À BAS LA CALOTTE OU LES DÉPRÊTRISÉS :

comédie de Thomas Rousseau ;

première le 21 novembre 1794.

PERSONNAGES.
AMSÈLE, vieux curé,
LE VICAIRE, son neveu,
LINDEL, ministre protestant d'un prêche voisin,
LA MÈRE LINDEL, son épouse,
ALINE, leur fille,
LA MÈRE REGNIER, vieille dévote,
NICAISE, son fils,
PAYSANS ET MATELOTS.

La scène se passe dans un village près Rochefort.
Le Théâtre représente un hameau ; la maison d'un côté, et le presbytère de l'autre.


SCÈNE I.
LA MÈRE LINDEL, ALINE.

LA MÈRE LINDEL.
Tu sais, ma petite, que j'ai toujours cherché ton bonheur : la demande de Nicaise ne doit pas te chagriner : s'il ne te convient pas, oh bien, il n'y a rien de fait ; mais en confidence, ne te sens-tu pas un peu de goût pour le curé de cet endroit-ci ? Je les crois tous deux braves gens, et surtout bons patriotes ; mais le préjugé ! ah ! c'est quelque chose de bien terrible.

Air : Non, la fortune jalouse.

LA MÈRE LINDEL.
Telle une mer orageuse,
Ainsi fut la nation :
Longtemps une nuit affreuse
Régnait par l'opinion.
Enfin naît avec l'aurore,
Ce calme tant souhaité ;
Mais la vague indigne encore
Les vents qui l'ont agité.

ALINE.
Mais, ma mère, sur quoi serait fondée cette répugnance ?

LA MÈRE LINDEL.
Mais la différence des religions ; et puis ton père qui est ministre du prêche du bourg prochain ! crois-tu que ces raisons ne soient pas suffisantes ? Nos églises furent toujours divisées.

ALINE.
Ma mère, cette faible raison ne prévaudra pas sur l'amour que me témoigne l'aimable neveu du père Amsèle : quant à ce Nicaise et sa tante, un refus bien prononcé nous en débarrasserait. Cette vieille femme est bien dangereuse, je le sais ; mais ses propos n'altéreront point une réputation que ma conduite a mise à l'abri des reproches ; car, je me souviens sans cesse de vos avis à ce sujet.

Air de la belle Fermière.

ALINE.
Si l'amour sème des fleurs
Sur les liens du mariage.
C'est quand il trouve des mœurs
Unies aux charmes du bel âge.
Pour le fixer parmi nous,
Cet enfant veut, selon vous,
Prendre ses plaisirs les plus doux
Aux mains de l'innocence,
Sous le voile de la décence. (bis)

LA MÈRE LINDEL.
Quelle cagoterie ! toujours aux pieds des autels d'un Dieux de paix, et ne prêchant que le meurtre et les dissensions ! demandant à l'Être suprême le pardon de ses offenses, et conserver dans son cœur une haine implacable contre ceux qui ne partagent pas ses sentiments !

ALINE.
C'est assez ordinaire à ces personnes-là : mais la voici ; nous n'avons qu'à nous tenir.

SCÈNE II.
LES PRÉCÉDENTS, LA MÈRE REGNIER.

Air des Visitandines.

LA MÈRE REGNIER.
À qui recourir désormais,
Divin Jésus, vierge Marie !
À Satan se livre à jamais
Ce globe, cette terre impie !
Sans craindre la foudre en éclats,
Au mépris de la cour céleste,
Pour un prêtre s'ouvrent vos bras !
Ah ! daignez m'épargner le reste.

ALINE.
Mais vous êtes bien en colère, citoyenne Regnier ?

LA MÈRE REGNIER.
Citoyenne ! citoyenne ! la colère de Dieu, voilà ce dont on fait peu de cas maintenant. Ah ! quel siècle ! Mon défunt m'a prédit tout cela ; et vous, Mme Lindel, je vous croyais de la raison, à votre âge, souffrir de pareilles licences ! Un homme qui célèbre la sainte messe pense au plaisir charnel ! Et puis le concile de Trente ne défend-il pas aux prêtres de contracter les liens du mariage ?

