DISCOURS, PRONONCÉ À BOURGES, SUR L'AUTEL DE LA PATRIE.  [Un discours imprimé de Pierre-Anastase Torné, évêque constitutionnel de Bourges ; publié par Barthélémi Christo, Bourges, 1793 ; transcrit, avec une mise en garde, par Dr Roger Peters.]

Introduction
Mis à part sa paternité par un prélat constitutionnel - et, donc, quelqu'un qui avait déjà fait et rompu un covenant éternel avec Dieu - ce discours de Torné est quelconque, n'étant ni meilleur ni pire que la majorité des tracts qui ont circulé pendant la Révolution. Néanmoins, sa portée potentielle vient d'une seule erreur de typographie : intentionnelle ou non. Pour ne pas influencer le lecteur, voici la transcription absolument textuelle.

Transcription textuelle (la lettre vieillotte « ſ » est « s » actuellement)

DISCOURS

PRONONCÉ A BOURGES,

SUR L'AUTEL DE LA PATRIE.

Le 5 Juillet 1793, l'an 1.e de la République Françaiſe.

PAR PIERRE-ANASTASE TORNÉ,

PRÉSIDENT DU DÉPARTMENT DU CHER,

Après la proclamation de L'ACTE CONSTITUTIONNEL ;

En préſence des Corps conſtitués & des Citoyens

de la même Ville ;

IMPRIMÉ PAR ORDRE DU DÉPARTMENT.


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CITOYENS,

IL arrive enfin le règne de la loi, & avec elle la règne de la liberté. La conſtitution du Peuple François vient enfin terminer l'anarchie qui menaçoit d'en dévorer une partie & d'aſſervir l'autre. Il va paſſer enfin ce tems orageux, qui s'écoule toujours entre l'inſurrection d'un peuple qui reprend ſes droits & une conſtitution qui les affermit.

Oui, voici le moment où le fort de la Nation Françoiſe eſt dans ſes mains, & où ſon repos, ſa liberté, ſon bonheur, dépendent d'un acte pur & ſimple de ſa volonté ſouveraine.

Empreſſons-nous d'accepter la conſtitution, cet innapréciable bienfait de la Convention nationale ; & les troubles intérieurs vont finir auſſitôt ; les deſpotes coaliſés, déſeſpérant de diviſer une nation qui réunie eſt invincible, fuiront nos frontieres ; nos freres d'armes vainqueurs, viendront jouir dans nos embraſſemens des honneurs civiques & des bienfaits de la patrie reconnoiſſante ; des adminiſtrateurs égarés en divers lieux de la république, par d'aveugles reſſentimens, rougiront d'avoir mis dans la balance le fort de quelques individus grievement accuſés, avec le ſalut de la patrie : ils frémiront d'avoir ainſi mis en péril la liberté, au lieu d'ajourner le jugement des factieux, quelque part qu'ils ſe trouvent, au tems où la France n'auroit plus au-dehors d'ennemis à combattre.

Acceptons cette conſtitution libératrice ; & le ſervile royaliſte, honteux de ſa baſſeſſe, bientôt comme nous déteſtera les tyrans ; & l'ambitieuſe intrigue du fédéraliſte aimera bientôt à ſe confondre dans l'unité qui fait la force des républiques, en leur donnant de l'enſemble ; & le ſouffle tout-puiſſant de l'eſprit public aura bientôt éteint les torches du fanatiſme ; & dans la Vendée, les brandons de la guerre civile ne tarderont pas à s'amortir dans un déluge de pleurs verſés ſur d'innombrables victimes de la ſuperſtition & de la rage des prêtres.

Acceptons cette conſtitution vraiment ſalataire, & cette heureuſe époque ſera la fin des factions turbulentes, des attentats contre les perſonnes, des proſcriptions horribles, des violations atroces du droit ſacré de la propriété, de l'excès des taxes arbitraires, mais juſtifiées par la néceſſité publique. Cette heureuſe époque ſera la fin des atteintes portées à la liberté individuelle, par une ſurveillance ombrageuſe, des meſures effrayantes de sûreté générale, ſouvent priſes hors de la loi, & dont on ne voit pas le terme, quand on ne voit pas celui de la révolution. Ils finiront enfin à cette époque, les dangers du pillage & des maſſacres, effets terribles de la colere d'un peuple déſeſpéré par des revers, aigri par de grands beſoins, ou ſoulevé par des agitateurs.

