LE COUVENT OU LES VŒUX FORCÉS :

drame en trois actes de Mme de Gouges ;

première, en deux actes, le 21 octobre 1790.

PERSONNAGES.
L'ABBESSE.
SŒUR ANGÉLIQUE.
JULIE, novice.
SŒUR AGATHE.
SŒUR FÉLICITÉ.
LE MARQUIS DE LEUVILLE.
LE CHEVALIER, fils du marquis.
UN GRAND-VICAIRE.
UN CURÉ.
ANTOINE, jardinier.
PLUSIEURS AUTRES RELIGIEUSES.
UN COMMISSAIRE.
PLUSIEURS SOLDATS.

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ACTE PREMIER.

Le théâtre représente le derrière d'un couvent. Dans le
fond est une grande porte pour l'entrée des provisions.


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SCÈNE PREMIÈRE.
LE CHEVALIER DE LEUVILLE, ANTOINE.

LE CHEVALIER, suivant Antoine.
Antoine, mon cher Antoine.

ANTOINE, faisant le tour du théâtre.
Point d'affaires.

LE CHEVALIER.
Mon ami.

ANTOINE.
C'est inutile.

LE CHEVALIER.
Écoute-moi donc.

ANTOINE.
Je sommes sourd.

LE CHEVALIER.
Réponds-moi un moment.

ANTOINE.
Je sommes muet.

LE CHEVALIER.
Je te promets...

ANTOINE.
Je sommes incorruptible.

LE CHEVALIER.
Cette bourse...

ANTOINE, regardant la bourse, et à part.
Elle est dodue.

LE CHEVALIER.
Accepte-la.

ANTOINE.
Tout de bon ?

LE CHEVALIER.
Elle est à toi.

ANTOINE, recevant la bourse.
Grand merci.

LE CHEVALIER.
Tu n'es pas sourd actuellement.

ANTOINE.
Ni muet. Allons, dégoisez-moi vitement votre affaire.

LE CHEVALIER.
Je languis, je brûle, je suis amoureux.

ANTOINE.
Et de qui ?

LE CHEVALIER.
D'une femme adorable, d'un ange qui vit dans ce couvent.

ANTOINE.
Quel conte vous nous faites donc-là ? si c'était un démon, passe ; cet esprit malin se faufile plus d'une fois parmi nos Béguines.

LE CHEVALIER.
Ah ! si je te nommais celle que j'aime, tu conviendrais avec moi qu'elle est adorable.

ANTOINE.
Il faudrait que j'l'aimions pour dire comme vous. Ce n'est donc pas une de nos religieuses, je n'devinons pas celle qui vous a donné dans la visière. Il faut ben stapendant nous la nommer si vous voulez que j'vous soyons utile.

LE CHEVALIER.
Julie prononce ses vœux aujourd'hui : figure-toi, mon cher Antoine, quel doit être mon tourment.

ANTOINE.
Ah ! c'est pour la novice. Je nous en sommes presque douté : mais que diantre voulez-vous que je fassions pour vous, au moment même de la cérémonie ?

LE CHEVALIER.
M'introduire là-dedans.

ANTOINE.
Ouais ! introduire le loup dans la bergerie ; ce n'est pas le moyen qui nous manquerait, puisque j'allions à la ville quand je vous ons rencontrais, pour y chercher un directeur. S'il était possible, (en réfléchissant) eh ! ma foi, pourquoi pas. J'avons précisément à notre disposition...

LE CHEVALIER.
Dis-moi, est-ce toujours le même Capucin qui vient ici ?

ANTOINE.
Non, quelquefois il ne se trouve pas à la Capucinière, et alors c'est le premier venu.

LE CHEVALIER.
Tu me fais naître une idée charmante ; si je prenais la place de ce premier venu, si j'endossais l'habit de Capucin ? Tu pourrais dire que le directeur en titre était absent. Ce stratagème serait admirable, divin.

ANTOINE.
Admirable, divin, pour vous, mais pour moi... Oh ! oh ! Monsieur le Chevalier, vous mettre à la place d'un confesseur pour être à même d'apprendre tous les secrets de nos petites sœurs. Et que dirait la religion ? Oh ! c'est trop fort, c'est trop fort, quand j'y réfléchissons sérieusement.

LE CHEVALIER.
Ta crainte est ridicule, ton scrupule n'est pas raisonnable. Crois-tu que ce soit la première fois qu'un amant déguisé est entré sous des vêtements religieux dans ces asiles. Crois-moi, mon cher Antoine, il se passe souvent dans ces retraites des aventures que le public ignore. D'ailleurs, je prends tout sur moi, et je te promets une récompense digne du service que tu m'auras rendu.

ANTOINE.
C'en est fait, je ne résistons plus. J'avons précisément acheté l'aut' jour au marché la défroque d'un révérend, et je comptions en faire, pour le carnaval, un capucin de paille pour divertir nos filles de village ; vous l'endossez pour divertir la novice, qui nous paraît ma foi bien triste, et vaille que vaille, v'là qu'est convenu ; mais pourrez-vous prendre l'air pitieux, le ton nasillard d'un pauvre diable ? Dame, c'est votre affaire, une fois dans le couvent, je n'répondons plus d'vous.

LE CHEVALIER.
Il s'agit de vaincre la répugnance de mon amante, de la décider à quitter sa prison.

ANTOINE.
Il se peut bien que ce soit vous qu'elle aime, il s'agit de vous en convaincre, et je ne sommes pas fâché d'y bouter la main. Je n'ferions pas ça pour tout le monde da ! ça n'ferait pas notre profit. T'nais, je n'sommes pas fâchais quand queuqu'jolis minois s'enfermont dans c'te cage, y nous y reviant toujours de petits cadeaux. Chacune a son petit jardin ; Antoine par-ci, Antoine par-là, je te recommande mon parterre : arrose mes fleurs, alles ont soif, et puis les sucreries et les bonbons de me tomber comme la grêle, et tout ça sait que j'sommes ben v'nu des filles des environs, parce que j'leux faisons part de ces friandises. Mais Mam'selle Julie, quoique elle soit ben jolie...

LE CHEVALIER.
Oh ! oui : bien jolie.

ANTOINE.
Quoiqu'elle soit si douce, si bonne, qu'ça vous ressemble à un ange...

LE CHEVALIER.
Oui, mon ami, c'est une créature céleste.

ANTOINE.
Stapendant, si cette créature ce n'était pas vous qu'elle aima. Je lui avons vu un chagrin si cuisant de faire profession, qu'ça m'chagreine moi-même.

LE CHEVALIER.
Eh bien ! mon cher Antoine, c'est un motif de plus pour tout hasarder.

ANTOINE.
C'est pour une bonne cause qu'vous voulais endosser la mandille ?

LE CHEVALIER.
Oui, il ne me reste que ce moyen pour empêcher le plus grand de tous les malheurs ; aussi ce n'est pas par irrévérence pour le costume de Saint-François que je veux l'endosser, mais par nécessité absolue.

ANTOINE.
J'en sommes certain ; enfin...

LE CHEVALIER.
Écoute ; Julie, comme tu le sais, a été élevée dans ce couvent depuis sa plus tendre enfance ; mais ce que tu ne sais pas, c'est qu'elle y a été mise par ordre de mon père, c'est encore par son ordre qu'aujourd'hui l'on veut la forcer à faire profession. Voilà tout ce que j'ai pu apprendre sur le sort de Julie ; le reste est un mystère. Tu ne connais pas mon père. Violent, despote, la moindre résistance à ses volontés est une injure qu'il ne pardonne jamais.

ANTOINE.
S'il est si hargneux, comme prendra-t-il votre équipée ?

LE CHEVALIER.
C'est mon affaire, je suis majeur, et tout le respect que je lui dois ne peut m'empêcher de me soustraire à une tutelle tyrannique. Tu sens bien que son acharnement à vouloir faire de Julie un religieuse me laisse entrevoir quelque chose... d'odieux peut-être. La pitié que son sort m'inspire, augmente encore mon amour : il prit naissance au parloir où je l'ai vue quelquefois lorsque je venais avec mon père rendre des devoirs à Mme l'Abbese.

ANTOINE.
C'est fort bian, vous l'amais, et il n'y a rien là-dedans que de très naturel ; mais si alle ne vous aime pas, à quoi aboutira toute votre manigance, ça m'inquiète, vous n'y songez pas même.

LE CHEVALIER, comme embarrassé.
Si... Julie... ne m'aime pas... dis-tu ?

ANTOINE.
Oui, car j'n'ons encore rian vu qui m'apprenne qu'elle partage vos biaux sentiments.

LE CHEVALIER.
Je ne me trouve là-dessus pas plus avancé que toi.

ANTOINE.
Peste ! j'ons toujours entendu dire qu'on ne s'embarque dans une aventure périlleuse que pour en obtenir du profit, et vous affrontais stelle-ci sans savoir si Julie vous en dira grand merci.

LE CHEVALIER.
Oh ! je suis sûr qu'elle m'aimera.

ANTOINE, le contrefaisant.
Oh ! je suis sûr qu'elle m'aimera. Les jeunes gens ne doutons de rian ; ils pensons tous de même, et si par hasard alle n'allait pas vous aimer, et qu'elle en aima un autre. Ah dame ! vous seriez ben attrapé n'est-ce pas ?

LE CHEVALIER.
Ah ! je t'en assure. C'est impossible cependant, car enfin elle n'a jamais vu d'homme que moi et mon père.

