LA VEUVE EMBARRASSÉE :

proverbe dramatique de Louis Carrogis, dit Carmontelle.

PERSONNAGES
Mme DAMONVAL.
M. BERCOUR.
ROSINE, femme de chambre de Mme Damonval.
GERMOND, laquais de Mme Damonval.

La scène est dans un salon.


SCÈNE I.
ROSINE, GERMOND.

ROSINE.
Ah ! te voilà. Eh bien ! qu'as-tu donc ?

GERMOND.
Je te le demande ? Est-ce que tu n'es pas aussi ennuyée que moi de la triste vie que nous menons ici depuis que le mari de madame est mort ?

ROSINE.
Elle est encore bien plus ennuyée que nous.

GERMOND.
Eh ! que ne voit-elle du monde, comme elle faisait du vivant de son mari, puisqu'elle ne le regrette pas.

ROSINE.
Elle n'a pas trop sujet de le regretter.

GERMOND.
Il est vrai que c'était bien le plus triste gaillard que l'on eut jamais vu, qui avait la vue basse, qui vous parlait toujours sous le nez, et encore en vous crachant an visage.

ROSINE.
Aussi faisait-il continuellement le supplice de sa femme avec l'amour qu'il avait pour elle.

GERMOND.
Et avec sa jalousie. Tu sais les questions qu'il nous faisait sans cesse sur toutes les personnes qui venaient la voir.

ROSINE.
Tout cela est vrai : mais il était bien riche !

GERMOND.
Et bien vilain, bien ladre, bien avare.

ROSINE.
Malheureusement, il faudra que madame rende tout ce bien-là : il ne lui en restera au moins que peu de chose, et notre condition en viendra cent fois pire.

GERMOND.
Sûrement, car où il n'y a rien les profits sont bien minces.

ROSINE.
Elle sera fort à plaindre avec son goût pour la dépense, elle qui aime les modes nouvelles, les ajustements, et qui ne se refusait pas les moindres fantaisies, et dans tous les genres.

GERMOND.
C'est la première jouissance des femmes du jour.

ROSINE.
Eh bien ! malgré cela, elle est devenue d'une gaieté inconcevable d'avoir perdu son mari.

GERMOND.
Je serais bien comme elle : je ne connaissais pas d'homme plus ennuyeux, plus insupportable et plus dégoûtant, surtout pour une jolie femme.

ROSINE.
Mais cette satisfaction, ce charme, ce plaisir qu'elle éprouve la mettent dans le plus grand embarras. Comment n'a-t-elle pas l'esprit de paraître affligée de la perte qu'elle a faite ?

GERMOND.
Et pourquoi se contraindre ?

ROSINE.
Elle y est obligée, et je n'en sais la raison que d'aujourd'hui seulement.

GERMOND.
Et quelle est-elle?

ROSINE.
Celui qu'il lui paraît essentiel de tromper par un ton, un maintien, un extérieur de désolation, c'est l'oncle de son mari, qui aimait fort ce désagréable neveu : c'est à cet oncle que doit revenir tout le bien du neveu, ce qu'elle pourrait empêcher si elle parvenait à se contrefaire.

GERMOND.
Elle serait la première femme qui ne saurait pas feindre ; cela serait assez bien vu cependant, d'après ce que tu me dis, car il serait possible que cet homme, la croyant si sensible à la perte de son mari, lui proposât de la consoler en l'épousant.

ROSINE.
Voilà ce qu'elle devrait envisager et ce que nous devons désirer qui arrive.

GERMOND.
Est-ce qu'il est si difficile à une femme de pleurer ?

ROSINE.
Elle dit que toutes les fois qu'elle pense à pleurer son mari, elle se meurt d'envie de rire.

GERMOND.
Et d'ici à l'arrivée de son oncle, elle ne verra personne ?

ROSINE.
Il doit arriver dans peu.

GERMOND.
Et que fait-elle actuellement.

ROSINE.
Elle s'amuse à faire danser son chien, dont elle raffole plus que jamais, et à faire milles folies avec lui : elle ne peut pas s'en passer un instant.

GERMOND.
Je connais toutes ces manies de femmes pour les animaux : si nous en tirions parti ?

ROSINE.
Que projettes-tu donc ?

GERMOND.
J'entends quelqu'un.