Non, il n'eſt pas de claſſe de citoyens qui n'ait le plus grand intérêt a ſe rallier autour d'une conſtitution qui ſeule peut ramener le bon ordre, la paix & la sûreté publique. S'il eſt donc quelque ame féroce qui, ſous prétexte de vouloir une conſtitution meilleure à ſes yeux ou plus favorable à ſes vues, ſe plaiſe à prolonger les horreurs de l'anarchie, de la guerre civile & des calamités inſéparables d'une longue révolution, ah ! citoyens, je vous dénonce ce monſtre inſocial comme digne de l'exécration publique. Le ſcélérat ! il voudroit voir les reſtes de ſa patrie en cendres ; il n'a pas vu encore aſſez de François périr ſous ſes yeux ; la liberté nationale ne lui paroît pas avoir couru aſſez de dangers ; il n'eſt pas encore raſſaſié de carnage ; la nation lui paroît encore oppoſer aux tyrans coaliſés trop de vigueur, il veut que ſon ſang coule juſqu'à ce qu'elle ſoit affoiblie au point de ne pouvoir repouſſer les fers dont on veut l'accabler !

Loin de nos aſſemblées primaires, ces peſtes publiques ! Fiers républicains, François dignes de ce grand nom, foudroyez de vos regards, accablez de vos mépris ces contre-révolutionnaires barbares, s'ils oſent ſiéger parmi vous : que leurs blaſphêmes politiques expirent ſur leurs levres ; en vous entendant proclamer à cris redoublés la Conſtitution républicaine qui vous eſt préſentée, les baſes immortelles de la liberté & de l'égalité, ſur leſquelles elle eſt établie, l'unité, l'indiviſibilité de cette belle république & du corps légiſlatif. Confondez ces anarchiſtes, long-tems déguiſés fous d'iniques imputations d'anarchie, faites aux aux amis de la liberté fondée ſur les loix : comparez pour cela les troubles que fomente la minorité actuelle de la Convention à l'heureuſe révolution, dont une conſtitution excellente a été le prompt réſultat : que dans le ſilence de leur rage impuiſſante, ils entendent la voix du ſouverain leur commander impérieuſement de ſouſcrire ou de fuir le contrat ſocial.

Qu'ils s'écartent donc des limites de ce département paiſible & fidèle, tous émiſſaires de corps adminiſtratifs, infectés de quelque opinion favorable au fédéraliſme ou à la royauté, ils ne trouveroient parmi nous que des hommes idolâtres de la république, une, indiviſible, populaire, & décidés à mourir en la défendant.

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A BOURGES, de l'Imprimerie de B. CRISTO, Imprimeur du Département du Cher.

Transcription (en français standard)

DISCOURS,

PRONONCÉ À BOURGES,

SUR L'AUTEL DE LA PATRIE.

Le 5 juillet 1793, l'an 1er de la République Française.

PAR PIERRE-ANASTASE TORNÉ,

PRÉSIDENT DU DÉPARTMENT DU CHER,

Après la proclamation de L'ACTE CONSTITUTIONNEL ;

En présence des corps constitués et des citoyens de la même ville ;

IMPRIMÉ PAR ORDRE DU DÉPARTMENT.


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CITOYENS,

IL arrive enfin le règne de la loi, et avec elle la règne de la liberté. La Constitution du peuple français vient enfin terminer l'anarchie qui menaçait d'en dévorer une partie et d'asservir l'autre. Il va passer enfin ce temps orageux, qui s'écoule toujours entre l'insurrection d'un peuple qui reprend ses droits et une constitution qui les affermit.

Oui, voici le moment où le fort de la nation française est dans ses mains, et où son repos, sa liberté, son bonheur, dépendent d'un acte pur et simple de sa volonté souveraine.

Empressons-nous d'accepter la continuation, cet inappréciable bienfait de la Convention nationale ; et les troubles intérieurs vont finir aussitôt ; les despotes coalisés, désespérant de diviser une nation qui réunie est invincible, fuiront nos frontières ; nos frères d'armes vainqueurs, viendront jouir dans nos embrassements des honneurs civiques et des bienfaits de la patrie reconnaissante ; des administrateurs égarés en divers lieux de la république, par d'aveugles ressentiments, rougiront d'avoir mis dans la balance le fort de quelques individus grièvement accusés, avec le salut de la patrie : ils frémiront d'avoir ainsi mis en péril la liberté, au lieu d'ajourner le jugement des factieux, quelque part qu'ils se trouvent, au temps où la France n'aurait plus au-dehors d'ennemis à combattre.

