«DEUX VICTIMES DES SEPTEMBRISEURS [LES BIENHEUREUX FRÈRES LA ROCHEFOUCAULD]» DE
LOUIS AUDIAT ; CHAPITRE 11


CHAPITRE 11. — Pierre-Louis change le vicaire de Saint-Vivien. — Louis-Eutrope Doussin curé. — Émeute contre lui. — Installation d'un curé par la maréchaussée. — Lettre du comité à l'Assemblée. — Élections des administrateurs du département. — Son confrère Jean-Charles de Coucy, évêque de La Rochelle. — Députations. — Le bataillon des dames d'Aunay. — Notes de bas de page.


Pierre-Louis de La Rochefoucauld n'oubliait donc pas son diocèse. Si les travaux de l'Assemblée nationale le retenaient à Paris, il avait toujours une oreille penchée pour les bruits qui venaient de Saintes, et ne perdait point de vue les intérêts religieux de la province qu'il représentait. On en a une preuve dans un incident sans doute infime, mais qui ne laissa pas d'avoir un grand éclat dans la contrée et d'agiter profondément la paisible ville de Saintes.

À la mort de Cornueau, leur curé, les habitants de la paroisse de Saint-Vivien auraient désiré avoir pour le remplacer Pierre de Foix, qui était leur vicaire depuis cinq ou six ans, et qui avait été député du clergé de la paroisse à assemblée pour les États généraux. Mais la cure, ou plutôt le vicariat perpétuel de Saint-Vivien, d'un revenu de 800 livres, était à la collation du prieur, représenté par le curé de Saint-Louis de Rochefort, qui y avait nommé Louis-Eutrope Doussin, vicaire d'Arvert en 1782. La Rochefoucauld avait envoyé Pierre de Foix à Nonac, cure à 15 kilomètres de Barbezieux, dont il avait la nomination et qui valait 3000 livres (1). Il y eut réclamations et réclamations énergiques. Saint-Vivien voulait garder son vicaire. On s'adressa à la municipalité, qui en référa à l'Assemblée nationale. L'évêque n'y pouvait rien ; l'Assemblée, pas davantage. Le comité ecclésiastique écrivait donc, le 31 mai 1790, au conseil de ville la lettre suivante signée du marquis de La Coste, président, de Bois-Landry, secrétaire, et d'Ormesson :

«L'éloge que vous faites, messieurs, dans votre lettre, du sieur de Foi, ancien vicaire de la paroisse de Saint-Vivien, fait d'autant plus regretter au comité ecclésiastique, que la demande de ses paroissiens n'ait pas précédé la nomination faite par le collateur du sieur Doussin à cette cure, que l'empressement que Mgr l'évêque de Saintes à nommer le sieur de Foi à la cure de Nonac est un nouveau témoignage rendu aux vertus et aux talents de cet ecclésiastique ; mais dans l'état actuel des choses, les sieurs Doussin et de Foi étant respectivement nommés, l'un à la cure de Saint-Vivien, l'autre à celle de Nonac par les collateurs légitimes, la permutation désirée ne peut avoir lieu que du consentement libre des deux pourvus.»

Doussin nommé voulait être installé. Il était de Saintes, où sa famille était honorablement connue (2).

Le samedi 26 juin, il représente à la municipalité qu'il se propose de se rendre à l'évêché pour y subir son examen. Mais, «craignant d'être inquiété par quelques femmes qu'il a vues plusieurs fois attroupées,» il demande que deux cavaliers de la maréchaussée l'accompagnent mercredi. Singulier cortège. Aussi on lui répond qu'il n'y a pas lieu de lui prêter main forte par mesure préventive. Les commissaires du conseil de l'évêque, Luchet et Dufresne, chanoines, viennent à leur tour exposer que Doussin, dûment nommé, réclame son visa qu'on ne peut lui refuser. Mais «la fermentation qui règne dans la paroisse» leur paraît exiger qu'on recule la prise de possession.

L'Assemblée s'en rapporte à leur sagesse. Rejetés par le conseil municipal, par l'Assemblée nationale, les habitants de Saint-Vivien s'adressent le 28 aux électeurs réunis à Saintes qui se déclarent incompétents. Malgré cette opposition manifeste, Doussin entend prendre possession, le 11 juillet. Il a soin de se faire escorter d'un piquet de la maréchaussée. Mais cet appareil militaire irrite les esprits. Les femmes s'arment de bâtons, de couteaux, de fusils, de sabres et barrant le passage crient au curé et à son cortège qu'elles vont tomber sur eux s'ils font un pas. En même temps le tocsin sonne. La foule accourt, immense, tumultueuse, et mal disposée. Ainsi accueilli par ses ouailles, le pasteur jugea prudent de ne pas pousser à bout leur aménité. Il se retira avec ses gendarmes. Le 10 juillet, nouvelle lettre du comité ecclésiastique. La municipalité mande les sieurs Baudry, Archambaud et Viollaud, principaux habitants de Saint-Vivien, et leur remet la lettre pour qu'ils la communiquent. Un mois se passe et plus. Quand Doussin, qui était retourné à Arvert, croit le calme revenu, il reparaît à Saintes et le 22 août, il écrit au conseil :