ROSINE.
Ah c'est l'oncle. Dis-moi donc ?...

GERMOND.
Je n'ai pas le temps ; mais tu le verras.

SCÈNE II.
ROSINE, M. BERCOUR.

M. BERCOUR.
Bonjour, ma chère Rosine ! eh bien ! comment se porte ma nièce ?

ROSINE.
Ah ! Monsieur, bien languissante depuis la perte qu'elle a faite.

M. BERCOUR.
Je le crois bien. Mon pauvre neveu ! j'en ai été malade, moi, en apprenant sa mort.

ROSINE.
Ah ! Monsieur, pas tant que madame assurément : à votre visage cela ne paraît pas.

M. BERCOUR.
Il faut bien que les hommes se fassent une raison sur les plus fâcheux événements de la vie : cependant j'ai perdu un grand espoir en le perdant.

ROSINE.
Et lequel donc?

M. BERCOUR.
Celui d'avoir au moins des petits-neveux, puisque je n'ai point d'enfants.

ROSINE.
Mais il vous reste un moyen de tout réparer.

M. BERCOUR.
Quel moyen ?

ROSINE.
De vous marier vous-même.

M. BERCOUR.
J'y ai bien déjà pensé ; mais où trouver une femme sensible, à présent, une femme occupée de son mari et ne désirant que de lui plaire ?

ROSINE.
Cela n'est pas difficile que vous le pensez, Monsieur : il est même très aise d'en avoir la preuve ; mais ce serait pas en épousant une jeune fille dont on n'a pu connaître les sentiments.

M. BERCOUR.
Oui, vous avez raison; enfin, j'y penserai encore : mais, dites-moi, ne puis-je pas voir ma nièce !

ROSINE.
Quoi ! tout d'un coup comme cela et sans qu'elle soit préparée à vous recevoir ?

M. BERCOUR.
Ah ! oui, vous avez raison : cela pourrait être dangereux. Eh bien ! prévenez-la de mon arrivée, je reviendrai dans peu : je ne vais pas loin d'ici.

ROSINE.
Alors je vous dirai si elle sera en état de vous recevoir.

M. BERCOUR.
Faites-y tout votre possible, ma chère Rosine, je vous en prie : j'ai grand besoin de pleurer et de me consoler avec elle.

SCÈNE III.
ROSINE, Mme DAMONVAL.

Mme DAMONVAL.
Rosine !

ROSINE.
Oh ! Madame, vous ne savez pas ?

Mme DAMONVAL.
Avec qui étiez-vous donc là ?

ROSINE.
Ah ! vous ne savez pas, vous dis-je !

Mme DAMONVAL.
Paix donc ! ne parlez pas si haut, vous allez réveiller mon chien.

ROSINE.
Ah ! vraiment ! il est bien question de votre chien.

Mme DAMONVAL.
Je sais bien que vous ne l'aimez pas, mademoiselle, et cela me déplaît, mais beaucoup.

ROSINE.
Écoutez-moi, Madame.

Mme DAMONVAL.
Cela me déplaît on ne peut davantage, et je vous le dis très sérieusement.

ROSINE.
Mais, Madame...

Mme DAMONVAL.
Songez donc qu'il est toute ma ressource, puisque je ne puis me résoudre à me montrer à personne, avec ces odieux vêtements.

ROSINE.
Il faudra pourtant bien vous déterminer à voir M. Bercour.

Mme DAMONVAL.
Quand il sera à Paris, je verrai.

ROSINE.
Il y est, Madame : c'est lui qui sort d'ici à l'instant, et il y va revenir.

Mme DAMONVAL.
Il fallait lui dire que je ne voyais personne, dans la douleur où je suis. (Elle éclate de rire.)

ROSINE.
Oui, riez, riez : c'est cette douleur qu'il veut partager ; il vient se consoler avec vous.

Mme DAMONVAL.
Et comment lui montrer de la douleur, quand je suis enchantée d'être débarrassée de son monstre de neveu ?

ROSINE.
Il faudra du moins en feindre beaucoup avec lui.

Mme DAMONVAL.
Mais la sienne me donnera sûrement envie de rire.

ROSINE.
Cela serait fort sensé !

Mme DAMONVAL.
Comment voulez-vous seulement que j'y pense sans mourir de joie ! Les jours les plus agréables de ma vie, depuis que je suis mariée, sont ces derniers jours-ci.