ANTOINE.
Et moi, dame, pour qui me prenez-vous, est-ce que j'sommes une bûche ? et puis, vous croyez qu'à travers les grilles des croisées on ne regarde pas ben les passants. Ces jeunes filles ont les yeux partout. Ça vous a une vue aussi longue, aussi longue, qu'une lorgnette d'astrologue.

LE CHEVALIER.
Tu me fais trembler. Sa répugnance à prononcer ses vœux ne vient que des dispositions de son cœur à la tendresse.

ANTOINE.
Et si ces dispositions étaient disposées pour un autre que pour vous, je ne saurais trop vous le répéter.

LE CHEVALIER.
Tu as raison... si c'était tout autre...

ANTOINE.
Peut-être que non, quand vous l'avez vue, lui avez-vous parlé ?

LE CHEVALIER.
Jamais.

ANTOINE.
Lui avez-vous fait des mines ?

LE CHEVALIER.
Sans parler, ma bouche lui disait beaucoup de choses ?

ANTOINE.
S'en est-elle aperçue ?

LE CHEVALIER.
J'en doute, mes yeux, presque sans cesse fixés sur elle, ont toujours vu les siens modestes et baissés.

ANTOINE.
Voilà un amour bien avancé ; mais tout coup vaille, si vous persistez dans votre dessein je vous y servirai.

LE CHEVALIER.
Si j'y persiste, n'en doute pas. Il y a deux jours que la hasard me fit découvrir que mon père, conjointement avec Mme l'Abbese, avait fixé pour aujourd'hui la cérémonie des vœux de Julie. Désespéré, hors de moi, je rêve aux moyens de l'empêcher ; pressé par le temps, je n'entrevois que ce déguisement...

ANTOINE.
Paix... voici de la compagnie.

LE CHEVALIER.
Me seras-tu bientôt entrer dans le couvent ?

ANTOINE.
Pas encore ; ne faut-il pas avoir l'air d'arriver de la ville, et ne faut-il pas avoir le temps de vous capuciner... retirons-nous... Voyez-donc, c'est votre père avec le Grand-Vicaire et notre bon Curé.

LE CHEVALIER.
Ah ! Dieu, serais-je venu trop tard !

SCÈNE II.
LE MARQUIS DE LEUVILLE, LE GRAND-VICAIRE, LE CURÉ.

LE MARQUIS.
Dans toute autre circonstance vos raisons seraient fort bonnes, M. le Curé ; mais elles ne peuvent avoir ici leur application.

LE CURÉ.
Quel si grand intérêt vous dispose à vouloir si impérieusement que Julie prononce ses vœux ?

LE GRAND-VICAIRE.
Prétendriez-vous que M. le Marquis ait à vous rendre compte de sa conduite ? Je connais ses motifs, et cela doit vous suffire.

LE CURÉ.
Pardonnez, Monsieur, je sais qu'en votre qualité de vicaire-général vous avez dans les couvents une autorité que je n'y ai point ; mais au moins caractère excuse suffisamment ma démarche ; et je ne crois point que M. le Marquis puisse se dispenser d'entendre les représailles de son Pasteur.

LE GRAND-VICAIRE.
Elles sont inutiles, et s'il le faut, je vous recommande le silence.

LE CURÉ.
Votre ton me force à justifier mes instances. (Au Marquis.) Lisez, Monsieur, la lettre que je viens de recevoir.

LE MARQUIS, lisant à haut voix.
«Il ne reste plus que ce seul moyen, accourez. Monsieur, je vous en conjure par tous les sentiments de piété et de religion qui vous animent ; empêchez, retardez au moins les vœux que l'on arrache à la malheureuse Julie. Pour animer votre zèle, sachez que l'obstination du Marquis de Leuville cache un mystère d'iniquité... Le temps le découvrira peut-être... Je ne puis en dire davantage... ...» (À part, un peu éloigné et troublé.) C'est Angélique, c'est ma sœur qui a tracé ces lignes ; aurait-elle instruit Julie du secret de sa naissance ? (Au Curé, après s'être remis de son trouble.) Eh bien, cette lettre est anonyme, vous arrêteriez-vous à un pareil écrit ?

LE CURÉ.
Prenez garde, Monsieur, certaines circonstances, vagues à la vérité, que je me suis rappelées en la lisant... Vous eûtes autrefois une sœur... Un mariage qui n'eut point votre approbation... La mort soudaine de son époux... La disparition de cette sœur et de son enfant encore au berceau... Un voile, jusqu'à présent impénétrable, n'a laissé sur cet événement que des conjectures.

LE MARQUIS, avec une fureur concentrée.
Monsieur le Curé...

LE GRANDE-VICAIRE.
Qui vous a chargé du soin de la famille de M. le Marquis, et comment oubliez-vous la charité, jusqu'à vous permettre des suppositions odieuses.

LE CURÉ.
Le Ciel, qui connaît la pureté de mes intentions, sait que je ne suppose point, que je repousse même les bruits injurieux à M. de Leuville.

LE MARQUIS.
Faites mieux encore, renoncez à cette opposition, qui d'ailleurs n'aboutirait à rien, puisque les vœux de la novice sont décidément arrêtés entre Mme l'Abbesse et moi.

LE GRAND-VICAIRE.
Songez, enfin, à l'intérêt du Ciel qui attend ce nouveau triomphe de la religion. Laissez tranquillement des mains innocentes se consacrer au culte des autels.

LE CURÉ.
Ah ! si le sacrifice était volontaire, s'il se consommait dans un âge où la raison et l'expérience permissent d'en mesurer toute l'étendue ; quoiqu'il répugne à la nature, j'y applaudirais volontiers. Mais à seize ans, à cette époque de la vie, où le cœur incertain cherche à se connaître, où les premières impressions commencent à se développer, à cet âge où l'innocence est si timide qu'elle ploie sans oser murmurer sous le joug qu'on lui impose, commander l'abnégation de soi-même, ordonner le plus inconcevable de tous les sacrifices, enchaîner un enfant, aveuglement docile, dans des liens qui ne se briseront jamais ; c'est offenser l'Être suprême, c'est s'opposer aux lois éternelles de la création, c'est rendre barbare le culte d'un Dieu de paix.

LE GRAND-VICAIRE.
Qu'osez-vous prononcer contre cette religion dont vous méconnaissez la sévérité ? Oubliez-vous qu'elle n'admet à ses autels que des mains pures et sans taches ? Oubliez-vous que renoncer au monde est le premier devoir de ceux qui se consacrent au ministère sacré ?

LE CURÉ.
Plût au Ciel qu'aucun motif humain n'y eût jamais appelé cette foule d'ambitieux, qui ne confidèrent dans vie sacerdotale qu'un chemin trop facile pour arriver à la fortune, et se procurer toutes les jouissances de la mollesse et du luxe ! L'Église n'aurait point à rougir de la corruption des mœurs de ses ministres : moins opulents, ils en seraient plus respectables.

LE MARQUIS.
Quoi ! Monsieur, vous dont le zèle si pur et les mœurs austères servent d'exemple à votre troupeau, vous prêcheriez une morale malheureusement mise à la mode par de prétendus Philosophes, vous seriez le panégyriste de l'erreur ?

LE CURÉ.
La religion ne commande point d'être sourd à la voix de la nature. Concilier ses dogmes avec les devoirs de la société, voilà la morale, voilà l'instruction que nous devons aux hommes. Laissez se consacrer au service des autels celles qu'une vocation particulière y appelle dans un âge où la raison ait pu suffisamment les éclairer sur le choix d'un état où il est si difficile de se plaire ; mais renoncez au pouvoir tyrannique de condamner à des regrets la timide innocence que vous enchaînez dans les cloîtres. Songez que le droit de se choisir librement une place dans la société appartient, par la nature, à tout être pensant, et que le premier de tous les devoirs est d'être utile.

LE MARQUIS.
Raisonnements superflus, qui ne peuvent ébranler ma détermination. Julie est sans fortune ; sa dot payée, ses vœux prononcés, je me verrais débarrassé, pour toujours, du soin que j'ai bien voulu prendre d'elle.

LE CURÉ.
Tremblez de lui vendre trop cher des services... sans doute généreux... Sexe faible et malheureux, trop souvent sacrifié à des convenances barbares, on t'interdit le pouvoir de te déterminer sur la moins importante des considérations de fortune, et cependant on t'enchaîne par des serments inviolables, on veut que tu puisses signer un contrat dont la raison frémit.

SCÈNE III.
LES PRÉCÉDENTS, ANTOINE.

ANTOINE, s'essuyant le front.
Ouf ! me voilà enfin arrivais.

LE GRAND-VICAIRE.
Ah ! c'est toi, Antoine, tu est bien échauffé ?

ANTOINE.
Je n'ons fait qu'un saut d'ici à la ville et de la ville ici. La jeune novice a biau faire la mutaine, je lui amenons un révérend père qui saura la mettre à la raison.

LE MARQUIS.
Est-il bien sévère ?

ANTOINE.
De nos jours, je n'ons point vu de moine plus refrogné, les yeux caves, le front ridé, les joues creuses, et une barbe qu'ça fait peur.

LE GRAND-VICAIRE.
Et tu l'appelles ?

ANTOINE.
Le Père Hilarion.

LE CURÉ, à part.
Malheureux, qui va répandre le trouble dans cette âme timorée, et achever de la précipiter dans l'abîme.

LE MARQUIS.
Faites prier Mme l'Abbesse de descendre au parloir, où nous allons nous rendre, M. le Grand-Vicaire et moi.

ANTOINE.
J'y courons... (À part.) Ensuite je reviens vous faire entrer le Père Hilarion par les jardins dans la salle du chapitre où il endoctrinera la novice.

