin potager de Madame la comtesse de Poinctes de Gevigney, à l'extrémité sud-ouest des fortifications, le long du Breuil, face au marché couvert, on a conservé une section des anciens remparts, ayant au moins 30 m. de longueur et formant une splendide terrasse de 4 m. de largeur. Au milieu et plus bas que le sol du potager, se voit une casemate voûtée, haute de 2 m., large de 1 m., et aboutissant à une meurtrière pour défendre l'accès des fossés creusés dans le marécage du Breuil. Lors de la construction du marché couvert, M. Legendre, serrurier et ancien conseiller municipal, m'a affirmé (5 juillet 1912) qu'on avait retrouvé l'emplacment des fossés profonds qui couraient tout autour des remparts. — Enfin dans la rue des Glacis, non loin de l'extrémité de la petite rue appelée anciennement Vanuoise, puis rue Percée et enfin rue Rollin, et où se déversait par un petit ruisseau la fontaine de l'ancienne place Dauphin (actuellement fontaine Cérès), il y avait encore un pan de l'ancienne muraille que dut démolir M. François Lefranc, oncle de M. l'abbé Lefranc curé de Colombier-les-Vesoul, lorsqu'il construisit sa grange, il y a quelques années.

93. Finot, Les franchises de Faverney ; Mantelet, Histoire, p. 215 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 162 (note a).

94. Bullet, Manuscrit, p. 126. — Pour cette fondation, l'abbé Guy de Lambrey laissait quatre émines de froment sur les moulins et les étangs de Cubry et autant sur le four, puis deux livres estevenantes sur la tuilerie qu'il avait fait construire dans le village. En outre, il laissait six émines sur le four d'Arbecey, deux livres estevenantes sur celui de Buffignécourt, et enfin quatre émines sur les villages de Poisseux et d'Andilly. — L'émine ou rémine est une ancienne mesure de capacité pour les matières sèches et formant la moitié d'un setier, c'est-à-dire 78,0497 litres. Le mot estevenante est le nom donné aux anciennes monnaies que les archevêques de Besançon, depuis le milieu du IXe siècle, eurent le droit de frapper, et sur la face desquelles était gravé le mot Stephanus ou Estienne, à cause de leur patron saint Étienne premier martyr.

95. Dom Grappin, Mémoires, p. 75 ; Bullet, Manuscrit, p. 127. — À cette époque, Guillaume d'Emslkerck dit d'Anvers, noble d'origine flamande qui tirait son nom de la baronnie d'Emslkerck, sa terre patrimoniale, veuf de Françoise de la Tour-Saint-Quentin dont il avait eu sept enfants, se retira à soixante-douze ans à l'abbaye de Faverney où, après onze mois de noviciat, il mourut en réputation de sainteté ; L'abbé J. Favrot, Histoire de Scey-en-Varais et du château Saint-Denis, Besançon, Jacquin, 1890.

96. Dom Grappin, Mémoires, p. 76. — Archives de la Haute-Saône, H. 436, n° 58 : copie extraite des archives de M. le marquis du Châtelet, seigneur d'Amance.

97. Dom Bebin, Manuscrit, p. 175 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 76.

98. Dom Grappin, Mémoires, pp. 76 et 78 ; Archives de la Haute-Saône, série H. 437, n°14e.

99. Bullet, Manuscrit, p. 128 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 176. — La prairie actuelle qui porte le nom de Breuil, contient encore plus de 30 fauchées, soit 10 hectares. L'ancien Breuil qui comprenait tout le terrain plus ou moins marécageux, depuis les remparts ou rue des Glacis jusqu'à la rivière, représente aussi une contenance au moins égale : d'où «le Breuil de Monseigneur de Faverney» pouvait étre un pré de 20 hectares.

100. Dom Bebin, Manuscrit, pp. 178, 180 à 182 ; Archives da la Haute-Saône, série H. 437, n° 10e.

101. Dom Grappin, Mémoires, pp. 79 et 82 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 180 ; Archives de la Haute-Saône, série H. 437, n° 10e.