ROSINE.
Je le sais.

Mme DAMONVAL.
Vous ne concevrez jamais de quel fardeau je me sens délivrée !

ROSINE.
Vous me l'avez dit cent fois.

Mme DAMONVAL.
Enfin je me trouve heureuse au delà de toute expression.

ROSINE.
Avec votre chien ?

Mme DAMONVAL.
Sûrement : mon pauvre Médor ! mon mari ne pouvait pas le souffrir.

ROSINE.
Parce qu'il était jaloux de toutes les caresses que vous lui faites continuellement.

Mme DAMONVAL.
Et que j'ai bien raison de lui faire.

ROSINE.
Oubliez donc, je vous prie, votre chien un moment, pour songer à recevoir M. Bercour d'une manière qui vous devienne favorable.

Mme DAMONVAL.
Comment ! favorable ?

ROSINE.
Certainement, il faut songer à votre fortune.

Mme DAMONVAL.
À ma fortune !

ROSINE.
Eh ! sans doute. S'il la retire de vos mains, les avantages qu'il vous a faits, quand vous avez épousé son neveu, suffiront-ils à toutes les dépenses que vous êtes accoutumée de faire ?

Mme DAMONVAL.
J'aurai du crédit.

ROSINE.
Du crédit ! quand on saura que vous n'êtes plus aussi riche que vous l'étiez ! Les marchands en ont perdu l'habitude.

Mme DAMONVAL.
Vous le croyez ?

ROSINE.
Rien n'est plus vrai : vous parlez sans cesse d'abréger votre deuil.

Mme DAMONVAL.
Oh ! pour cela, j'y suis très déterminée.

ROSINE.
Mais quelque peu qu'il dure, quel changement ne sera-t-il pas arrivé dans toutes les modes pendant ce temps-là ! Vous trouviez déjà qu'elles étaient vieilles au bout de trois jours.

Mme DAMONVAL.
Et cela était bien vrai.

ROSINE.
Comment donc suffire à toutes les dépenses que vous serez obligée de faire : chapeaux, bonnets, étoffes, mousselines, enfin tout ce qu'il vous faudra de plus nouveau, de plus frais et de plus cher ?

Mme DAMONVAL.
Vous m'effrayez.

ROSINE.
C'est bien mon dessein, et pour abréger votre deuil et vous remettre dans l'état le plus brillant, je ne sais qu'un moyen.

Mme DAMONVAL.
Et lequel ?

ROSINE.
Celui d'épouser M. Bercour.

Mme DAMONVAL.
Quelle idée bizarre !

ROSINE.
Écoutez donc, Madame, il vaut cent fois mieux que votre vilain mari. Quoiqu'il ne soit plus jeune, il est frais, doux, complaisant : il vous adorera, et vous en ferez tout ce que vous voudrez. Ses richesses alors vous mettront à portée de briller de manière à vous faire envier de toutes les femmes de Paris, même de celles qui dépensent le plus.

Mme DAMONVAL.
Eh ! mais vraiment, c'est bien quelque chose que cela.

ROSINE.
Je l'ai pressenti sur la nécessité de se marier ; je lui ai dit que, n'ayant plus de neveu, il devrait songer à avoir des enfants.

Mme DAMONVAL.
Eh bien ?

ROSINE.
Je crois que vous l'y détermineriez très facilement.

Mme DAMONVAL.
En pleurant avec lui ?

ROSINE.
Sans doute, pour lui persuader combien vous êtes sensible : car c'est tout ce qu'il désirerait de trouver dans la femme qu'il pourrait épouser.

Mme DAMONVAL.
Mais en me cachant le visage avec mon mouchoir, ne pourra-t-il pas me croire très affligée ?

ROSINE.
Il faudra bien au moins lui dire quelques mots.

Mme DAMONVAL.
Moi, lui parler ?

ROSINE.
Et avec le ton de la douleur.

Mme DAMONVAL.
Voilà ce que je ne pourrai jamais faire : je songerais toujours qu'il est l'oncle de ce...

ROSINE.
Comment n'avez-vous pas plus de raison que cela, après tout ce que je viens de vous dire ? Pouvez-vous trouver du plaisir à détruire toutes vos ressources et à vous voir presque entièrement ruinée !