«Trois soldats de la garde nationale et les habitants de la paroisse de Saint-Vivien sont venus m'annoncer à Arvert, où j'attendais vos ordres pour que je puisse y paraître et y remplir les fonctions de pasteur de la dite paroisse, que, par votre sagesse, le bon ordre y aurait été rétabli. J'y viens avec confiance, messieurs, dans l'intention d'y dire la messe paroissiale, à neuf heures du matin. J'ai tout lieu d'attendre que je ne trouverai aucune résistance. Cependant comme il se pourrait faire que quelques esprits encore peu calmes me troublent dans mes fonctions pour la première fois, je vous supplie, messieurs, si vous le jugez nécessaire, d'ordonner main forte. Je ne cesserai d'en conserver la plus vive reconnaissance. J'ai l'honneur d'être, etc.

«DOUSSIN, curé de Saint-Vivien

La requête communiquée, le procureur de la commune, «attendu qu'il est notoire que les habitants de la paroisse de Saint-Vivien continuent leur attroupement à la porte de l'église de la dite paroisse avec armes et outils offensifs, et que, depuis près de six heures du matin, on sonne continuellement la cloche pour fortifier leur attroupement dans le dessein d'empêcher le dit sieur Doussin leur curé, d'exercer les fonctions curiales,» déclare qu'il ne s'oppose point à ce que Doussin soit accompagné de forces suffisantes. À dix heures on envoie donc chercher les chefs de troupe. MM. de Turpin, de L'Huillier, Garat et Bernard, commandants de la garde nationale, du régiment d'Agenois et de la gendarmerie, reçoivent l'ordre d'envoyer chacun un détachement de 50 hommes, de tenir le reste de leurs régiments prêts à marcher au cas où il y aurait résistance et où la municipalité serait obligée de faire sortir le drapeau rouge, et proclamer la loi martiale. À dix heures et demie, les détachements se mettent en marche, ayant à leur tête, Charrier, officier municipal, et commandés par MM. de Turpin, Guérinaud, Garat, Bachelot et de Caumont. Un détachement de gardes nationaux et de soldats de ligne vont trouver Doussin.

À l'entrée du faubourg, des pierres furent lancées à la troupe. Les soldats ripostèrent par quelques coups de feu. Ce fut alors une grêle de projectiles. La troupe chargea. Une lutte vive s'engagea, et la mêlée devint si sérieuse qu'on faillit arborer le drapeau rouge. Enfin les émeutiers se dispersèrent, et la force armée, brisant à coups de hache les portes de l'église, intronisa le curé au milieu des huées de la multitude et des baïonnettes des régiments. Des arrestations nombreuses furent faites, et la troupe campa plusieurs jours à Saint-Vivien (3), Cette répulsion contre Louis-Eutrope Doussin était-elle personnelle ou n'était-ce que de la sympathie pour Pierre de Foix ? Toujours est-il, que le pasteur installé de force ne tarda pas à renoncer à la prêtrise. Il prêta serment à la Constitution civile du clergé le 20 février 1791, se maria, et alla demeurer à Tonnay-Boutonne.

C'était le présage de l'ouragan. On allait bientôt voir d'autres scènes plus graves.

Dans le désordre administratif, suite de la suppression subite des pouvoirs établis, on cherchait à s'organiser. À Saintes, l'assemblée pour la nomination des 36 administrateurs du département de la Charente-Inférieure qui remplaçait, depuis le 15 janvier 1790 (4), la Saintonge et l'Aunis, s'ouvrit le 12 juin 1790. Les séances furent orageuses, et le journal du temps y signale «des clameurs vagues et indéterminées, des cris impérieux, des huées,» qu'il compare à la tour de Babel (5).