ALINE.
Répondez, je vous prie, Mme Regnier.

Air du Vaudeville de Figaro.

ALINE.
Tendre père, époux fidèle,
Républicain généreux,
Pour le cœur du jeune Amsèle,
Sont titres bien précieux ;
Car avant que Dieu l'appelle
Au ministère divin,
Il fut homme et citoyen.

LA MÈRE REGNIER.
Voilà comme pensent des religionnaires ! Ah ! si la sainte Inquisition était en France, on ne verrait plus de ces crimes qui attireront sur nous la vengeance ! Nous en ressentons déjà l'effet : nos vignes, dans quel état sont-elles ? Oui, l'antéchrist est sur la terre. Nouvelle Babylone, la France touche à sa perte.

LA MÈRE LINDEL.
Au contraire, le jour du bonheur commence à luire pour elle : mais enfin, terminons ces querelles qui ne conviennent point à des personnes que le salut de la patrie doit seul intéresser. Il s'agit de votre fils Nicaise : eh bien, citoyenne Regnier, cette affaire ne peut se conclure à ma fille a du penchant pour une autre personne ; j'ai juré de ne pas force son inclination, et je tiendrai ma parole.

LA MÈRE REGNIER.
Le beau choix !

LA MÈRE LINDEL.
Il convient à Aline ; il doit obtenir mon agrément : qu'avez-vous à reprocher à ce jeune homme ? Mais, tenez, lui-même plaidera sa cause ; le voici : il me paraît bien triste ! aurait-il quelque mauvaise nouvelle à nous apprendre ? Qu'avez-vous donc, citoyen ?

SCÈNE III.
LES PRÉCÉDENTS, LE VICAIRE.

LE VICAIRE.
La nouvelle la plus affligeante à vous communiquer : les citoyens Mulon et Tardu viennent de périr en défendant la cause de la liberté : leur sort est plus doux que le nôtre, ils scellent de leur sang les droits les plus saints ; mais quelle perte pour nous !

LA MÈRE REGNIER.
S'ils avaient eu la crainte du Seigneur devant les yeux, mal ne leur serait pas avenu.

LE VICAIRE.
Citoyenne, un peu de modération, je vous prie, respectez la mémoire de deux héros ; ils laissent deux fils, mousses sur leur navire : je prends devant Dieu l'engagement formel de les adopter. La charmante Aline sera de mon avis ?

ALINE.
Je suis désespérée d'avoir été prévenue dans cet acte d'humanité ; si j'avais des doutes sur la sincérité de vos sentiments à mon égard, cette action les lèverait tous.

LA MÈRE REGNIER.
Eh bien, Monsieur le vicaire, oubliant la dignité de votre caractère, vous allez donc prendre les biens éternels pour des plaisirs d'un instant.

Duo : Je connais un amant discret.

LA MÈRE REGNIER.
Eh quoi ! Monsieur, vous convolez,
Sans craindre l'anathème !
Pour une femme vous brûlez !
Et vous l'épousez-même !

LE VICAIRE.
Le Ciel, en me donnant un cœur,
M'en indique l'usage,
Et j'adore le Créateur
Dans Son plus bel ouvrage.

SCÈNE IV.
LES PRÉCÉDENTS, NICAISE.

NICAISE.
Ous-que vous étiez donc ? je vous cherche par-tout, et je ne vous trouve pas.

LA MÈRE REGNIER.
Mon fils, remerciez ce monsieur et ces dames : votre naissance, votre éducation ne leur conviennent sans doute pas ; mais d'autres personnes sauront vous apprécier.

NICAISE.
Ah ! c'est que Mamselle Aline ne m'a pas ben regardé ; et pis Monsieu' l'vicaire li a peut-être dit du mal de moi.

LE VICAIRE.
Vous vous trompez, citoyen Nicaise. Un républicain ne recourt pas à des armes semblables ; et d'ailleurs, quel serait mon motif ?