SCÈNE IV.
ROSINE, Mme DAMONVAL, GERMOND.

Mme DAMONVAL.
Qu'est-ce que j'entends là ?

ROSINE.
C'est peut-être M. Bercour.

Mme DAMONVAL.
Je m'enfuis.

GERMOND.
Ah ! pauvre Médor !

Mme DAMONVAL.
Comment ! qu'y a-t-il donc, Germond ?

GERMOND.
Ah ! que va devenir ta maîtresse, quand elle ne te verra plus !

Mme DAMONVAL.
Je ne le verrai plus ?

GERMOND.
Et quand elle saura que tu as la patte cassée !

Mme DAMONVAL.
La patte cassée ! Ah ! je me meurs ! (Elle tombe évanouie dons un fauteuil.)

GERMOND, bas à Rosine.
Tout cela n'est pas vrai.

ROSINE, à Germond.
Ah ! fort bien ! (À Mme Damonval.) Madame, revenez donc à vous !

Mme DAMONVAL.
Et pourquoi faire, si je ne dois plus revoir mon pauvre chien !

GERMOND, à Rosine.
Il est enfermé dans ma chambre.

Mme DAMONVAL.
Vous êtes sans doute bien aise de cet accident, vous, Mademoiselle, car vous êtes comme était mon mari.

ROSINE.
Mais, Madame, vous en pourrez avoir un autre.

Mme DAMONVAL.
Un autre ? et qui m'aimera autant ? cela est impossible. Ah ! malheureux Médor ! mais comment cela est-il donc arrivé ?

GERMOND.
Madame, il m'avait demandé à descendre dans la cour.

Mme DAMONVAL.
Je le reconnais bien là, le pauvre animal ! il était d'une propreté, d'une intelligence, d'un esprit !...

GERMOND.
La porte de la rue, par malheur, était ouverte.

Mme DAMONVAL.
Et pourquoi cela ?

GERMOND.
Le portier y était. Il a passé un chien ; Médor a couru après lui, un homme qui passait aussi s'en est emparé...

Mme DAMONVAL.
Il fallait le reprendre.

GERMOND.
Je le tenais déjà, lorsque cet homme m'a donné sur la jambe un coup de bâton qui a cassé la patte de Médor, me l'a fait lâcher et m'a mis hors d'état de courir après cet infâme voleur de chien.

Mme DAMONVAL.
Oh ! ciel ! a-t-on jamais vu un plus cruel événement ! Je perds tout ce que j'avais de plus cher au monde ! (Elle retombe dans son fauteuil.)

SCÈNE V.
ROSINE, Mme DAMONVAL, GERMOND, M. BERCOUR.

ROSINE.
Madame, voilà M. Bercour.

Mme DAMONVAL.
Je ne veux pas le voir. (Elle veut se lever.)

M. BERCOUR.
Ma nièce, arrêtez, je vous te supplie !

Mme DAMONVAL.
Ah ! Monsieur, je ne puis demeurer en votre présence, après le malheur qui vient de m'arriver.

M. BERCOUR.
Ne me fuyez pas, je vous le demande en grâce, et croyez que je partage bien sincèrement votre affliction.

Mme DAMONVAL.
Perdre le seul objet qui faisait tout mon bonheur !

M. BERCOUR.
Je perdis autant que vous, Madame.

Mme DAMONVAL.
Vous, Monsieur ! cela est impossible.

M. BERCOUR.
Rien ne m'était aussi cher, je puis vous l'assurer.

Mme DAMONVAL.
Eh ! le connaissiez-vous seulement ?

M, BERCOUR.
Si je le connaissais !

Mme DAMONVAL.
L'aviez-vous vu jamais danser ?

M. BERCOUR.
Non, il est vrai ; mais...

Mme DAMONVAL.
Saviez-vous comme il rapportait ?

M. BERCOUR.
Je sais qu'il avait une excellente mémoire, et que, lorsqu'il était chargé d'une affaire, il la rapportait merveilleusement.

Mme DAMONVAL, qui ne l'écoute pas.
Comme il m'était attaché !

M. BERCOUR.
Il me l'a dit cent fois.

Mme DAMONVAL, de même.
Comme il m'aimait !

M. BERCOUR.
À la fureur, sûrement.

Mme DAMONVAL.
Il menaçait de mordre tous ceux qui voulaient approcher de moi.