Pierre-Louis de La Rochefoucauld ne put prendre part aux travaux de l'assemblée. Son confrère de La Rochelle s'y trouva. Jean-Charles de Coucy (6) avait été nommé électeur. Il fut désigné comme l'un des trois commissaires du district de La Rochelle pour la vérification des pouvoirs. Avec lui on comptait un certain nombre d'ecclésiastiques qui y avaient été envoyés par les assemblées primaires, preuve de confiance et marque de déférence. C'étaient, entre autres, Jean-Adrien Limonas, supérieur de l'Oratoire à La Rochelle, membre de l'Académie de cette ville et de celle d'Angers, qui avait à Saintes prêché le carême de 1786 avec succès ; Pierre-Joseph Leroy, curé de Saint-Sauveur à La Rochelle, qui, avec Limonas, Joseph Eschassériaux, Jouneau, de Lortie et Despéroux, furent chargés de rédiger une adresse à l'Assemblée nationale ; Jean-Baptiste Bonifleau, curé de Bussac, qui jura et se repentit ; Albert, curé des Gonds, assermenté ; Guillaume Lay, curé de Courcoury, qui fit amende honorable en 1797 de ses erreurs constitutionnelles ; André-Bertrand Robert curé de Gemozac, émigré en Espagne ; Moussiaud, curé de Vouhé, exilé en Hollande ; Rivière, archiprêtre de l'île d'Oléron, curé de Saint-Pierre ; Gaboriaud, de Saint-Genis ; Chaudon, du Fouilloux, sans doute le Chaudon qui fut vicaire à Saint-André de Dolus de 1760 à 1774, plus tard vicaire épiscopal de Robinet ; Guillaume-Denis Durand, curé de Rouffiac, exilé ; Simon Baron-Duclos, de Montpellier, émigré en Espagne ; Imbaud, d'Hiers et Brouage, qui jura et fut maire (7) ; Guillaume Mestadier, de Saint-Léger de Breuil ; Berny, de Saint-Dizant du Gua ; Duc, du Seure ; Beaurivier, de Cravans, exilé ; Lair, de Soubran (8) ; Paul-Marie Coyaux, cure de Saint-Xandre de 1759 à 1791, qui fut remplacé par l'assermenté Robin et se cacha.

Le clergé était donc loin de se tenir à l'écart, ou de vouloir arrêter le mouvement. Il est le premier à parler et agir. On vit presque à chaque séance se présenter quelques députations ecclésiastiques, qui toutes montrent leur amour pour la patrie, leur désir des réformes et leur respect pour l'assemblée. Dans ce style emphatique qui est le goût et le caractère du temps, le 19, Grellet du Peirat présente à l'assemblée les «respectueux hommages du chapitre», et «prend part aux sentiments de paix et de fraternité dont elle a donné hier le spectacle si touchant». — Le président René Briault, avocat, répond : «L'assemblée électorale n'a jamais douté, messieurs, de votre patriotisme et de votre amour pour le bien public. Il est réservé principalement aux ministres des autels de donner l'exemple de la soumission aux lois et de la prêcher aux peuples. Qu'importent les sacrifices lorsqu'ils sont nécessaires au bonheur de tous ? Celui qui contribue le plus à l'avantage de sa patrie est le citoyen le plus vertueux. Heureux celui qui, comme vous, messieurs, peut offrir à ses concitoyens un cœur pur, un attachement inviolable à la Constitution et une fidélité constante à son roi. Ces titres doivent vous être un sûr garant de l'estime générale et de la bienveillance de cette auguste assemblée (9).»

Le jour suivant, c'est le bas chœur de la cathédrale conduit par Planié. Le collège, par la bouche de l'abbé de Rupt, principal, se félicite de voir tant de ses élèves parmi les élus de la province. «Oui, messieurs, pendant que vous poserez les fondements de la félicité publique, nous préparerons à la patrie des citoyens capables d'en perpétuer la jouissance. Notre premier soin auprès de la jeunesse sera d'exciter la reconnaissance pour ceux à qui elle devra son bonheur futur. Nous citerons à nos enfants leurs pères pour modèles, et nous nous croirons heureux quand nous aurons fait des citoyens qui vous ressemblent.» — À ce compliment galamment tourné, le président réplique : «Cette illustre assemblée reçoit, messieurs, avec joie le tribut de vos hommages. Jamais notre reconnaissance n'égalera le bien que vous avez fait.»

Après les maîtres, les écoliers. Le 20, les élèves arrivent ; «cette intéressante députation, bien propre à émouvoir la sensibilité, a été accueille par des applaudissements unanimes.» L'orateur Claveau s'écrie... «O sages administrateurs ! Le citoyen vertueux que vous avez choisi pour présider à vos illustres occupations est une preuve bien éclatante de votre sagesse. A jamais mémorables, vos noms passeront à la postérité la plus reculée ; votre patriotisme et votre dévouement nous garderont dans la carrière que nous avons à fournir ; et nous ferons les plus grands efforts pour suivre d'aussi près qu'il nous sera possible les dignes modèles que vous nous présentez.» — «Je n'ai qu'un fils, répond le président ; je l'offre à la patrie. Je veux que, comme Annibal, il jure sur l'autel de la liberté de lui être fidèle, de verser son sang pour sa défense et de vouer une haine immortelle à tous ceux qui voudront l'opprimer.»