NICAISE.
Pardine ! c'est ben sorcier ça ! Vous êtes amoureux de Mamselle, et pour avoir le dessus, vous me donnez du dessous dans son esprit ; mais, Mamselle Aline, en vérité,

Air: Je ne vous dirai pas j'aime.

NICAISE.
Vot' esprit est si terrible,
Que, près de lui, j' perds mon savoir.
Vous êtes si drôle, si risible,
Qu'on s' pûme rien qu'à vous voir.
Vos p'tits yeux, d'abord et d'une,
Sont l' soleil du firmament ;
Vot' visage est la pleine lune,
Et mon amour est... l' croissant.

LA MÈRE REGNIER.
Je ne sais pas où ce petit lutin prend toutes ces jolies choses-là. Eh bien, Mademoiselle, que dites-vous ?

ALINE.
Citoyenne, je n'aurais pas hésité à souscrire à vos vœux, si mon cœur ne m'eût parlé dès longtemps en faveur du citoyen Amsèle.

LA MÈRE REGNIER.
Quel siècle ! quelle abomination ! Un jour viendra que le Ciel punira les athées comme vous ! (À son fils.)

Air des Trembleurs.

LA MÈRE REGNIER.
Ah ! fuyons cette famille ;
Car pour la mère et la fille,
Sont prêts les feux où l'on grille
Inferni damonios.
Et pour toi, sacrilège homme,
Si la foudre ne t'assomme,
Puisse-je te voir à Rome
Couvert d'un san-bénito !

Elle part furieuse avec son fils.

SCÈNE V.
LE VICAIRE, LA MÈRE LINDEL, ALINE.

LE VICAIRE.
Quelles gens ! Oui, mon aimable amie, depuis longtemps je suis honteux de propager l'erreur ; je veux abjurer, dès ce jour, un état aussi opposé aux principes de la saine philosophie.

LA MÈRE LINDEL.
Mais votre église ?

LE VICAIRE.
On enlèvera ce qui manifestait un luxe aussi contrastant avec la simplicité de l'Évangile : les droits de l'homme seront déposés sur l'autel, et ce piédestal dégarni recevra la statue de la liberté. (On entend des coups de canon.) Mais qu'est-ce ? tout le monde me paraît bien agité ! Voici mon cher oncle qui s'approche.

SCÈNE VI.
LES PRÉCÉDENTS, LE CURÉ AMSÈLE.

LE CURÉ AMSÈLE.
Aux armes, mon ami ; une de nos chaloupes est attaquée par celle d'une frégate anglaise qui croise sur ces côtes : je crois que notre ami Lindel est en mer.

ALINE, LA MÈRE LINDEL, ensemble.
Mon père ! mon époux ! Ô Ciel !

LE CURÉ AMSÈLE.
Rassurez-vous, citoyennes, nous ramènerons notre ami sain et sauf.

LE VICAIRE.
Mânes de Mulon et Tardu, je vais vous venger de vos lâches assassins.

Ils partent tous deux.

SCÈNE VII.
LA MÈRE LINDEL, ALINE.

LA MÈRE LINDEL.
Espérons, ma chère enfant : le génie qui veille sur la France, protégera les jours de ses défenseurs : rentrons chez nous.

SCÈNE VIII.
NICAISE entrant comme quelqu'un qui se sauve du danger.

Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! me v'la perdu. Ma bonne maman Regnier, je ne sais pas ous-ce qu'all' est : queu tapage ! l' vouliont que j'âille dans leû chaloupe ! ah ben oui ! Allons donc faire les farragus, pour être occis avec les autres ! et pis la première requisition n'a pas voulu de moi.

Air : C'est bien naturel sans doute.

Chacun dit : Voyez c' Nicaise !
O bon dieu ! queû figure niaise !
Et moi qui m' gausse de c' qu'on dit,
J' réponds : Ça suffit. (bis)

Tant mieux, tant mieux.