SCÈNE IV.
LES PRÉCÉDENTS excepté ANTOINE.

LE CURÉ.
Je ne vous quitte pas, Messieurs, trouvez bon que je vous accompagne au parloir. Il n'est peut-être trop nécessaire de rappeler à Mme l'Abbesse qu'elle ne doit permettre aucune violence sur les dispositions de Julie.

LE GRAND-VICAIRE.
Dispensez-vous de ce soin.

LE MARQUIS.
Nos mesures sont prises, nul obstacle ne peut en arrêter l'effet.

LE CURÉ.
Eh bien, sachez ce que l'humanité et la religion m'ordonnent de faire. Je paraîtrai à la cérémonie dont il n'est pas permis de m'interdire l'entrée ; j'y réclamerai hautement les droits naturels et la liberté ; si la novice hésite, si je m'aperçois de quelques violences, je déposerai ma protestation au greffe du tribunal de justice, et j'investirai votre victime du pouvoir de faire casser des vœux évidemment forcés.

LE GRAND-VICAIRE, à part au Marquis.
Le bourreau nous tiendra parole. Tâchons d'amollir sa fermeté par l'espoir des récompenses.

LE MARQUIS, au Curé.
Une semblable démarche, M. le Curé, contrarierait fort de certaines dispositions où vous êtes intéressé. Je suis le parent et l'ami du ministre de la feuille des Bénéfices. Déjà j'ai sa promesse en votre faveur. Prenez garde que je peux en précipiter l'effet, ou lui rendre sa parole d'une manière à vous ôter tout espoir pour l'avenir.

LE GRAND-VICAIRE.
La réputation de vertu de M. le Curé m'avait aussi inspiré des vues. On connaît mon ascendant sur l'esprit de notre prélat. Certaine prébende qui vaquera bientôt dans un chapitre opulent...

LE CURÉ.
Ainsi, pour prix de ma complaisance, je pourrais, sous peu de temps, me voir revêtu d'un canonicat ou de quelque gros prieuré ?

LE MARQUIS.
N'en doutez pas.

LE GRAND-VICAIRE.
Vous devez y compter.

LE CURÉ.
Gardez, Messieurs, pour des âmes vénales de pareilles propositions. J'irais à l'opulence par l'oubli de mes devoirs ! ma portion congrue, un faible patrimoine, l'économie et la sobriété, voilà mes richesses. Je n'en désire point d'autres ; elles suffisent à mes besoins et aux secours qu'un pasteur doit à ses paroissiens.

SCÈNE V.
LES PRÉCÉDENTS, ANTOINE.

ANTOINE.
Messieurs, Mme l'Abbesse vous attend au grand parloir.

LE MARQUIS.
Nous y allons.

LE GRAND-VICAIRE.
Monsieur le Curé, si notre amitié, si nos offres vous touchent peu, craignez au moins notre mécontentement.

LE CURÉ.
Ni promesses, ni menaces ne me seront manquer à mon devoir.

SCÈNE VI.
ANTOINE, seul.

ANTOINE.
J'ons bien recommandé à notre Capucin de ne point faire d'esclandre. Il m'a bian promis de ne se découvrir qu'à sa Julie, et de l'exhorter seulement à la fermeté ; ainsi, point de risque pour nous. Enfin, vingt-cinq louis dans la bourse qu'il m'a baillé, et st'aute récompense qu'il m'assure, c'est plus qu'il n'en faut pour m'dédommager du risque que j'courons. Oh ! si nos Béguines allions découvrir... Queu vacarme !

SCÈNE VII.
ANTOINE, SŒUR AGATHE,
dans le fond du théâtre, en dedans du jardin.

ANTOINE.
Vous venais fort à propos, ma sœur, le Père Hilarion va arriver, et vous l'introduirez à la salle du chapitre.

SŒUR AGATHE, à travers la grille.
Tout y est prêt pour la cérémonie ; on n'attend plus que lui pour achever de vaincre l'irrésolution de la novice.

ANTOINE.
Justement le voici.

SCÈNE VIII.
ANTOINE, SŒUR AGATHE, LE CHEVALIER en capucin.

ANTOINE.
Arrivais, arrivais, Père Hilarion.

LE CHEVALIER.
Eh ! quoi, ma sœur, ce couvent renferme une brebis égarée qui résiste à la voix du Ciel. Serait-ce le fruit des mauvais conseils que lui donnent peut-être quelques religieuses ?

SŒUR AGATHE.
Hélas, mon père, nous faisons tous nos efforts pour vaincre l'esprit tentateur ; mais vous savez que le plus juste pèche sept fois par jour.

LE CHEVALIER.
Qui peut donc l'entretenir dans ces dispositions mondaines ?

SŒUR AGATHE.
Dieu seul sait pénétrer les replis des cœurs. La Mère Abbesse, M. de Leuville, et la sœur Angélique, n'ont pu jusqu'a présent vaincre sa résistance.

LE CHEVALIER, vivement.
La sœur Angélique, dites-vous, quelle est-elle ?

SŒUR AGATHE.
La meilleure amie de Julie, celle de nos sœurs à qui elle est le plus attachée, et qui a pris le plus de soin de son enfance.

LE CHEVALIER.
Mais cette sœur connaît le Marquis de Leuville ?

SŒUR AGATHE.

Oh ! beaucoup, souvent ils ont ensemble de très longues conversations, dont jamais nous n'avons pu pénétrer le motif.

LE CHEVALIER, à part.
Quel trait de lumière ! c'est elle, sans doute, c'est ma tante, ô frère cruel. (À la sœur Agathe.) Introduisez-moi promptement auprès de la novice, je veux lui parler sans témoins. Je saurai lire dans son cœur ; je découvrirai ce mystère que l'on s'efforce de vous cacher. (Sœur Agathe ouvre la grille et introduit le Chevalier.)

SCÈNE IX.
ANTOINE, seul.

ANTOINE.
Bon, le v'la dedans, maintenant qu'il s'y tienne comme il faut, et j'répondons de tout. Mais ces amants, ça vous est si imprudent, qu'on pourrait les surprendre. Ayons l'œil au guet, et tandis qu'ils jaseront tâchons de nous trouver à portée de les avertir quand l'ennemi paraîtra.

Fin du premier Acte.

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ACTE II.

Le théâtre représente la salle du chapitre, disposée pour la cérémonie
des vœux. Au milieu est un autel sur lequel on voit un gros livre.


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SCÈNE PREMIÈRE.
SŒUR ANGÉLIQUE, JULIE.

JULIE, dans la plus grande douleur.
Non, je ne prononcerai point ce serment... infortunée... pourquoi suis-je au monde ?

SŒUR ANGÉLIQUE.
Ma fille, ayez un peu plus de confiance en vous-même... Que vous rendez mes jours malheureux ! Vous ignorez tout l'intérêt que je prends à vous.

JULIE.
Ah ! Madame... ah ! ma mère... permettez-moi de vous donner ce nom ?

SŒUR ANGÉLIQUE.
Oui, ma fille, appelle-moi ta mère, j'ai plus que tu ne penses des droits à ce titre.

JULIE.
Vous seule ne me repoussez pas avec cruauté.. quoi, vous versez des larmes ? vous vous attendrissez sur mon sort ? Ah ! sans doute, vous désapprouverez la violence qu'on veut me faire.

SŒUR ANGÉLIQUE.
Contribuer à ton malheur, moi qui ne fais des vœux que pour ta félicité !

JULIE.
Affermissez mon âme contre la persécution qu'on lui prépare : dit-moi que le Ciel ne blâme point ma résistance, et que je ne peux l'offenser en me refusant à des vœux contre lesquels mon cœur se révolte.

SŒUR ANGÉLIQUE.
Hélas ! vous n'êtes pas la première victime qui se soit sacrifiée aux caprices de parents injustes.

JULIE.
Des parents ! et quels sont les miens ? inconnue à moi-même, abandonnée dès mon enfance, sais-je quelle est ma famille ? pourquoi m'a-t-elle rejetée de son sein ? Sont-ce mes parents qui me tyrannisent ? Ne dois-je les connaître qu'à leur persécution ? et si je n'en ai point, si je suis laissée aux soins de la Providence, qu'importent mes vœux à la nature entière ?... Oh ! ma mère, qui que vous soyez, si vous vivez encore, que ne paraissez-vous pour m'arracher à mes oppresseurs.

SŒUR ANGÉLIQUE, la serrant avec une vive émotion.
Ma fille ! ma chère fille ! (Elle s'arrache des ses bras, et à part.) Mon secret allait m'échapper. Frère inhumain ! ton âme de tigre s'amollirait peut-être si tu étais témoin de ces combats de la nature.

JULIE.
Et vous aussi, mon unique appui, vous vous éloignez de moi. J'étais si bien contre votre cœur ; pourquoi m'en repousser ? Je ne sais quel charme m'y attire. Ah ! laissez-moi me livrer à ces embrassements qui allègent le poids de ma déplorable existence.

SŒUR ANGÉLIQUE.
Oui, mon enfant, prends confiance dans une amie plus malheureuse que toi.

JULIE.
Vous malheureuse ! et vous me consolez ! ce n'est donc que dans le sein des infortunés que l'on trouve de la pitié ?

SŒUR ANGÉLIQUE.
Je suis d'autant plus à plaindre que tes maux mettent le comble à tous les miens.

JULIE.
Ô pouvoir de la vertu, qui oublie ses souffrances pour verser la consolation dans le sein des opprimés !