Les religieux s'approchent ensuite. Le père Loys, gardien des Mineurs conventuels (10), souhaite de voir choisir des administrateurs dignes de ceux qui les vont nommer. — On répond : «L'assemblée n'honorera de son choix que des hommes vertueux et éclairés pour le bien de la chose publique et le bonheur de la grand famille dont vous êtes membres.» Ensuite le prieur des Dominicains dit «qu'ils sont citoyens et patriotes ; ils partagent avec la sensibilité la plus vive, la joie des districts qui se félicitent d'être confiés à l'administration d'un président aussi juste qu'éclairé et qui réunit dans sa personne le mérite, les talents et les vertus.» — «Votre patriotisme est connu à l'assemblée électorale, reprend Briault. Les hommages que vous lui offrez lui sont infiniment agréables ; et charmée de voir votre dévouement à la Constitution, elle me charge de vous assurer sa bienveillance.»

Le 27 au matin, l'abbesse de Sainte-Marie-des-Dames, Mme de Baudéan de Parabère, envoie en son nom et au nom de ses religieuses Roudier, qui regarde comme un des plus beaux jours de sa vie celui qui l'honore de porter la parole dans cette respectable assemblée. «... Ces dames ont appris avec une joie indicible l'union et la concorde qui règnent parmi vous, pour opérer le bien public...» — La réponse est courtoise : «... Les vœux qu'elles font pour nous ne peuvent que nous être infiniment agréables. Formés par des cœurs aussi purs, ils seront exaucés...»

Puis Jean Claude, supérieur (11), à la tête des professeurs et des élèves du séminaire, offre son dévouement, ses hommages. — «Les applaudissements que vous entendiez retentir de tous côtés, dit le président, vous annoncent, messieurs, combien cette respectable assemblée est satisfaite de vos hommages. Destinés un jour à remplir les redoutables fonctions du sacerdoce, portez dans nos campagnes les vertus de votre supérieur ; aimez comme lui la religion et la patrie ; dites à vos concitoyens qu'ils ont le meilleur des rois, et que c'est aux travaux infatigables de l'Assemblée nationale qu'ils sont redevables de la liberté.»

Les Récollets vinrent à leur tour, et le père Gabriel (12) parla ainsi : «... Placés pour ainsi dire dans ce moment entre la nation et le prince dont vous exécutez les ordres, vous saurez, dans cette situation délicate, concilier les besoins de l'État avec le bonheur des peuples, en lui donnant des officiers qui maintiendront, plutôt par leur équité et leur sagesse que par l'autorité de leur caractère, la puissance nationale dont nous respecterons toujours avec la soumission la plus parfaite les décrets et les volontés...» — «Dans tous les temps, fut-il répondu, vous avez observé la loi, et l'austérité de vos mœurs a fait respecter la religion. En présentant vos hommages à cette illustre assemblé, vous remplissez les devoirs de bons citoyens et vous méritez par là sa protection.»

Le discours du frère Firmin (13), au nom des frères de la Charité, est inspiré par la déclaration des droits de l'homme. La note belliqueuse y domine ; le son du clairon couvre la voix de ses pacifiques confrères. Aussi excite-t-il les vifs applaudissements de l'assemblée : «La nature, dont les droits sont éternels et imprescriptibles, nous a faits citoyens avant que la religion nous eût admis dans son sein. Le vrai patriotisme n'est pas incompatible avec la dignité de notre état. Destinés par notre institut aux plus humbles fonctions, les frères de la Charité en s'appliquant sans relâche au soin de soulager et de guérir l'humanité souffrante, ont contracté de bonne heure l'amour de la patrie et de l'heureuse égalité. C'est en présence de cette illustre assemblée, image vivante de l'auguste Assemblée nationale, qu'ils font le serment d'obéir avec respect aux décrets des sages représentants de la nation, à la loi et au roi, et de maintenir la Constitution de toutes leurs forces. Nos mains hospitalières ont été jusqu'à ce jour consacrées aux sublimes fonctions de la charité ; mais elles sauraient agiter le fer vengeur de la liberté, si les ennemis de l'ordre et du bonheur public osaient déployer l'étendard de la révolte pour attaquer une constitution qui doit être regardée comme un bienfait du ciel.» C'est le procès verbal, page 97, qui souligne la dernière phrase.

Enfin, le 23, arrivèrent les curés de la ville et des faubourgs. Bonnerot, curé de Saint-Maur, complimenta l'assemblée : «Ministres d'une religion qui ordonne la soumission la plus respectueuse envers tous ceux qui sont revêtus du pouvoir et élevés en dignité, chargés comme pasteurs des âmes de former notre troupeau à ce devoir intéressant, portés nous-mêmes à le remplir par le mouvement irrésistible de nos cœurs, nous n'avons cessé de donner à nos leçons et nous ne cesserons jamais de leur donner l'énergie qu'elles tirent de l'exemple...» — «Il est beau, reprit le président, de vous voir donner l'exemple de l'attachement à la Constitution et de l'obéissance à la loi. C'est la preuve la plus certaine de votre patriotisme...».