M. BERCOUR.
C'est une façon d'en parler très honnête. Vous voulez dire qu'il était jaloux de tous ceux qui vous faisaient leur cour.

Mme DAMONVAL.
Il n'était heureux qu'avec moi, qu'auprès de moi. Il couchait dans ma chambre, le moindre bruit l'éveillait, il me gardait, et avec lui je pouvais dormir en sûreté et sans crainte des voleurs : je ne puis trop le répéter, j'ai fait une perte irréparable.

M. BERCOUR.
Non, Madame, non : vous n'avez rien perdu, si vous voulez bien m'entendre.

M- DAMONVAL.
Et que pourriez-vous me dire, pour espérer seulement de me consoler ?

M. BERCOUR.
Qu'il est un homme au monde...

Mme DAMONVAL.
Qui m'en donnera un autre ?

M. BERCOUR.
Qui s'efforcera de vous faire oublier ce que vous regrettez autant.

Mme DAMONVAL.
Et qui pourrait lui ressembler ?

M. BERCOUR.
Moi, Madame.

Mme DAMONVAL.
Vous ressembleriez à Médor ?

M. BERCOUR.
Quoi ! Madame, vous appeliez mon neveu Médor ?

Mme DAMONVAL.
Que dites-vous donc ?

ROSINE, bas à Mme Damonval.
Madame, profitez de la méprise.

M. BERCOUR.
Serait-il vrai, Germond, que mon neveu fût assez heureux pour qu'elle lui eût donné ce nom-là ?

GERMOND.
Oui, Monsieur ; ainsi appelait-il Madame sa chère Angélique.

M. BERCOUR.
Eh bien ! Madame, consentez que je succède à Médor auprès de vous ! non seulement le bien de mon neveu vous appartiendra, mais j'y joindrai encore tout celui que je possède.

ROSINE, bas à Mme Damonval.
Allons, Madame, n'hésitez pas un moment.

M. BERCOUR.
Que dit-elle donc, Rosine ?

ROSINE.
Qu'elle se résigne à accepter tous vos dons, Monsieur.

M. BERCOUR.
Ah ! personne au monde ne va donc être plus heureux que moi !

Mme DAMONVAL.
En succédant à Médor ?

M. BERCOUR.
Oui, Madame, et je cours à l'instant chez mon notaire pour y faire dresser le contrat par lequel je vous donne, avec ma main, tout ce que je voudrais pouvoir augmenter encore pour mériter le don de la vôtre.

Mme DAMONVAL.
Ah ! Monsieur !...

M. BERCOUR.
Non, non, Madame, point de remerciements, je vous en supplie, je n'en saurais entendre ; le temps m'est trop cher, pour le perdre en reculant l'instant de mon bonheur.

SCÈNE VI, et dernière.
ROSINE, Mme DAMONVAL, GERMOND.

Mme DAMONVAL.
Eh bien ! Rosine, êtes-vous contente de moi ?

ROSINE.
Je le suis encore plus de Germond ; car sans lui auriez-vous su montrer autant d'affliction à M. Bercour ?

Mme DAMONVAL.
Ne me parlez pas de Germond : il est cause que mon pauvre Médor est blessé et perdu.

GERMOND.
Non, madame, il n'est ni blessé ni perdu, il se porte très bien, il est dans ma chambre, et je vais vous le chercher.

Mme DAMONVAL.
Est-il bien possible ! quoi ! je reverrais mon pauvre Médor ! vous m'aviez donc trompée ?

GERMOND.
J'ai cru que c'était un moyen sûr de vous affliger assez pour faire croire à M. Bercour que c'était son neveu que vous regrettiez autant, et que cette apparente sensibilité le déterminerait à vous traiter aussi favorablement.

Mme DAMONVAL.
Ah ! j'en rirai plus d'un jour : mais ce qui me chagrine véritablement, c'est qu'il faudra nécessairement que je donne un autre nom à Médor.

FIN.


[Notes]

1. Source : Carmontelle, Vingt-Cinq Proverbes Dramatiques, Paris, Rion, 1878 ; par erreur, l'éditeur y attribua cinq de ces proverbes à d'autres auteurs, dont Louis-François Archambault, dit Dorvigny.

2. Transcription par Dr Roger Peters [Home Page (en anglais)].
[Février 2008]