Acceptons cette constitution libératrice ; et le servile royaliste, honteux de sa bassesse, bientôt comme nous détestera les tyrans ; et l'ambitieuse intrigue du fédéraliste aimera bientôt à se confondre dans l'unité qui fait la force des républiques, en leur donnant de l'ensemble ; et le souffle tout-puissant de l'esprit public aura bientôt éteint les torches du fanatisme ; et dans la Vendée, les brandons de la guerre civile ne tarderont pas à s'amortir dans un déluge de pleurs versés sur d'innombrables victimes de la superstition et de la rage des prêtres.

Acceptons cette constitution vraiment salutaire [1], et cette heureuse époque sera la fin des factions turbulentes, des attentats contre les personnes, des proscriptions horribles, des violations atroces du droit sacré de la propriété, de l'excès des taxes arbitraires, mais justifiées par la nécessité publique. Cette heureuse époque sera la fin des atteintes portées à la liberté individuelle, par une surveillance ombrageuse, des mesures effrayantes de sûreté générale, souvent prises hors de la loi, et dont on ne voit pas le terme, quand on ne voit pas celui de la révolution. Ils finiront enfin à cette époque, les dangers du pillage et des massacres, effets terribles de la colère d'un peuple désespéré par des revers, aigri par de grands besoins, ou soulevé par des agitateurs.

Non, il n'est pas de classe de citoyens qui n'ait le plus grand intérêt à se rallier autour d'une constitution qui seule peut ramener le bon ordre, la paix et la sûreté publique. S'il est donc quelque âme féroce qui, sous prétexte de vouloir une constitution meilleure à ses yeux ou plus favorable à ses vues, se plaise à prolonger les horreurs de l'anarchie, de la guerre civile et des calamités inséparables d'une longue révolution, ah ! citoyens, je vous dénonce ce monstre insocial comme digne de l'exécration publique. Le scélérat ! il voudrait voir les restes de sa patrie en cendres ; il n'a pas vu encore assez de Français périr sous ses yeux ; la liberté nationale ne lui paraît pas avoir couru assez de dangers ; il n'est pas encore rassasié de carnage ; la nation lui paraît encore opposer aux tyrans coalisés trop de vigueur, il veut que son sang coule jusqu'à ce qu'elle soit affaiblie au point de ne pouvoir repousser les fers dont on veut l'accabler !

Loin de nos assemblées primaires, ces pestes publiques ! Fiers républicains, Français dignes de ce grand nom, foudroyez de vos regards, accablez de vos mépris ces contre-révolutionnaires barbares, s'ils osent siéger parmi vous : que leurs blasphèmes politiques expirent sur leurs lèvres ; en vous entendant proclamer à cris redoublés la Constitution républicaine qui vous est présentée, les bases immortelles de la liberté et de l'égalité, sur lesquelles elle est établie, l'unité, l'indivisibilité de cette belle république et du corps législatif. Confondez ces anarchistes, long-temps déguisés fous d'iniques imputations d'anarchie, faites aux amis de la liberté fondée sur les lois : comparez pour cela les troubles que fomente la minorité actuelle de la Convention à l'heureuse révolution, dont une constitution excellente a été le prompt résultat : que dans le silence de leur rage impuissante, ils entendent la voix du souverain leur commander impérieusement de souscrire ou de fuir le contrat social.

Qu'ils s'écartent donc des limites de ce département paisible et fidèle, tous émissaires de corps administratifs, infectés de quelque opinion favorable au fédéralisme ou à la royauté, ils ne trouveraient parmi nous que des hommes idolâtres de la république, une, indivisible, populaire, et décidés à mourir en la défendant.

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À BOURGES, de l'Imprimerie de B. CRISTO, Imprimeur du Département du Cher.


[Notes]

1. Dans le manuscrit, notez «ſalataire», soit «salataire», plutôt que «ſalutaire», soit «salutaire». La première, et la plus simple, explication pour cette anomalie, c'est que «salataire» est seulement une coquille pour «salutaire» : mais la seconde, c'est que «salataire» est un calembour fort discret sur le radical «sale»...

2. Pierre-Anastase Torné, né le 21 janvier 1727 à Tarbes (Hautes-Pyrénées), fut évêque métropolitain de Bourges et président de l'administration du département du Cher. À Bourges, le 4 janvier 1794, âgé de 67 ans, il épousa Jeanne Colet-Messine, qui en avait 49 ; il divorça peu après, partit pour les Pyrénées, devint bibliothécaire à l'«école centrale» de Tarbes (ci-devant le Collège de Tarbes et l'actuel Lycée Théophile Gautier), où il mourut subitement le 12 janvier 1797.

3. R. Peters' Home Page (en anglais).
[Décembre 2004]