Vous trouvez qu' mon esprit d' bête
Ne m' tourn'ra jamais la tête.
Car, s'lon moi, tête sans esprit
Vaut mieux que de l'esprit sans tête,
Vaut mieux que de l'esprit. (bis)

Mais si quéqu'un des ennemis arrivait ? où me cacher ? (Apercevant le piédestal.) Oh ! la bonne invention ! A la place du saint qu'était là... (Il se place.) A présent, ne grouillont pas plus qu'une souche. (On entend l'air Ça ira ; tout le monde arrive avec le vicaire, le curé et le père Lindel.)

SCÈNE IX.
LE PÈRE LINDEL, LE CURÉ AMSÈLE, LE VICAIRE,
NICASIE, LA MÈRE LINDEL, LA MÈRE REGNIER.

LE PÈRE LINDEL.
Mes amis, vous êtes arrivés à propos : sans votre secours, ces féroces Anglais ajoutaient un nouveau crime à ceux qui les déshonorent aux yeux de l'univers. Je crois que leur embarcation n'aura pas gagné la frégate. Mais où donc mon épouse et sa fille ? Les voici. (Les deux femmes sortent avec précipitation, et tombent dans les bras du père Lindel en s'écriant : «Mon père, mon époux !»)

LE CURÉ AMSÈLE.
Si notre frère eût succombé, nous le suivons en exterminant ses lâches assassins ; mais, mon cher neveu, te souvient-il de la résolution que nous prîmes de renoncer aux titres d'apôtres de l'erreur ? Faisons un sacrifice à la patrie de nos lettres de prêtrise ; qu'il précède l'engagement que vous allez contracter.

LE PÈRE LINDEL.
Quel engagement, donc ?

LE CURÉ AMSÈLE.
Eh ! le mariage de notre neveu, et votre aimable enfant. À propos, et cet imbécile de Nicaise, où est-il ?

LE VICAIRE.
(Bas.) Chut ! Le voici sur le piédestal. (Haut.) À propos, et la statue de la liberté ? La place est libre : mais quel prodige ! Un nouveau saint ! (Tous s'écrient : «Miracle !») Mes amis, le feu doit seul expier notre sacrilège : faisons fumer l'encens aux pieds de ce nouveau venu. (On apporte une cassolette pleine de parfums sous le nez de Nicaise, qui se sentant suffoqué, s'écrie :)

NICAISE.
Eh ! Monsieur, vous m'étouffez.

LA MÈRE LINDEL.
Eh mais, c'est le citoyen Nicaise. Que faites-vous là ?

NICAISE.
C'était pour voir la fête plus à mon aise.

LA PÈRE LINDEL.
Pour avoir fui le combat, nous le condamnons aux arrêtes ce presbytère. (On l'emmène.)

LA MÈRE REGNIER entre éperdue : elle chante.

Air : L'avez-vous vu, mon bien-aimé ?

LA MÈRE REGNIER.
Rendez-le moi, ce cher enfant,
Objet de ma tendresse :
Il est si doux et si charment,
Si plein de gentillesse !
Je promets deux ex-votos
Avec un cierge des plus gros
À la sainte Thérèse ;
Car je n'ai plaisir ni repos
Sans mon cher fils Nicaise.

LE CURÉ AMSÈLE.
Citoyenne, on vous remettra votre fils ; mais ces dons inutiles par leur destination, seront évalués et répartis sur quelques familles indigentes de ce canton. Mes frères, amenez le jeune Nicaise. Rendez-vous à la raison, citoyenne Regnier, et ne vous opposez plus au bonheur de deux amants.

SCÈNE X, et dernière.
LES PRÉCÉDENTS, ALINE.

NICAISE, entre.
Me v'là, ma bonne maman.

LA MÈRE REGNIER.
Ah, mon cher fils ! je te croyais perdu.

NICAISE.
Au contraire, maman, je me retrouve mon citoyen. Oui, not' curé...

Air : Ah ! que je sens d'impatience !