102. Finot, Franchises. — Mantelet, Histoire, mentionne à la page 220 qu'en 1543 Claude de Boisset avec ses six religieux — à savoir, Loys de Lambrey sacristain et vicaire général, Loys Carmillé prieur claustral, Lazare Boton, Jehan de Lacroix, Jehan Patouillet et Philippe Capé — sur l'invitation de Monseigneur de Nicey, abbé de Cherlieu, se rendirent à Saponcourt pour assister à l'érection de ce village en paroisse spéciale, en vertu d'un bref du pape Paul III qu'avait sollicité l'abbé de Cherlieu dans le but de repeupler cette localité entièrement ruinée par les guerres. — Archives de la Haute-Saône, Série H. 437, n° 14e. — Ce fut vers cette époque que Simon le Friant, né à Faverney en 1510, après avoir prononcé ses vœux à l'âge de 21 ans dans l'abbaye de son pays natal, fut choisi, à cause de sa réputation dans les lettres, sciences et arts, pour diriger l'éducation d'un jeune seigneur, fils d'un des nobles les plus puissants de la province. Rentré dans son monastère vers 1554, il fut élu abbé de Balerne, dans la seigneurie de Chenecey (Doubs). Cet abbé a écrit un ouvrage encore manuscrit, intitulé : Mémoires de ce qui s'est passé sous Charles-le-Hardi duc de Bourgogne et l'empereur Maximilien ; Mantelet, Histoire, p. 524.

103. Bullet, Manuscrit, pp. 133 à 135 ; Dom Grappin, Mémoires, pp. 82 et 83 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 185. — Charles Perrenot abbé de Faverney et son frère Antoine le cardinal étaient fils de Nicolas Perrenot, petit-fils d'un forgeron d'Ornans. Leur père Nicolas, avocat de la Couronne près le bailliage d'Ornans, avait épousé en 1513 Nicole Bonvalot, issue d'une des premières familles anoblies de Besançon. Cette alliance fut le point de départ de sa fortune. S'étant élevé, autant par son intelligence que par ses influences familiales, aux charges éminentes de premier conseiller d'État et de garde des sceaux de l'empereur Charles-Quint, il eut toujours à cœur les intérêts de la république bisontine. Ce fut à la fois pour être agréable aux Bisontins et pour avoir une position prépondérante au milieu d'eux que Nicolas Perrenot de Granvelle, anobli par l'empereur, fit édifier le palais qui porte son nom. Cette construction fut commencée en 1534 et achevée en 1540. Nicolas Perrenot eut quinze enfants : l'aîné Thomas Perrenot fut héritier du palais Granville ; Antoine le quatrième, né à Besançon le 25 août 1517, se rendit célèbre sous le nom de cardinal de Granvelle et vint souvent habiter le palais paternel ; Auguste Castan, Besançon et ses environs, Besançon, Morel, 1887, pp. 105 et 106.

104. Dom Grappin, Mémoires, p. 83 ; Mantelet, Histoire, p. 226 ; Bullet, Manuscrit p. 135 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 187.

105. Duvernoy, Nouveau Gollut, p. 272 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 83 ; Bullet, Manuscrit, pp. 136 et 139. — Le corps de l'abbé Antoine d'Achey fut inhumé dans les caveaux de l'église Saint-Étienne.

106. Dom Grappin, Mémoires, pp. 84 et 85 ; Loye, Histoire, III, p. 290 ; Bullet, Manuscrit, pp. 139 et 140 ; Dom Bebin, Manuscrite, p. 188 ; Mantelet, Histoire, pp. 215 et 232.