SŒUR ANGÉLIQUE.
Tes persécuteurs n'entreprennent rien contre toi qui ne retentisse, hélas ! dans ce cœur trop déchiré.

JULIE.
C'est porter trop loin l'excès de vos bontés. Combien de fois votre courage à me défendre des tracasseries, des humiliations dont on m'abreuve, vous a exposée vous-même au courroux des supérieures !

SŒUR ANGÉLIQUE.
Trop heureuse de souffrir, lorsque je t'épargnais des peines...

JULIE.
Ah ! vous ne pouvez les connaître toutes.

SŒUR ANGÉLIQUE.
Ma fille, tu aurais pour moi quelque secret ? enfermée dans ce cloître depuis ton enfance, je ne puis deviner la source de tous tes chagrins ? Me serais-je trompée, quand j'ai cru que ta répugnance n'était fondée que sur le défaut de vocation ?

JULIE.
Plût au Ciel qu'un autre sentiment... (Elle s'arrête pour ne pas achever l'aveu.)

SŒUR ANGÉLIQUE.
Achève, ouvre-moi ton cœur.

JULIE.
Cet effort m'est impossible, laissez-moi mourir avec mon secret.

SŒUR ANGÉLIQUE.
Mourir ! toi qui m'es plus chère que la vie. Ah ! ce serait m'entraîner dans le tombeau. Ne me refuse point ta confiance toute entière. Si je ne peux te laisser l'espérance, je partagerai au moins ta douleur, elle en sera plus légère.

JULIE.
Je ne résiste plus à l'empire que vous avez sur moi ; apprenez... on approche... Les cruelles viennent hâter ma perte. Ne m'abandonnez pas.

SŒUR ANGÉLIQUE.
Rassure-toi, conserve ton énergie pour leur résister : dût leur courroux m'accabler, je m'opposerai de tout mon pouvoir à la tyrannie qu'on exerce contre toi.

SCÈNE II.
LES PRÉCÉDENTS, L'ABBESSE.

L'ABBESSE, à Julie d'un ton hypocrite.
Voici le moment, ma sœur, où vous allez remporter sur l'enfer une victoire agréable au Ciel ; encore quelques instants, et vous vous enchaînerez pour toujours aux devoirs les plus saints... Vous versez des larmes, ma sœur, c'est sans doute la joie de quitter l'esclavage du monde, qui vous les fait répandre.

JULIE.
Que vous interprétez mal le désespoir qui m'accable !

L'ABBESSE.
Que dites-vous, ma sœur ? vous résisteriez au pouvoir de la grâce ?

JULIE.
Non, Madame, aucune voix intérieure ne m'appelle à l'état que l'on veut me faire embrasser : je offenserais la religion même, si j'osais prononcer des vœux démentis par mon cœur.

L'ABBESSE.
Cette irrésolution est un piège de l'Ange de ténèbres ; ayez le courage, ma chère fille, de la surmonter, marchez à l'autel avec une fermeté digne des faveurs que le Ciel vous réserve ; prenez exemple sur nos sœurs, voyez-les s'applaudir elles-mêmes des chastes liens qui les séparent d'un monde corrompu.

JULIE.
J'admire leur constance sans pouvoir l'imiter.

L'ABBESSE.
Pensez qu'il ne vous reste d'autre parti à prendre, faites-vous un mérite d'obéir à la nécessité.

JULIE.
Eh ! pourquoi y serais-je condamnée ? déchirez le voile qui couvre ma naissance ; si je la dois à des parents pauvres, j'irai partager leur misère. Des mains généreuses n'ont-elles pris soin de mon enfance que pour me persécuter ? Je ne demande point à sortir de ce cloître, mais au moins qu'on retarde la cérémonie dont la religion s'irriterait. Laissez à mon cœur le temps de se disposer.

SŒUR ANGÉLIQUE.
Ayez pitié de sa jeunesse, accordez quelques délais à ses larmes.

L'ABBESSE.
Impossible, ma sœur. Monsieur le Marquis de Leuville exige que ses vœux soient prononcés aujourd'hui, ou il cesse de payer sa pension.

SŒUR ANGÉLIQUE, à part.
Le cruel poursuit ses iniquités.

JULIE.
Ah ! Madame, ne fermez point votre âme à la pitié. Si M. de Leuville me retire ses bienfaits, occupez-moi aux ouvrages les plus vils de la maison. Je ne lui serai point à charge. Je me soumettrai à tout jusqu'à ce que ma répugnance soit vaincue.

L'ABBESSE.
Vous insistez en vain, sans dot vous ne seriez pas reçue, M. de Leuville n'entendrait plus en faire le sacrifice.

SŒUR ANGÉLIQUE.
Je présumais bien que lui seul s'obstinait à perdre la malheureuse Julie. (Serrant Julie dans ses bras.) Fille infortunée ! ta perte est le comble des vengeances d'un barbare. (À l'Abbesse.) Servirez-vous ses projets, Madame, en contribuant au sacrifice de cette innocente victime ? Si vous saviez...

L'ABBESSE.
Oui ; je sais que vous entretenez Julie dans sa désobéissance ; on m'en avait instruite, et vous confirmez mes soupçons. Religieuse imprudente, dont les conseils pervers s'opposent à la voix du Ciel, retirez-vous... Je vous ordonne le silence le plus absolu, ou craignez...

JULIE, retenant sœur Angélique.
Ah ! Madame, lui feriez-vous un crime de sa compassion ?

L'ABBESSE.
Sortez, vous dis-je, et ne quittez votre cellule que par mon ordre. (La sœur Angélique sort.) Et vous, qui osez méconnaître le soumission due à vos bienfaiteurs, n'espérez pas que l'on se rendra à une résistance criminelle.

SCÈNE III.
L'ABBESSE, JULIE, LE CHEVALIER en capucin, LES RELIGIEUSES.

L'ABBESSE.
Venez, mon révérend Père, achevez de ramener au bercail cette brebis égarée, c'est un miracle digne du Ciel et de son auguste interpréteur.

LE CHEVALIER.
Voilà donc la novice qui doit faire profession.

L'ABBESSE.
Oui, c'est cette rebelle ; nous allons vous laisser seul avec elle pour ne point vous distraire dans vos pieuses exhortations. (Toutes les religieuses sortent après avoir baisé l'une après l'autre le bas du froc du Capucin.)

SCÈNE IV.
JULIE, LE CHEVALIER en capucin.

LE CHEVALIER, à part.
Quel moment pour tous deux !

JULIE, à part.
Tout mon sang s'est glacé dans mon cœur. Je ne saurais me soutenir.

LE CHEVALIER.
Ciel, elle a perdu connaissance ! (Il lui prend la main.) Julie, adorable Julie, revenez à vous, les moments nous sont chers. Je n'ai pas le dessein d'ajouter à vos tourments. Ouvrez vos yeux à la lumière, et ne voyez en moi que votre consolateur.

JULIE.
Vous me consolez ! vous que l'on a choisi pour achever ma perte !

LE CHEVALIER.
Revenez de votre erreur, je ne suis ni oppresseur ni implacable. Accordez-moi votre confiance, et comptez sur tous mes efforts pour vous assurer des jours moins orageux.

JULIE.
Ce langage me rassure. (À part, en confidérant le Capucin.) Et ses yeux m'annoncent qu'il n'est pas inexorable. (Haut.) Ah, mon Père ! et comment échapper au sacrifice que l'on exige de moi ? La résistance est désormais inutile ; accablée par tout ce qui m'environne, on m'ôte jusqu'à l'amie courageuse qui soutenait ma fermeté ! et peut-être la pénitence, les reproches, les humiliations, seront-elles le prix du tendre intérêt qu'elle a osé me témoigner.

LE CHEVALIER.
Je viens remplacer ses soins sans danger pour vous ; croyez que mes conseils seront conformes à votre situation, et que, loin de vous blâmer, moi-même je vous affermirai dans votre résolution.

JULIE.
Vous êtes donc un Ange de paix envoyé du Ciel même pour me protéger.

LE CHEVALIER.
Je ne suis qu'un mortel à qui vous inspirez tous les sentiments que méritent votre jeunesse, votre beauté et vos malheurs. Expliquez-vous sans détour et sans crainte. Quel est motif de votre répugnance pour le cloître ?

JULIE.
Je ne redoute point cet asile, et je ne pensai jamais à le quitter. Étrangère au monde, que pourrait y chercher un être infortuné, abandonné dès le berceau aux soins de la Providence ? La seule grâce que j'implore, c'est de vivre parmi ces religieuses jusqu'à ce que ma vocation soit décidée.

LE CHEVALIER.
Mais si vous n'avez pas d'aversion pour cet état, comment pouvez-vous craindre de vous y engager par un vœu solennel ?

JULIE.
La situation actuelle de mon cœur me défend de me consacrer au service des autels.

LE CHEVALIER.
Expliquez-vous, Julie : quel est-ce sentiment impérieux dont vous éprouvez la puissance ? Ne serait-ce qu'un trouble vague, ou s'est-il fixé sur quelqu'objet ? À votre âge, l'âme s'ouvre facilement aux impressions de la sensibilité. Ne retenez point un aveu nécessaire si vous voulez que je vous sois utile.

JULIE.
Qu'il est pénible de s'avouer coupable !