NICAISE.
Ah oui, j' brûlons d'impatience
D'exterminer ces coquins-là.
J' dirons à c'te maudite engeance :
J' sommes républicains, oui-dà ;
Oui, le citoyen Nicaise. (bis)
L'Anglais tout ébahi me r'gardera ;
Et j' sais ben qui n' s'ra pas aise
De m' voir tourner le carte comme ça.
Ce s'ra l'Angleterre,
Qui d' peur tremblera ;
Car ces Messieurs-là
Ne s'en moqu'ront pas :
J' les coule tous à bas.
Oh ! oui-dà, vous verrez
Qu' Nicaise, qu' Nicaise
Ne s' mouch'ra pas du pied.

Tout le monde crie : «Bravo !» On place la statue de la liberté sur le piédestal, au bas duquel on met une cassolette.

LE VICAIRE.
Amis, détruisons jusqu'aux moindres vestiges d'un culte aussi funeste à la France.

Air : Vous qui d'amoureuse aventure.

LE VICAIRE.
Dans une obscurité profonde,
L'erreur égarait les mortels,
Et pour mieux asservir le monde,
Unit le trône et les autels.
Longtemps, trop longtemps, un prêtre trompa sa victime ;
Mais lorsqu'enfin la vérité lui donne au cœur,
Amis, pour abjurer le crime,
Brûlons ces brevets d'imposteur.

Il jette son brevet et celui de son oncle au feu, se dépouillent tous deux des habits noirs dont ils étaient revêtus, et prennent l'habit national.

LE PÈRE LINDEL.
Mes amis, votre exemple m'enflamme ; oui, dès ce jour je renonce à mon ministère. Réunissons-nous pour abjurer toute espèce de culte : les droits de l'homme, voilà l'évangile que nous expliquerons désormais à nos concitoyens. Le mariage de ces deux enfants ne peut terminer plus dignement ce sacrifice.

LA MÈRE LINDEL.
Mais, mon bon ami, quel temps choisissons-nous ! Nous venons d'apprendre la perte de deux bons citoyens, Mulon et Tardu.

LE PÈRE LINDEL.
Eh ! ma chère épouse, leur trépas doit s'honorer par des actions courageuses, et non par des larmes. Plus nous sentons vivement leur perte, et plus nous devons songer à la réparer. De tous les actes de civisme, le mariage est le plus authentique.

Air : Allons, enfants de la patrie.

LE PÈRE LINDEL.
Tous deux sont morts pour la patrie ;
Tous deux réclament des vengeurs.
Leur sort doit exciter l'envie. (bis)
Et pourquoi répandre ces pleurs ?
Mais lorsque tant d'exploits couronnent
Ces républicains généreux,
Par des transports dignes d'eux,
Suivons l'exemple qu'ils nous donnent.
Aux armes, citoyens ; formez vos bataillons ;
Marchez, marchons ; qu'un sang impur abreuve nos sillons.

Tous reprennent en chœur.

LE CURÉ AMSÈLE, prenant les mains du vicaire et d'Aline.
Mes enfants, soyez unis sous les auspices de la liberté et de l'égalité. Aline, enflamme son courage pour combattre nos tyrans coalisés. À toi, mon neveu, sois toujours son amant, quoique tu deviennes son époux.

NICAISE.
Eh bien, moi, j'vas faire aussi une maîtresse pour m'enflammer.

LA MÈRE LINDEL.
Vous avez raison, citoyen Nicaise : mais il faut un peu d'audace.

Air de la Soirée orageuse.

LA MÈRE LINDEL.
Pour la victoire et la beauté,
Même courage et même zèle,
À l'heureuse témérité
Céda toujours la plus rebelle,
Au champ d'honneur et du plaisir,
Qui compose les prêtres à se rendre,
Français, croyez tout obtenir,
Quand vous osez tout entreprendre.

LE CURÉ AMSÈLE.
Mais quelle métamorphose !

LA MÈRE LINDEL.
Ah ! je vous en réponds !

Air du Vaudeville des Visitandines - Premier couplet.