107. Dom Grappin, Mémoires, pp. 84 ; Mantelet, Histoire, pp. 223 et 233 ; Loye, Histoire, I, p. 3.

108. Jean Gérardin, Une invasion lorraine en Franche-Comté en 1595, Besançon, Jacquin, 1895, pp. 83 et 85. — Bibliothèque nationale, volume 8547, folios 229 à 260, Journal de Jean Grivel, seigneur de Perrigny, sur l'invasion français et lorraine de l'année 1595, p. 17. — Jules Gauthier, Bulletin de la société d'Agriculture, Sciences et Arts du département de la Haute-Saône, 1896, qui y dit lui-même, selon la notice sur le Prieuré du Marteroy par M. l'abbé Roussel, curé de Montcey-lès-Vesoul, qu'il a rectifié les deux chroniques ci-dessus «d'après les délibérations municipales de Besançon et autres documents contemporains». — Julien Feuvrier, Bulletin de la société d'Agriculture, Sciences et Arts du département de la Haute-Saône, 1896, Deux documents inédits sur les invasions de 1595 en Franche-Comté.

109. Brultey, Manuscrit, p. 233 ; Bullet, Manuscrit, p. 142 ; Géradin, Une invasion lorraine, p. 85.

110. Bulletin de la Société d'agriculture, année 1896, 3e série, n° 27. — Eugène de Beauséjour, Le baillage-présidial de Vesoul (1696-1790), s.l., s.d., p. 135. — C.-J. Pizard, Documents inédits et notes historiques sur Noroy-le-Bourg, Saint-Igny et Calmoutier, Vesoul, Cival, 1888, p. 573. — Bullet, Manuscrit, p. 143.

111. Sur la pierre du tombeau de François de Grammont on lisait en latin cette inscription : «Au Révérend Seigneur François de Grammont, prêtre, docteur en l'un et l'autre droit, haut doyen de cette insigne Église métropolitaine, abbé commendataire perpétuel au nom du Roi des abbayes de Montbenoît et de Faverney, maître des requêtes pour la Bourgogne. Déjà illustre par sa race, il s'illustra encore par la culture des lettres, au point de devenir vraiment le patron et le protecteur des hommes de lettres, très remarquable par sa bonté envers tous les autres. À l'oncle qui avait toujours tenu auprès de lui la place d'un père et au testateur digne de sa reconnaissance, le noble jeune homme Théodore de Grandmont, seigneur de Vezel, des Bâthies, de Saulnot, de Borey, etc..., son neveu et son héritier universel, a élevé ce monument en accomplissement d'un double devoir, le lendemain des nones de juin [6 juin] de l'an de Salut 1595, jour où le défunt a rendu sa pieuse âme à Dieu». — M. le directeur Poix, professeur de philosophie au séminaire de Faverney, a bien voulu me traduire cette inscription qu'il a extraite de la brochure : Les inscriptions de la cathédrale de Saint-Étienne de Besançon par M. Jules Gauthier et qui fut publiée, en 1880, par l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts, p. 359, n° 162.

112. Loye, Histoire, II, p. 95 et III, p. 273. — Dom Chassignet, Documents pour servir à l'histoire ecclésiastique de la Franche Comté, Lons-le-Saulnier, Gauthier, 1866 ; celui-ci a écrit aussi, au commencement du XVIIIe siècle, les Annales du prieuré de Château-sur-Salins. — Bullet, Manuscrit, pp. 152 et 153 ; Duvernoy, Nouveau Gollut, p. 238.

113. Loye, Histoire, III, p. 273 ; Bullet, Manuscrit, p. 153 ; Pizard, Supplément aux notes de Noroy-le Bourg, p. 576.

114. Un inventaire des meubles de l'hôtel abbatial de Faverney, fait le 19 juillet 1569, dit simplement : «Meubles retrouvés en maison abbatial de Faverney aiant été bruslée par les Reytres passants par ce Pays sous la charge du duc des Deux-Ponts pour aller en France» ; Dom Grappin, Mémoires, p. 83 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 192 ; Bullet, Manuscrit, pp. 153 et 154 ; Loye, Histoire, III, p. 273 ; Gauthier, Notes archéologiques, pp. 17 et 18.

115. Dom Grappin, Mémoires, p. 99 ; Dom Bebin, Histoire manuscrite, p. 192 ; Bullet, Manuscrit, p. 209. — Volume du Procès-verbal du miracle de Faverney, p. 35 verso et p. 38 recto : 4e et 5e témoins. Conservé aux archives du presbytère.


«Faverney, son abbaye et le miracle des Saintes-Hosties» :
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[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]