LE CHEVALIER.
Eh ! de quoi seriez-vous coupable ? penseriez-vous que le Ciel pût condamner des sentiments dont il mit le germe dans notre âme ? Ah ! croyez que la nature n'est jamais en contradiction avec le Créateur, et qu'en se développant elle ne sait qu'obéir aux lois éternelles qu'il lui prescrivit. Ô sagesse suprême ! quelle étrange opinion on ose concevoir de Ta justice. Tu tendrais un piège inévitable à la faiblesse humaine pour l'en punir éternellement ! Blasphémateurs d'un Dieu de bonté, vous seuls méritez les supplices dont vous épouvantez les esprits égarés par votre doctrine... Julie, rassurez-vous, le Ciel ne s'irrita jamais contre la vertu cédant aux plus doux sentiments de la nature.

JULIE.
Qu'entends-je !... Ce langage ranime mes sens, vous rendez le calme à mes esprits troublés. Oui, j'aurai le courage de vous faire l'aveu de mes plus secrètes pensées. Un penchant que j'ai en vain combattu me fait frémir des vœux que l'on exige de moi.

LE CHEVALIER, à part.
Ô Ciel, je frémis. (Haut.) Achevez de grâce, ne me cachez pas la plus petite circonstance. Depuis quand et en quelle occasion ce penchant a-t-il pris naissance ?

JULIE.
Au parloir, où j'ai paru deux fois avec Mme l'Abbesse.

LE CHEVALIER, à part.
Deux fois avec Mme l'Abbesse ! (Haut.) Et savez-vous si l'objet que votre cœur a choisi partage votre inclination ?

JULIE.
Comment en serais-je informée ? Je brûlais de fixer mes regards sur lui, mais la contrainte où l'on me tient, la présence de Mme l'Abbesse et de M. de Leuville, me forçaient de les détourner.

LE CHEVALIER, à part et avec joie.
Ah ! je respire. (Haut.) Encore un mot, Julie, son fils n'était-il pas avec lui ? Serait-ce en sa faveur ?...

JULIE, hésitant.
Il est le seul homme, avec son père, qui se soit présenté à mes regards.

LE CHEVALIER, se débarrassant de la barbe et du froc.
Julie ! ô ma chère Julie ! vous le voyez à vos genoux.

JULIE.
Ô Ciel ! c'est lui, qu'osez-vous entreprendre ? malheureux ! fuyez.

LE CHEVALIER, se relevant et arrêtant Julie.
Ne craignez rien.

JULIE.
Vous courez à votre perte, vous mettez le comble à mes alarmes ! que deviendrais-je si l'on nous surprenait ?

LE CHEVALIER.
Osez me suivre, osez franchir cette enceinte. Malheur au téméraire qui s'y opposerait.

JULIE.
Vous suivre ! oublier mes devoirs ! non, jamais.

LE CHEVALIER.
Vous êtes mon épouse ; votre premier devoir est de confier entièrement à ma foi.

JULIE.
Tant de bonheur n'est pas fait pour l'infortunée Julie.

LE CHEVALIER.
Nulle puissance ne peut me séparer de vous, je suis majeur, j'ai le droit de me choisir une compagne. Votre consentement seul décidera de votre sort ; venez.

JULIE.
Ne l'espérez pas, laissez-moi subir ma destinée. N'ajoutez pas à l'horreur qui m'environne le spectacle de vous voir poursuivi comme un coupable. Par pitié pour moi éloignez-vous.

LE CHEVALIER.
Non cruelle ! je reste, et dussai-je y périr, j'empêcherai cet affreux sacrifice.

JULIE.
Quel fruit attendez-vous de votre obstination ?

LE CHEVALIER.
La mort, ou votre main... venez... (Il l'entraîne.)

SCÈNE V.
LE CHEVALIER, JULIE, L'ABBESSE, PLUSIEURS RELIGIEUSES.

JULIE.
Nous sommes perdus. (Elle se laisse tomber sur un siège, le Chevalier se met devant elle.)

L'ABBESSE.
Oh profanation ! un homme dans ces lieux, seul avec Julie ! c'est Satan qui s'est introduit parmi nous sous ces vêtements respectables.

LE CHEVALIER, d'un ton ferme.
Madame, reconnaissez-moi. Je viens vous disputer cette victime, il faudra m'arracher la vie avant d'arriver jusqu'à elle.

L'ABBESSE.
Le fils de M. de Leuville ! tremblez téméraire, votre père va paraître.

LE CHEVALIER.
Je sais ce que je dois attendre de son caractère implacable.

L'ABBESSE.
Imprudent jeune homme ! je puis encore vous sauver, fuyez, éloignez-vous.

LE CHEVALIER.
Moi, fuir ! moi, abandonner à votre barbarie Julie ! mon épouse !

L'ABBESSE.
Son épouse !

LE CHEVALIER.
Oui, mon épouse, puisque une volonté absolue et l'amour le plus tendre nous unissent.

L'ABBESSE.
Julie, vous autorisez cet audacieux par votre silence.

JULIE.
Ah ! Madame, sauvez-le de son désespoir. Faites retomber sur moi seule le châtiment d'une erreur involontaire. Que M. de Leuville ignore la témérité de son fils. (Elle va pour se jeter aux genoux de l'Abbesse.)

LE CHEVALIER, l'arrêtant.
Que faites-vous, Julie ? n'attendons rien de ces âmes endurcies par une fausse piété. Je le jure à la face du Ciel, je ne sortirai d'ici que pour te conduire à l'autel de l'hyménée. Ni crainte ni respect ne m'en imposeront.

SCÈNE VI.
LES PRÉCÉDENTS, LE MARQUIS, LE GRAND-VICAIRE, LE CURÉ.

LE MARQUIS.
Que vois-je ? mon fils !

L'ABBESSE.
Ce fils, indigne de vous, s'est introduit dans cet asile sous ces vêtements sacrés. Nous l'avons surpris entraînant Julie, qui sans doute est complice de son égarement.

LE MARQUIS.
Malheureux ! que répondras-tu pour ta justification ?

LE CHEVALIER, d'un ton ferme.
Que vous me trouverez toujours soumis et respectueux, si vous approuvez le choix de mon cœur.

LE MARQUIS.
Sors, et ne me force pas d'invoquer la justice des hommes pour t'arracher de ces lieux.

LE CHEVALIER.
Je sortirai, pourvu que Julie me suive, et que vous nous promettiez de nous unir.

LE MARQUIS.
Tu résistes après le crime dont tu viens de te fouiller ? Un rapt dans cet asile sacré... Sais-tu où une pareille profanation peut te conduire ?

LE CHEVALIER.
À rien, dans ce temps de lumières et de justice. Ce ne sont point les autels que j'offense, je les sers en défendant l'innocence opprimée. N'attribuez qu'à l'horrible tyrannie que vous exerciez sur cette innocente victime, la nécessite de mon déguisement. L'un et l'autre nous sommes libres de faire un choix. Les lois, l'humanité, les droits de la nature, nous protégeront contre le fanatisme et les vengeances de l'orgueil.

LE MARQUIS.
Si je n'écoutais que mon juste courroux... Tremble de m'irriter davantage... Sors, te dis-je, avant que je ne me livre à mon indignation.

LE GRANDE-VICAIRE, à part.
Quel moment favorable pour me venger de ce prêtre rebelle ! Faisons retomber sur lui l'égarement de ces jeunes gens. (Au Marquis.) Je vais chercher main-forte, et je reviens à l'instant. (Il sort.)

SCÈNE VII.
LES PRÉCÉDENTS excepté LE GRAND-VICAIRE.

LE CHEVALIER.
Je vous l'ai déjà dit : je ne sortirai qu'avec Julie, et pour aller aux pieds des autels ratifier la foi que je lui ai donnée.

LE MARQUIS, à l'Abbesse.
Madame, permettez que je fasse appeler la justice, et que j'aie recours aux lois pour faire punir un audacieux qui me manque de respect, et qui a osé profaner ce lieu saint.

L'ABBESSE.
Oui, Monsieur, je vous le permets, il faut un exemple. Vous le devez au culte, à la religion, au Ciel même.

LE CURÉ.
Ah ! Monsieur, qu'allez-vous faire ? La fureur vous aveugle, c'est votre fils que vous voulez perdre. Son crime est excusable. La jeunesse, la beauté, le malheur de Julie, l'ont égaré. Écoutez des conseils plus doux. Il se soumettra si l'on retarde la cérémonie.

L'ABBESSE.
Quel langage pour un pasteur ! est-ce ainsi que vous défendez ces vierges de Dieu des passions mondaines.

LE CHEVALIER.
Oui, à cette condition je n'insiste plus, pourvu que l'on me promette solennellement que Julie ne sera point tourmentée, et qu'il me sera libre de la voir en présence de mon père et de toutes les religieuses, afin de les convaincre que mes intentions sont pures et louables.

LE MARQUIS.
Vous l'entendez, il prétend encore nous faire la loi. Pour la dernière fois, plus de grâce si tu persistes.

LE CHEVALIER.
Quand on est inhumain, injuste, la désobéissance devient un devoir.

LE MARQUIS.
Ta perte est inévitable, ingrat, je te déshérite, et je vais te faire enfermer pour le reste de tes jours.

JULIE, se jetant aux genoux du Marquis.
Ah ! Monsieur, ayez pitié de votre fils, moi seule je suis coupable.

LE MARQUIS.
Il ne reste qu'un moyen de la sauver, c'est de monter sur-le-champ à l'autel, et d'y prononcer vos vœux. Je jure d'oublier son crime.

JULIE, se relevant.
Ô Dieu ! soutiens mon courage. Pardonne à ma faiblesse si mon cœur dément ce que ma bouche va prononcer. (Elle marche à l'autel, le Chevalier l'arrête par un mouvement rapide.)