LA MÈRE LINDEL.
On ne verra plus dans la France
D'évêques, de petits abbés ;
Contre un bel habit d'ordonnance,
Surplis, camails sont échangés.
Adieu, rabats, et vous, calottes ;
Un casque ornera mieux un chef
Du pape on brise moins un bref
Qu'une carte de sans-culotte.

LE VICAIRE.
Le dieu de la nature reçoit toujours nos hommages ; je ne renonce qu'à des mômeries.

Air du Vaudeville des Visitandines - Second couplet.

LE VICAIRE.
Un culte aussi vain que frivole,
Voilà ce que nous abjurons.
Osez envisager l'idole,
Et voyez qui nous adorons :
Un pape agitant sa marotte ;
Prêchant des vertus qu'il n'a pas,
Ayant un trône et des soldats,
Quand saint Pierre fut sans-culotte.

ALINE.
Vous avez l'avez rêveur, citoyen Nicaise ?

NICAISE.
Je pense à queuque chose de ben drôle, toujours, et qui m'fait ben plaisir !

LA MÈRE LINDEL.
Peut-on partager votre plaisir ?

NICAISE.
Sans doute.

Air du Vaudeville des Visitandines - Troisième couplet.

NICAISE.
Quand ma bonne maman m' dit : Nicaise,
T'es gentil comme un chérubin,
Oui, ce p'tit nom là m' rend ben aise,
Et stapendant c' n'est presque rien.
Mais à présent qu' j'aime la nation, c' nom-là m' conviendra mieux,
Tout bel ange est bon patriote,
Et j' vas prouver ma motion,
Pisque, l' jour d' l'annonciation,
Gabriel était sans-culotte.

ALINE au Public.
L'auteur de cette bagatelle
Ne prétendit jamais briller.
Il sait qu'il faut plus que du zèle
Afin de vous intéresser ;
Mais ne voyez qu'un sans-culotte
Avec vous prenant ses ébats ;
Que sa pièce n'éprouve pas
Le sort de la pauvre calotte. (bis)

FIN.


[Notes]

1. Thomas Rousseau (1750-1800), À Bas la Calotte ou les Déprêtrisés, première le 21 novembre 1794 aux Variétés Amusantes à Paris.

2. Source : d'après un exemplaire imprimé chez Touboun, Paris.

3. Dans l'imprimé, le nom du vieux curé est épelé comme Amsele, Amsèle, Ansèle et Ansele ; aujourd'hui l'orthographe la plus fréquente est Ansel. Notez aussi : religionnaire, on se disait, dans le temps des guerres de religion, de celui or de celle qui faisait profession de la religion réformée ; Inferni damonios (latin), le monde infernal du démon ; san-bénito ou san-benito (espagnol à l'origine), sorte de casaque de couleur jaune, que l'Inquisition fait revêtir à ceux qu'elle a condamnés ; farrago, on se dit, figurément et familièrement, d'un amas ou d'un mélange confus de choses disparates.

4. Bien que la transcription ci-dessus soit en l'orthographe actuelle, j'ai conservé absolument l'argot original de Nicaise, parce qu'il est fort claire que l'auteur a voulu caractériser celui-ci comme rustre : donc, voici une version en l'orthographe actuelle pour ce personnage :

SCÈNE IV.

Où est-ce que vous étiez donc ? je vous cherche partout, et je ne vous trouve pas.

Ah ! c'est que Mlle Aline ne m'a pas bien regardé ; et pis Monsieur le vicaire il a peut-être dit du mal de moi.

Pardi [ou «Grands Dieux» ou «Sapristi» ou...] ! c'est bien sorcier ça ! Vous êtes amoureux de Mlle, et pour avoir le dessus, vous me donnez du dessous dans son esprit ; mais, Mlle Aline, en vérité,

Air: Je ne vous dirai pas j'aime.

NICAISE.
Votre esprit est si terrible,
Que, près de lui, je perds mon savoir.
Vous êtes si drôle, si risible,
Qu'on se put rien qu'à vous voir.
Vos petits yeux, d'abord et d'une, Sont le soleil du firmament ;
Votre visage est la pleine lune,
Et mon amour est... le croissant.