Ainsi, tous les corps religieux se montraient animés des plus heureuses dispositions ; et on le reconnaissait publiquement. Il n'y avait donc qu'à aller doucement, sans secousse, sans froissement surtout pour la liberté de conscience. La Révolution, désirée de tous, faite déjà dans les esprits, aurait passé dans les actes et dans les mœurs. Nous n'en serions point maintenant à désirer encore beaucoup de réformes qui paraissaient au début définitivement gagnées.

Je ne veux point raconter cette longue procession de municipalités, de gardes nationales, des corps de métiers, qui accouraient de tous les points du département, et défilèrent leurs harangues monotones, fastidieuses, dont le plus grave inconvénient était de faire perdre du temps. On vit même madame de La Chabosselay (14) venir complimenter l'assemblée qui regrette, le procès-verbal étant clos, de n'y pouvoir insérer «ce témoignage authentique de son patriotisme (15)».

On comprend quel temps précieux faisaient perdre à l'assemblée ces députations invariablement précédées d'une harangue à laquelle le président en ajoute une seconde. L'assemblée, dont les membres recevaient trois livres par jour, enfin termina ses séances, le 29 juin. Elle avait nommé les trente-six administrateurs du département, cinq pour chacun des sept districts de Saintes, La Rochelle, Saint-Jean d'Angély, Rochefort, Marennes, Pons, Montlieu, plus un (16).

Les trente-six administrateurs du département nomment, 26 et 27 juillet, les huit membres du directoire du département : Président, Jean-Aimé de Lacoste ; vice-président, Jean-Jacques de Bréard, maire de Marennes ; François-Xavier-Alexandre Chesnier-Duchesne, avocat à Saintes ; Philippe-Joachim-Ferdinand Rondeau, lieutenant-général civil du bailliage de Rochefort ; Jean-Joseph Jouneau, de Barret près Barbezieux, lieutenant de gendarmerie dans l'île de Ré ; Louis-François Duret, avocat à Saint-Jean d'Angély ; Pierre-Augustin Riquet, avocat à Orignolles ; Joseph Eschassériaux, avocat à Corme-Royal, et Constant-Isaac Raboteau, propriétaire à Saint-Fort-sur-Gironde (17).

Le président avait terminé ainsi son discours de clôture : «Grâces soient rendus à l'Être suprême qui a couronné nos travaux. Remercions-le avec transport de nous avoir donné des hommes capables, par la force seule de leur génie, de briser nos fers, de nous restituer dans nos droits et de nous rendre à la liberté. Une protection aussi marquée est digne de la reconnaissance la plus vive, de l'amour le plus pur, et de l'attachement le plus invincible à une religion dont le but a toujours été de rendre les hommes meilleurs, de les ramener sans cesse aux grands principes de la raison et de l'humanité, en un mot, de leur procurer le bonheur.»

_____________________________________

[Notes de bas de page.]

1.  Les historiens, d'après la tradition orale, ont attribué la nomination de Doussin à l'évêque intrus Robinet. Avant Pierre-Damien Rainguet, Biographie saintongeaise (Saintes, Niox, 1851), l'abbé Briand, Histoire de l'Église santone et aunisienne depuis son origine jusqu'à nos jours (La Rochelle, Boutut, 1843 ; tome II, p. 69), avait adopté la légende, et ajouté cette petite note à Louis-Eutrope Doussin : «A peine parut-il comme un loup au milieu de troupeau, que l'indignation s'empara de ces cœurs qui ne sont jamais froids pour le bien ou pour le mal, mais qui sont héroïques quand la roi les enflamme.»