LE CHEVALIER.
Julie, qu'allez-vous faire ? (Julie, après s'être débarrassée de ses mains, marche à l'autel.)

LE CURÉ.
Arrêtez, fille infortunée, la violence est manifeste : Dieu rejette des vœux qui ne sont pas librement prononcés. (À l'Abbesse.) Madame, je vous engage, par toute l'autorité de la religion, d'empêcher ce sacrilège qui retomberait sur vous et sur ceux qui le commandent. (À part.) Mais, qu'entends-je, on arrive en foule ! la justice vient à notre secours ! Ô Providence céleste ! sauve la victime.

SCÈNE VIII.
LES PRÉCÉDENTS, LE COMMISSAIRE, LE GRAND-VICAIRE, LES SOLDATS.

LE CURÉ, au Commissaire.
Venez, Monsieur, venez, joignez-vous à moi pour arrêter la violence qu'on veut exercer ici contre cette innocente créature. Les vrais magistrats sont l'appui des opprimés.

LE GRAND-VICAIRE, à part.
Maudit homme ! (Haut.) Pensez-vous que Monsieur ignore son devoir et ce qu'il doit au bon ordre ? Ne vous flattez point de l'induire en erreur : vouloir enlever de vive force une jeune personne qui brûle de se consacrer à Dieu !

LE CURÉ, au Commissaire.
Je laisse à votre prudence le soin de punir le coupable. Qu'un père vous livre lui-même son fils ; mais pour la novice, je la défendrai contre vous tous, et Monsieur, que vous avez amené va la mettre sous la protection de la loi.

L'ABBESSE.
Ceux qui n'ont avec le monde aucune communication sont-ils encore dépendants de ses lois !

LE COMMISSAIRE, avec fermeté.
Dans aucuns siècles, je pense, ils n'en ont été exempts. M'avez-vous fait appeler, pour vous y refuser ? Si vous avez cru pouvoir vous y soustraire, vous êtes dans l'erreur, et pour vous le prouver, je commence par vous ordonner de ne plus exercer votre autorité sur la victime qui refuse de se consacrer aux autels : que dès ce moment elle soit libre dans cet asile, en attendant que le tribunal ait prononcé sur sa sortie si elle préfère de vivre dans le monde.

JULIE.
Non, Monsieur, je ne demande point à sortir, je chéris ma retraite, mais qu'on ne me force plus à offenser le Ciel. (Au Chevalier.) Adieu, Monsieur, oubliez la malheureuse Julie, et rapprochez-vous d'un père à qui vous devez obéir. (Elle sort.)

LE CHEVALIER.
Quoi, Julie ! quoi, vous m'abandonnez ! elle sort sans m'entendre. (Se jetant aux genoux de son père.) Ah ! prenez pitié de mon désespoir ! Si vous ne m'accordez Julie, je me tue en votre présence. (Il tire un pistolet, fait un mouvement pour se brûler la cervelle ; un garde lui arrête le bras.)

LE MARQUIS, au Commissaire.
Vous voyez, Monsieur, avec quelle violence ?...

LE COMMISSAIRE.
Ceci me regard, Soldats, saisissez ce jeune insensé. (Au Chevalier.) Je suis fâché, Monsieur, que votre imprudence m'oblige à cette précaution ; rendez vos armes, si vous ne voulez me forcer à user de violence.

LE CHEVALIER.
J'obéis, Monsieur.

SCÈNE IX.
LES PRÉCÉDENTS, ANTOINE.

ANTOINE.
Accourez, accourez, M. le Commissaire, la rue est toute pleine de monde, et l'on va forcer les portes du couvent si vous n'y mettez ordre.

L'ABBESSE.
Que dites-vous, Antoine ? et pour quel sujet vient-on troubler des vierges dans leur retraite sacrée.

ANTOINE.
Ah ! Madame l'Abbesse, on dit que vous le savez bien, je n'oserions jamais vous dire tout ce qu'on débite sur votre compte, sur M. de Leuville et sur M. le Grand-Vicaire, j'en avons le tympan brisé. Tant y a que l'peuple dit comme ça qu'la novice n'prononcera pas ses vœux.

LE GRAND-VICAIRE, au Curé.
Voilà, Monsieur, le fruit de votre tolérance.

LE CURÉ, au Grand-Vicaire.
Voilà, Monsieur, les effets de votre persécution. (Au Commissaire.) Venez, Monsieur, allons calmer ce peuple agité. Que votre douceur, plutôt que votre sévérité, le fasse rentrer dans son devoir.

Fin du deuxième Acte.

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ACTE III.

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SCÈNE PREMIÈRE.
SŒUR AGATHE, SŒUR FÉLICITÉ.

SŒUR AGATHE.
Venez, venez, arrivez donc, ma sœur, je vous ait fait signe au réfectoire, et vous vous doutez bien pourquoi.

SŒUR FÉLICITÉ.
Si je m'en doute, ma sœur, c'est pour me parler sûrement de l'aventure de la sœur Julie. Voilà l'énigme expliquée : c'est un homme, un homme, ma sœur, qui l'égare et qui l'éloigne de Dieu.

SŒUR AGATHE.
Un homme ! le Paradis ne sera jamais ouvert pour elle, abandonner Dieu pour un mortel ! Mais, ma sœur, nous ne sommes pas moins à plaindre qu'elle, vous ne savez pas ce qui j'ai appris...

SŒUR FÉLICITÉ, l'interrompant.
Quoi donc, ma sœur, ah ! ne me cachez rien, je suis toujours la dernière du couvent qui apprends les nouvelles.

SŒUR AGATHE.
Ah ! ma sœur, que ne puis-je comme vous ignorer tout ce qui nous menace !

SŒUR FÉLICITÉ.
Vous me faites trembler, ma sœur, est-ce qu'il y aurait encore des hommes cachés dans le couvent ?

SŒUR AGATHE.
Non, ma sœur, mais bientôt ils n'auront pas besoin de se cacher, ils entreront librement dans les cloîtres ; on ne prononcera plus de vœux, et chacune deviendra ce qu'elle voudra, ou ce qu'elle pourra ; car enfin vous conviendrez, ma sœur, que nous sommes attachés à nos habitudes, et nous dissoudre sans prévoir les suites, c'est exposer à d'étranges tentations.

SŒUR FÉLICITÉ, d'un ton hypocrite.
Ah ! ma sœur, que m'avez-vous appris ? je me sens mourir de frayeur. Et nous sera-t-il permis aussi de nous marier ? J'en frémis ! Les hommes sont épouvantables.

SŒUR AGATHE.
Ma sœur, tâchez de vous remettre, vous n'en êtes pas encore là ; il est vrai que les approches doivent nous faire trembler : quoi ! après nous avoir sait passer les plus belles années de notre jeunesse dans les cloîtres, on nous forcerait à repaître dans le monde, flétries par toutes les privations imaginables !

SŒUR FÉLICITÉ.
Ma sœur, je n'ai que vingt-trois ans, me trouvez bien changée depuis que je suis parmi vous ?

SŒUR AGATHE.
J'ai deux ans plus que vous, sœur Félicité, me trouvez-vous bien défaite ?

SŒUR FÉLICITÉ.
Vous êtes fraîche encore comme une rose, sœur Agathe.

SŒUR AGATHE.
Vous me faites plaisir. Si vous revenez dans le monde, vous ne manquerez pas, ma sœur, de trouver des chevaliers comme sœur Julie ; mais, ma sœur, séparons-nous, voici Mme l'Abbesse.

SCÈNE II.
LES PRÉCÉDENTS, L'ABBESSE, PLUSIEURS RELIGIEUSES.

L'ABBESSE.
Sœur Agathe, faites appeler Antoine par la sœur Tourière, et qu'il vienne me parler ici. Je crois qu'il est dans le jardin, faites-lui signe par la croisée, vous ne descendrez pas au parloir ; allez et revenez vite. (Sœur Agathe sort en saluant l'Abbesse jusqu'à terre.)

SCÈNE III.
LES PRÉCÉDENTS excepte SŒUR AGATHE.

Sœur Félicité apporte un fauteuil à l'Abbesse.

L'ABBESSE.
Bien obligée, sœur Félicité, vous êtes toujours prévenante et la plus régulière des jeunes religieuses. (À part.) Il faut que je les mène bien doucement dans ce temps de troubles ; ce sont les plus jeunes qui sont les plus revêches. (Haut en s'asseyant.) Quel affront pour nous, mes sœurs, que sœur Julie ait fait voir par son exemple que nous n'étions pas à l'abri de la tentation ! Filles de Dieu, cette chute, aussi alarmante qu'inattendue, est un signe du courroux du Ciel. Béelzébuth est sur la terre ; mes sœurs, n'en doutez pas ; nous touchons à la fin du monde. Que l'Ange conservateur se rapproche de nous : écartons par de nouvelles prières le fléau qui paraît prêt à tomber sur cette paisible retraite. Venez, mes sœurs, venez, et redoublons nos flagellations. (Plusieurs sœurs font la grimace.)

SŒUR FÉLICITÉ, à part.
Cette cérémonie passe de mode.

UNE RELIGIEUSE, bas à sœur Félicité.
Que dites-vous là, sœur Félicité ? pour la plus régulière des religieuses, ce n'est guère pénitent.

SCÈNE IV.
LES PRÉCÉDENTS, SŒUR AGATHE saluant l'Abbesse.

SŒUR AGATHE.
Madame, Antoine est sorti, M. de Leuville et M. le Grand-Vicaire demandent à vous parler.