SCÈNE VIII.

Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! me voilà perdu. Ma bonne maman Regnier, je ne sais pas où est-ce qu'elle est : quel tapage ! Ils veulent que j'aille dans leur chaloupe ! ah bien oui ! Allons donc faire les farragos, pour être occis avec les autres ! et pis la première réquisition n'a pas voulu de moi.

Air : C'est bien naturel sans doute.

Chacun dit : Voyez ce Nicaise !
Ô bon Dieu ! quelle figure niaise !
Et moi qui me gausse de ce qu'on dit,
Je réponds : Ça suffit. (bis)

Tant mieux, tant mieux.

Vous trouvez que mon esprit de bête
Ne me tournera jamais la tête.
Car, selon moi, tête sans esprit
Vaut mieux que de l'esprit sans tête,
Vaut mieux que de l'esprit.(bis)

Mais si quelqu'un des ennemis arrivait ? où me cacher ? (Apercevant le piédestal.) Oh ! la bonne invention ! À la place du saint qu'était là... (Il se place.) À présent, ne grouillons pas plus qu'une souche. (On entend l'air Ça ira ; tout le monde arrive avec le vicaire, le curé, et le père Lindel.)

SCÈNE IX.

Eh ! Monsieur, vous m'étouffez.

C'était pour voir la fête plus à mon aise.

SCÈNE X ET DERNIÈRE.

Me voilà, ma bonne maman.

Au contraire, maman, je me retrouve mon citoyen. Oui, notre curé...

Air : Ah ! que je sens d'impatience !

NICAISE.
Ah oui, je brûlons d'impatience
D'exterminer ces coquins-là.
Je dirons à cette maudite engeance :
Je suis républicain, oui-da ;
Oui, le citoyen Nicaise. (bis)
L'Anglais tout ébahi me regardera ;
Et je sais ben qui ne sera pas aise
De me voir tourner le carte comme ça.
Ce sera l'Angleterre,
Qui de peur tremblera ;
Car ces Messieurs-là
Ne s'en moqueront pas :
Je les coule tous à bas.
Oh ! oui-da, vous verrez
Que Nicaise, que Nicaise
Ne se mouchera pas du pied.

Eh bien, moi, je vais faire aussi une maîtresse pour m'enflammer.

Sans doute.

Air du Vaudeville des Visitandines - Troisième couplet.

NICAISE.
Quand ma bonne maman me dit : Nicaise,
Tu es gentil comme un chérubin,
Oui, ce petit nom-là me rend bien aise,
Et cependant ce n'est presque rien.
Mais à présent que j'aime la nation, ce nom-là me conviendra mieux,
Tout bel ange est bon patriote,
Et je vais prouver ma motion,
Puisque, le jour de l'annonciation,
Gabriel était sans-culotte.

5. Thomas Rousseau fut auteur, traducteur et l'archiviste de la Société des Jacobins ; ses ouvrages comprennent : Tableau du meilleur gouvernement possible, ou l'Utopie de Thomas Morus [saint ; 1478-1535], Paris, Jombert, 1780 ; L'Américain aux Anglais [ode], Caroline (les États-Unis), 1781 ; Les chants du patriotisme, avec des notes, dédiés à la jeunesse citoyenne, Paris, Migneret, 1792 ; Morale élémentaire à l'usage des écoles françaises, 5e éd., Paris, Dupuis, 1798.

6. Quelques-unes sources musicales : le vaudeville des Visitandines (1792 : acte II, scène 9), opéra-comique de François Devienne (1759-1803) d'après du livret de Louis-Benoît Picard (1769–1828) ; le vaudeville du Mariage de Figaro (1786 : acte V, scène 19), opéra-comique de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) d'après du livret de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799) ; l'air des Trembleurs d'Isis (1677), tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lully (1632-1687) d'après du livret de Philippe Quinault (1635-1688).

7. Transcription par Dr Roger Peters [Home Page (en anglais)].
[Mai 2004]