2.  Louis-Eutrope Doussin, né à Saintes le 22 avril 1775 , était fils de Catherine-Marguerite Chéron et de Jacques-Louis Doussin, maître en chirurgie, chirurgien-major du bataillon de Voutron puis des milices gardes-côtes de Saintonge, qui créa à Saintes, grâce aux bienfaits du marquis de Monconseil et au concours de médecins, notables et ecclésiastiques, une école de chirurgie ouverte en 1779. Eutrope eut pour frères : 1°, Étienne-Gabriel, né à Saintes le 25 février 1764. 2°, Jacques-Louis Doussin du Breuil, né à Saintes le 5 octobre 1762, mort à Paris en 1831, auteur d'un grand nombre d'ouvrages de chirurgie et de médecine, un des plus actifs propagateurs de la vaccine, homme fort spirituel, qui, chassé du club de Saintes, comme modéré, répondit à un ami affligé de son expulsion : «Mon cher, je m'en...... moque. L'écume vaut mieux que le bouillon». 3°, Louis-Joseph, né à Saintes le 24 septembre 1767, mort à Brisambourg en mars 1851, défenseur officieux, libraire, puis conservateur de la bibliothèque de Poitiers, auteur de quelques ouvrages ; époux (28 janvier 1801) d'Anne-Aglaé-Rosalie Deslys, née à Saintes le 16 février 1781, de Louis Deslys, libraire et de Thérèse-Rosalie Patron ; 4°, Louis, né à Saintes, religieux de Chancelade, professeur de théologie à Cahors, puis prieur de Sainte-Marie en l'île de Ré ; aumônier des troupes royales en Vendée, il montra une grande valeur. Accusé devant le tribunal de Fontenay, il fut acquitté ; puis saisi comme émigré, et conduit à Rochefort pour être déporté, il s'échappa avec dix-sept de ses confrères. Il refusa de reconnaître le Concordat de 1801, et mourut en 1845 ; voir la brochure de Louis Audiat, Une Histoire de la Petite église (Vannes, Lafolye, 1895 ; p. 21). Enfin, 5°, Jean-Louis Doussin, né à Saintes le 15 octobre 1749, curé de La Tremblade, qui fut loin d'imiter son frère Louis ; il dénonça Pierre-Louis de La Rochefoucauld, se maria et mourut à Saintes. Eutrope se maria aussi et habita Tonnay-Boutonne. J'ai trouvé à Saintes, dans les registres paroissiaux de Saint-Pierre, les actes de naissance de Louis-Joseph, de Jean-Louis, d'Eutrope-Louis, de Jacques-Louis et d'Étienne-Gabriel. Je n'ai pas vu celui de Louis, le Vendéen, et je ne le donne comme frère des précédents que sur la foi de Pierre-Damien Rainguet dans la Biographie saintongeaise. Ils eurent une sœur, née à Saint-Aignan le 11 mars 1752, tenue sur les fonts, le 13, par Jean-Louis Maillet, négociant, et par Marie-Marguerite-Louise Daudy, femme de Jacques Ballandier, négociant à Rochefort.

3.  Journal patriotique de Saintonge et d'Angoumois.

Voici d'autre part le procès-verbal signé de Bonnaud de Mongaugé, de Fonrémis, C.-A. Gout, Charrier, Louis Suire, Moreau, «ofisier municipal», Néron, Chéty, substitut du procureur, Grégoireau, Drilhon, tous officiers municipaux ou notables. Il a une naïveté qu'on ne remplace pas...

«Ils l'ont accompagné revêtu du surplis et étolle, à la tête des détachements, et l'ont conduit à l'église paroissiale qu'ils ont trouvée fermée : et après avoir fait demander les clefs de la grande porte d'entrée au sacristain, il a répondu qu'il n'en était point nanti, que c'était la Bourbon fille qui les avait, et qu'il allait les y chercher. Mais enfin ennuyé d'attendre son retour, on s'est déterminé à enfoncer la porte de la sacristie, et parvenir en icelle, pour entrer dans l'église. Il a fallu enlever la serrure d'une autre porte qui ouvre dans le sanctuaire. Cela fait et entré dans l'église, on a encore été obligé de rompre le flan de la grande porte d'entrée qui était cadenatée, par laquelle le curé et une partie des troupes qui l'accompagnaient sont entrés, l'autre partie étant restée dehors pour contenir la populace qui paraissait fort exaltée. Le dit sieur curé, après avoir fait l'aspersion et avoir chanté le Veni Creator, a célébré la messe, et, la cérémonie faite, est venu dans le même accompagnement au dit hôtel, et a remercié la municipalité qui a constamment tenu séance depuis neuf heures du matin. Sur quoi le sieur Bonneau de Mongaugé prenant la parole, a répondu au dit sieur curé que la municipalité, en accédant à sa demande n'avait fait qu'exécuter les dispositions de la loi, et notamment l'avis du comité ecclésiastique qui lui a été envoyé sur les représentations respectives qui avaient été faites à l'Assemblée nationale. Les détachements étant aussi rentrés immédiatement après la retraite du dit sieur Doussin curé, ils ont présenté à la municipalité le nommé Jounaud, scieur de long, qui s'est montré chef de partis, qui a porté l'audace au point de dire que le dit sieur Doussin ne dirait point la messe, et que la paroisse ne le voulait point pour curé ; sur les représentation qui lui ont été faites que ces propos étaient incendiaires et criminels et qu'il se retirât, il s'est armé d'une pierre, et sur le champ il a été pris par deux cavaliers de la maréchaussée qui l'ont emenoté et ainsi conduit au dit autel et de suite transféré à la tour. Il a également été amené la femme du nommé Archambaud, charpentier, qui a été arrêtée pour les mêmes propos du précédant et traduite en prison. Il a été en outre rapporté à la municipalité que la troupe, avant d'arriver à la dite église de Saint-Vivien, avait rencontré plus de vingt-cinq femmes attroupées, qui venaient au devant d'elle, et qui avaient à leur tête la nommée Bourbon, fille, lesquelles étaient toutes armées de bâtons et de pierres ; et la dite Bourbon, écumant de colère, leur a dit qu'elles ne voulaient point du sieur Doussin pour curé, et qu'il ne dirait point la messe à la dite église ; qui plus est qu'elles n'entendaient point que la troupe et lui allassent plus loin. En effet plus on avançait au lieu destiné, plus l'attroupement augmentait et se fortifiait, tant de femmes que d'hommes. Mais il a été dissipé sans coup férir par la prudence et le courage de la troupe ; de tout quoi la municipalité a témoigné aux différents chefs sa reconnaissance et sa satisfaction, et les a priés d'établir un corps de garde dans le dit faubourg composé de trente-six hommes, douze de chaque corps, et en outre arrêté qu'il serait fait recherche des coupables pour les amener au dit hôtel, qui n'a été désemparé que sur les deux heures de relevée, pour reprendre séance après le repas. Fait, clos et arrêté au dit hôtel.»