L'ABBESSE.
Qu'ils entrent, je suis à leurs ordres, ce sont les seuls protecteurs qui nous restent, grâce divine. Rentrez mes sœurs. (Les religieuses sortent d'un côté en saluant l'Abbesse ; le Marquis et le Grand-Vicaire entrent par l'autre.)

SCÈNE V.
L'ABBESSE, LE MARQUIS, LE GRAND-VICAIRE.

LE MARQUIS.
Madame, sans approuver M. le Grand-Vicaire, je n'ai pu me refuser de l'accompagner auprès de vous. Il assure que vous pouvez consacrer Julie aux autels malgré la défense du magistrat.

L'ABBESSE.
Si je le peux, Monsieur, je le dois même au bon exemple. J'avais fait appeler mon jardinier pour vous prier de vous rendre ici tous deux, précisément pour vous le proposer. Je m'applaudis que le Ciel nous fasse penser de même, les âmes pieuses sont unies d'une sainte sympathie ! Je vais vous faire mes propositions. Je fais garder à vue, loin des yeux de la sœur Angélique ; est est émue, inquiète, troublée ; la crainte que vous ne déshéritiez votre fils et qu'il ne soit enfermé va la porter à prononcer ses vœux à l'instant même. Tout est calme dans ce moment, je vais la faire paraître devant vous.

SCÈNE VI.
LES PRÉCÉDENTS, ANTOINE écoutant dans le fond du Théâtre
et ayant entendu les dernière paroles de l'Abbesse.

ANTOINE.
Ouais ! c'est ainsi qu'on se gausse de la justice et de nous, j'n'avons pas mis les choses en si bon chemin pour qu'alle prononce ses vœux. J'allons d'abord avartir M. le Curé, c'est le plus près du couvent, à l'y seul il en vaudra ben deux, et j'irons après le Chevalier et le Juge. (Il sort.)

SCÈNE VII.
LES PRÉCÉDENTS excepté ANTOINE.

L'ABBESSE, au Marquis.
Vous paraissez interdit, Monsieur.

LE GRAND-VICAIRE.
Je ne reconnais plus M. de Leuville. Si votre courage nous abandonne, plus espérance de préserver l'honneur des autels.

L'ABBESSE.
Oui, Monsieur, plus le pas est périlleux plus il faut savoir s'évertuer pour le franchir. Les personnes du couvent, religieuses, novices, pensionnaires, aucune n'ignore que votre fils est l'amant de Julie ; que sous un saint vêtement il a profané cette retraite ; Julie prononçant ses vœux calme les esprits, raffermit le culte, et personne ne doutera que ce ne soit le Ciel qui ait produit ce grand changement. Julie rebelle, Julie amoureuse, enfin, Julie repentante, va produire en ce moment un effet miraculeux ; mais il faut l'amener à faire volontairement ce sacrifice, et ceci, Monsieur, ne dépend que de vous.

LE GRAND-VICAIRE.
Ce que nous n'avons pu gagner par la force, il faut l'obtenir par la ruse. Mais, Monsieur, vous paraissez ne point approuver notre dessein.

LE MARQUIS.
Hélas ! vous connaissez l'un et l'autre mon aventure avec l'époux de ma sœur. Ce secret est encore enseveli dans les ténèbres ; mais je crains que ma sœur ne vienne à le découvrir au moment que vous entraînerez sa fille aux autels.

L'ABBESSE.
Ne craignez rien, Monsieur, Angélique est enfermée et ne peut sortir sans mon ordre.

LE MARQUIS.
Et ne redoutez vous pas qu'instruisant vos religieuses elle ne les gagnes toutes ?

L'ABBESSE.
Je prendrai mes mesures ; mais le plus pressant c'est de réduire Julie. Nous n'avons point de temps à perdre. Il faut que vous la voyiez et que vous l'instruisiez de vos intentions.

LE MARQUIS.
Je ne sais si dans ce moment ce n'est pas plutôt la pitié que la crainte qui me parle pour cette malheureuse enfant... cependant j'étoufferai ces murmures intérieurs... Oui, j'espère que je viendrai à bout de les vaincre.

LE GRAND-VICAIRE.
Il est de votre intérêt que le public ignore l'existence de cette fille, et ses vœux une fois prononcés, un voile épais couvre sa naissance. Angélique elle-même n'oserait le déchirer, et vous assurez à jamais votre repos et celui de Mme l'Abbesse.

LE MARQUIS.
Je cède ; puissions-nous ne pas nous repentir de cette démarche ! (L'Abbesse va à l'autel, et tire le cordon d'une sonnette.)

SCÈNE VIII.
LES PRÉCÉDENTS, SŒUR AGATHE.

L'ABBESSE.
Sœur Agathe, faites venir la sœur Julie. Qu'elle vienne seule, entendez-vous ?

SŒUR AGATHE, en saluant.
Oui, Madame, j'entends fort bien, vous allez être obéie. (Elle sort.)

SCÈNE IX.
LES PRÉCÉDENTS excepté SŒUR AGATHE.

LE MARQUIS, à part.
Quel trouble nouveau ! J'ai beau me dissimuler ; sa jeunesse, ses malheurs, sa générosité pour mon fils, tout me parle en sa faveur dans le fond de mon âme.

LE GRAND-VICAIRE.
Songez, Monsieur, à vous montrer inexorable aux pleurs, aux lamentations.

LE MARQUIS.
Je vais faire de nouveaux efforts, mais je ne suis point sûr du succès.

SCÈNE X.
LES PRÉCÉDENTS, JULIE.

L'ABBESSE.
Approchez, jeune infortunée que le Ciel protège encore ; venez, ma fille, venez et cessez de redouter notre présence. Nous ne voulons que votre bien.

JULIE, dans la douleur et à part.
Ciel ! Monsieur de Leuville ! Malheureuse, que vais-je devenir !

L'ABBESSE.
Je suis assurée que vous n'avez point engagé le fils de Monsieur dans une démarche qui le perd si vous ne consentez à le sauver.

JULIE.
Eh ! que puis-je, Madame ; Monsieur n'a-t-il pas livré lui-même son fils entre les mains de la justice ?

LE GRAND-VICAIRE.
Oui : mais il est père, et si vous vous joignez à lui, son fils n'aura rien à redouter ; sa tranquillité, votre honneur, le repos de ce couvent où vous êtes depuis votre enfance, tout dépend de votre renonciation au monde.

JULIE, au Marquis.
Je croyais, Monsieur, qu'on avait résolu de différer le moment qui m'appelait aux autels.

L'ABBESSE.
Ah ! ma fille ! est-il de moment plus favorable que celui où vous vous trouvez ? Vos vœux une fois prononcés, la médisance sera réduite au silence : le Ciel vous prendra sous sa protection, la démarche du fils de Monsieur sera regardée comme une imprudence de jeune homme à laquelle vous n'aviez aucune part, son père ne le déshéritera pas, et en remplissant votre devoir vous serez son bonheur.

JULIE.
Cruel devoir ! n'importe, vous l'exigez, j'y consens. (Au Marquis.) Mais promettez-moi, Monsieur, que vous pardonnerez à votre fils, et que jamais vous ne lui reprocherez cette démarche.

LE MARQUIS, un peu attendri.
Oui, mon enfant, oui, infortunée Julie, je vous promets de tout oublier, de m'intéresser à vous et de vous servir toujours de père.

JULIE.
Ces paroles me rassurent, je me sens plus calme. (À l'Abbesse.) Eh bien, Madame, ordonnez la cérémonie. C'en est fait. (L'Abbesse sonne.)

SCÈNE XI.
LES PRÉCÉDENTS, PLUSIEURS RELIGIEUSES.

L'ABBESSE.
Approchez, mes sœurs, portez le drap mortuaire, et qu'on sonne l'agonie. On n'ouvrira l'église au peuple que quand la cérémonie sera achevée, de crainte qu'elle ne soit interrompue. (Aux religieuses, tandis que sœur Agathe étend le drap mortuaire au milieu du théâtre et au pied de l'autel.) Voyez, mes sœurs, l'exemple que Julie vous donne, Satan lui avait tendu un piège, Dieu l'en retire par Sa grâce divine.

JULIE, à part.
Hélas ! puisse ce Dieu clément éteindre le feu qui brûle dans mon cœur !

L'ABBESSE, la prenant par la main.
Allons, ma sœur, allons, Dieu vous attend et vous ouvre Ses bras. (Julie, s'avançant, entend la cloche, et s'évanouit dans les bras de l'Abbesse.)

SCÈNE XII.
LES PRÉCÉDENTS, LE CURÉ.

LE CURÉ.
Ciel, que vois-je ! on ne m'a pas trompé. (Au Grande-Vicaire et à l'Abbesse.) Ministre de paix, et vous, Madame, est-ce que vous êtes fidèles à votre promesse ?

LE GRAND-VICAIRE.
De quel droit osez-vous tenir ce langage ?

LE CURÉ.
Du droit que me donne mon caractère ; celui d'un culte libre que vous devriez défendre si vous connaissez votre devoir : ce devoir que vous pouvez reprouver en moi, mais que le Ciel approuve.

LE GRAND-VICAIRE.
Il vous sied bien d'invoquer le Ciel, vous qui l'offensez.

LE CURÉ.
Moi qui le sers, moi qui cherche du moins à interpréter en bien Ses sages décrets.

LE GRAND-VICAIRE.
Vous êtes dans l'erreur, c'est moi qui vous le dis.

LE CURÉ.
Vous y êtes plus que moi, Monsieur. Si je me trompe, mon erreur du moins ne tend à violenter personne.