4.  [Note de l'éditeur.  Le 15 janvier 1790, l'Assemblée nationale, désireuse de détruire les circonscriptions territoriales qui pouvaient rappeler l'Ancien Régime et sa féodalité, décréta que la France serait divisée en 83 départements ; chaque département fut divisé en districts et chaque district en cantons.]

5.  Phrases irrespectueuses qui valurent à Bourignon la menace d'une dénonciation. Et lui qui traitait de grand inquisiteur Taillet, vicaire général, qui l'avait averti de prendre garde, s'écriait, Supplément au n° XXVI du Journal patriotique de Saintes et du département de la Charente-Inférieure, p. 213 : «Voudrait-on nous faire regretter les fers odieux que nous avons brisés ? Et la liberté aurait-elle son despotisme et ses satellites ?»

6.  Jean-Charles de Coucy était né le 25 septembre 1746 au château d'Escordal dans le Rethelois (Ardennes) ; aumônier de la reine par brevet du 28 janvier 1776, grand vicaire et chanoine de Reims, appelé au siège d'Uzès à la mort d'Emmanuel de Crussol, il fut sacré à Paris le 3 janvier 1790 à Paris, dans la chapelle du séminaire de Saint-Sulpice, en même temps que Asseline¹ et Dubois de Sanzay² ; tous trois fut nommés par Louis XVI le 23 octobre 1789 et leurs nominations bénies par Pie VI le 14 décembre suivant. Il était de illustre famille des sires de Coucy en Champagne ; voir Jean-Baptiste Courcelles, Histoire généalogies et héraldique des pairs de France... (Paris, Plassan, 1822-1833 ; tome VI, p. 206). [¹Jean-René Asseline, le 12è évêque de Boulogne, mourut en émigration, à Aylesbury, comté de Buckingham (Angleterre), le 10 avril 1813. ² Charles-François Daviau Dubois de Sanzay, archevêque de Vienne, émigra en 1792, et ne rentra en France que après la signature du Concordat (16 juillet 1801) ; il fut nommé archevêque de Bordeaux le 9 avril 1802.]

7.  C'est sans doute sa sœur qui décéda à Brouage le 1er septembre 1794, Marguerite Imbaud, âgée de 48 ans, fille de feu Jean Imbaud et de Marguerite-Scholastique Pinard, de la commune de Cognac.

8.  Charles Lair, né en 1746, curé à Soubran depuis 1776 avec un revenu de 2400 livres, chapelain de la chapelle de Logerie en la paroisse d'Expiremont depuis 1782, prêta serment à la Constitution civile du clergé, fut officier d'état civil du 23 septembre 1792 au 12 janvier 1794 et du 24 décembre 1795 au 13 juillet 1800, et maire du 23 septembre 1799 au 18 avril 1806 ; il se maria, vécut misérablement et mourut vers 1828.

9.  Procès-verbal des délibérations de la première assemblée électorale du département de la Charente-Inférieure (p. 67).

10. Joseph Loys, né à Poligny (Jura) en 1726, mort à Saintes le 4 septembre 1797 ; voir Louis Audiat Saint-Pierre de Saintes,... (Saintes, Mortreuil, 1871 ; p.84).

11. Alias Pierre Claude, âgé de 52 ans, avait 30 ans d'exercice ; il refusa le serment à la Constitution civile du clergé, ainsi que les sept autres directeurs - tous desquels émigrèrent en Espagne.

12. Gabriel Fraisseix, supérieur des cinq Récollets dont trois jurèrent. Nous avons dit, note 30 au chapitre 6, qu'il était resté à Saintes. L'abbé Taillet, qui était mieux informé, dit de lui : «le P. Gabriel, ex-provincial, qui a toujours respecté ses devoirs et son habit. On l'a vexé, tourmenté. Une fois, on l'a chassé violemment de la ville ; mais on ne l'a point fait tomber. Il a passé en exil en Espagne, emportant les regrets, l'estime et la confiance de tous les bons Catholiques de Saintes.» Il exerçait à Saintes en 1801-1803, et y est mort.

13. En 1788, le prieur de la Charité de Saintes était Marin Duruflé, né à Elbeuf, qui mourut à Saintes le 29 août 1810, âgé de 81 ans. L'ancien prieur s'appelait Jean-Louis, et Louis de Ravigny se nommait Firmin. Je copie cette note du abbé Taillet, L'Église de Saintes depuis 1789 jusqu'à la fin de 1796 :

«Un hôpital militaire de Saintes, régi par les frères de la Charité, renfermoit cinq de ces religieux ; tous cinq ont tombé et on dit adieu à leurs règles et à leurs vœux ; on les accusoit depuis longtemps de n'avoir plus l'esprit de leur état. Un d'entre eux, nommé le F. Firmin, s'est montré violent contre les prêtres et les nobles ; c'est à ce titre que la nation en avoit fait un officier de garde nationale, et officier de l'état civil. Ce malheureux a enfin tourné sa violence contre lui-même. On a écrit de France qu'il s'étoit donné la mort.»

14. Est-ce Anne-Charlotte Le Fourestier de Balzac, femme séparée de Charles Crespin de La Chabosselay ?

15. Cette immixtion des femmes dans la politique du temps est assez fréquente. Le 8 mai 1790, selon le Moniteur du 10 mai (p. 323), l'Assemblée nationale félicite «des mères de famille de la ville d'Aulnay en Poitou, qui annoncent qu'elles ont formé une milice sous le nom d'Amazones nationales ; qu'elles ont prêté le serment d'être fidèles à nation, à la loi et au roi et de maintenir de toutes leurs forces la Constitution,» et, Journal patriotique de Saintes (p. 167), qui demandent de continuer leur association «dans la seule vue de donner de la fermeté à leurs époux et d'aiguillonner celle de leurs enfants.» Quelles gaillardes !

Les membres de la Société des Amis de la Constitution à Saintes, qui tint sa première séance le 12 décembre 1790 sous la présidence de C.-A. Gout, officier municipal, avec Bourignon, Mullier, Savary et Briault pour secrétaires, envoient, le 27 mars 1791, à la Société des demoiselles patriotes de la ville d'Alais une adresse toute galante (voir Journal patriotique de Saintes du 10 avril 1791 ; p. 115) :

«Mesdemoiselles, c'est un des plus beaux hommages rendus à la Constitution et une des plus belles espérances pour la liberté qu'une société de demoiselles qui se sont vouées à sa défense... Aimables patriotes, votre sexe est fait pour aimer et encourager tout ce qui est grand... La Constitution, pour laquelle vous avez promis de vivre et mourir, attend encore de vous de plus grands services. Elle va rendre tous égaux et libres les jeunes citoyens que vous voudriez bien donner à la patrie !!! Oui, mesdemoiselles, l'Assemblée nationale a détruit tous ces droits qui étaient pour elle une injure ; l'empire de votre sexe subsiste seul au milieu des ruines de l'Ancien Régime... Aimables citoyennes, il vous appartient d'inspirer l'amour de la Constitution. Parmi tous les spectacles qu'offre la Révolution, le plus intéressant de tous sera sans doute celui des grâces combattant pour la liberté.»

Le 15 mai, la même société, si chevaleresque, nomma pour son président René Briault, juge au tribunal, et pour secrétaires, l'adjudant major du régiment d'Agenois et Mlle Lacheurié ; la dernière épousa Jean-Baptiste Forget, professeur au collège de Saintes.

16. On trouvera leurs noms dans Eugène Eschassériaux, Les Assemblées électorales de la Charente-Inférieure, 1790-1799 (Niort, Clouzot, 1868).

17. Les traitements de ces administrateurs étaient 2500 livres pour chacun, 3000 pour le président, Jean-Aimé de Lacoste, et le secrétaire, Billotte, et 4000 pour le procureur général syndic, Jacques Garnier.



«Deux victimes des Septembriseurs» :
Table des Chapitres ; Lexique ; Chapitre 12

[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]