LE GRAND-VICAIRE.
Continuez, Monsieur, continuez, et par vos sages conseils éloignez Julie des autels où elle allait se consacrer de son plein gré, avant que vous ne paraissiez ici.

LE CURÉ.
Que dites-vous ? moi, éloigner de Dieu un cœur qui se dévouerait volontiers à Son culte ! Rendez-moi plus de justice. Si Julie est résolue, si ses vœux ne sont pas forcés...

L'ABBESSE, l'interrompant.
Non, Monsieur, non. Julie veut renoncer au monde, et c'est elle-même qui vient d'ordonner les préparatifs de la cérémonie.

LE CURÉ, à Julie.
Ainsi, mon enfant, je ne puis désapprouver votre résolution, le monde a ses peines, la retraite est plus douce pour les âmes véritablement religieuses ; mais est-il bien vrai que ce soit volontairement ?

JULIE, dans le délire.
Oui, Monsieur, n'en doutez pas. Oui, je vais renoncer volontairement à tout ce qui m'est cher au monde. Dieu prendra pitié de mes peines, de ce cœur déchiré. (En pleurant.) Et je serai sans doute heureuse. Pour sauver mon amant, je m'enchaîne à ces autels par d'éternels liens ; il me suivra partout ; partout privée de lui, sans cesse je le verrai. Dans mes douces rêveries, son image m'aidera à supporter le poids de mes chaînes. Aux pieds de mon Dieu mon amant me suivra. Je lui présenterai celui que mon cœur adore... ?

LE CURÉ, dans la plus grande surprise, à l'Abbesse.
Ô Ciel ! est-ce ainsi que cette infortunée est résolue ?

L'ABBESSE, avec embarras.
Je suis, Monsieur, plus étonnée que vous. (À Julie.) Quoi ! Julie, oubliez-vous... Mon enfant, reprends ta raison, si tu connaissais le monde, ses dangers, sa perfidie, tu frémirais de terreur et n'aurais plus de répugnance pour cette retraite.

LE CURÉ.
Eh ! Madame, cessez une si cruelle persécution. Si la souffrance trop visible de cette orpheline ne peut toucher votre âme, songez du moins à vos propres intérêts : une fermentation générale agite le royaume ; nous touchons à la plus importante des révolutions ; les abus, les tyrannies de vos pareilles, Madame, et des nôtres, ont depuis longtemps rebuté les cœurs et aigri les esprits. La constante persécution produit à la fin l'indépendance, et l'indépendance peut produire des calamités dont ce malheureux royaume se voit menacé. Craignez d'attirer sur cette maison la vengeance des hommes, quelquefois plus prompte encore que celle de Dieu. N'est-ce pas à nous qu'il appartient de donner l'exemple de l'humanité et de la justice. Le peuple sait déjà que vous forcez une victime à se consacrer aux autels, et je le vois dispose à la défendre. Il ne faut qu'une étincelle pour produire un incendie, et si nous voulons sauver notre auguste religion de sa ruine...

LE GRAND-VICAIRE, l'interrompant.
Prétendez-vous sauver la religion, lorsque vous même l'environnez de licence et de désordre ?

L'ABBESSE, à Julie.
Vous seule, ma fille, vous pouvez venger le Dieu que nous adorons, et glorifier Ses autels.

JULIE.
Eh bien ! Madame, je ne résiste plus ; que serais-je au monde, inconnue, sans appui, et privée de ce que j'aime ? mais du moins que ma bienfaitrice me soit rendue. (Au Curé.) Respectable Pasteur, ne me privez pas de votre présence, daignez quelquefois venir me voir, et m'inspirer la force et le courage.

L'ABBESSE, embrassant Julie.
Ma fille, toutes tes volontés seront exaucées. (L'Abbesse fait signe à la religieuse qui sonne l'agonie. Julie va se prosterner au pied de l'autel, on entend un grand bruit.)

SCÈNE XIII.
LES PRÉCÉDENTS, LE CHEVALIER, LE COMMISSAIRE,
ANTOINE, PLUSIEURS SOLDATS.

JULIE, se relevant avec trouble.
Ciel ! c'est lui !

LE CHEVALIER, avec précipitation.
Oui, cruelle, c'est moi qui viens t'arracher à des vœux forcés. (Au Commissaire.) Et vous, Monsieur, organe de la loi, voyez comme est respectée dans ce lieu saint.

LE COMMISSAIRE, à l'Abbesse.
Madame, que signifie cet appareil ? N'avais-je pas ordonné de suspendre la cérémonie ?

L'ABBESSE.
De quel droit, Monsieur, venez-vous commander au cœur ? Julie veut rester parmi nous. Un moment d'égarement n'a pu balancer dans son âme son devoir et son Dieu. Elle demande à prononcer ses vœux, puis-je me refuser à une intention si louable ? Loin de m'y opposer j'ai dû encourager son zèle. J'ai fait mon devoir, et Monsieur, qui connaît l'importance de ma place, doit juger si j'ai quelques reproches à me faire.

LE COMMISSAIRE.
Non, Madame, s'il en est ainsi, la novice doit prononcer ses vœux en ma présence, et me déclarer ses dernières volontés.

L'ABBESSE, bas à Julie.
Ma fille, tu perds ton amant, le culte de Ton Dieu si tu résistes ; du courage, et tu sauves les autels. Souviens-toi d'Angélique.

JULIE, à part.
En me sacrifiant, je ne perds que moi seule, et je sauve ce qui j'aime ; c'en est fait, je suis déterminée. (Elle marche à l'autel.)

LE CHEVALIER, alarmé.
Julie, ma chère Julie, que vas tu faire ? (On la retient.)

JULIE.
Mon devoir... M'attacher par un lien éternel aux autels. Je jure...

SCÈNE XIV, et dernière.
LES PRÉCÉDENTS, SŒUR ANGÉLIQUE.

SŒUR ANGÉLIQUE, entre au moment où Julie va prononcer ses vœux.
Arrêtez ! non, cet affreux sacrifice ne s'achèvera pas. (Elle la prend entre ses bras.) Non, barbare, on ne l'arrachera pas de mes bras. Ministres d'un Dieu de paix, vierges saintes, et vous tous qui m'écoutez, voilà mon frère (elle montre le Marquis), et le meurtrier de mon époux ; voici ma fille, seul reste d'un hymen déplorable.

JULIE.
Vous, ma mère ! ah mon cœur me l'avait dit d'avance.

LE CHEVALIER.
Ma tante, ma chère tante !

SŒUR ANGÉLIQUE.
Sachez que m'étant mariée sans son aveu, ce frère implacable provoqua mon époux au combat où il perdit la vie. Enfermée dans ce cloître par un ordre surpris à l'autorité, une longue suite de persécutions me força d'y prendre le voile, on mit auprès de moi cette enfant ; mais, par un raffinement de cruauté, on me défendit avec les plus affreuses menaces de me faire connaître à elle, et de l'appeler du doux nom de fille.

LE MARQUIS, à part.
Voilà ce que j'avais prévu ! à quelle confusion me vois-je exposé !

LE CURÉ, au Marquis.
Reconnaissez, Monsieur, la main de Dieu qui veut vous conduire au repentir. Que de motifs pour être juste ! Les reproches de votre conscience, l'indignation, l'horreur, le mépris qui vont vous accabler. Ah ! vous pourriez encore éviter tous ces maux par un retour sincère à la vertu et aux sentiments de l'humanité et de la nature.

LE MARQUIS.
Oh ! remords déchirants ! préjugés barbares ! à quels excès vous m'avez conduit... Sage et généreux Pasteur, intercédez ma grâce auprès du Ciel et des hommes.

LE CURE, à Angélique, à Julie et au Chevalier.
Mes enfants, approchez ; votre père, votre frère vous est rendu. (Sœur Angélique tend les bras au Marquis, le Chevalier et Julie se jettent à ses genoux.)

LE MARQUIS, en les relevant.
Mes enfants, que faites-vous ? C'est à moi de vous demander pardon. Victimes de ma haine, et vous, ma sœur, que j'ai si longtemps persécutée, oublierez-vous mes torts envers vous ?

SŒUR ANGÉLIQUE.
Ô mon frère, ils sont tous oubliés.

LE MARQUIS.
Venez donc entre mes bras, venez soulager mon cœur du poids des remords qui l'oppressent. (Il la presse contre son sein.) Nature ! combien est misérable celui qui méconnaît tes salutaires jouissances ! Jamais je n'ai goûté si délicieusement le bonheur d'exister. Mes amis, vous me pardonnez ?

LE CHEVALIER.
Ô mon père, ne pensez plus au passé.

LE MARQUIS.
J'y penserai, mon fils, pour rappeler tout ce que je dois faire pour vous dédommager de mes persécutions. (Il prend la main de Julie et du Chevalier.) Ma nièce, et toi mon ami, soyez heureux. Que mon exemple vous serve de leçon. Souvenez-vous que la félicité de vos enfants est votre premier devoir. (À Angélique.) Ma sœur, vous ratifiez leur choix. (Il quitte ses enfants, Angélique prend sa place... Puis, il s'adresse à l'Abbesse.) Madame, vous fûtes témoin de mes injustices, vous l'êtes de mon repentir. Je vous laisse à remplir une obligation importante et pour vous et pour moi. Ma sœur est retenue dans ce cloître par des vœux indissolubles, vous êtes chargée de son bonheur. Ah ! qu'elle y jouisse désormais du calme et de la tranquillité que méritent ses vertus.

L'ABBESSE.
Je vous le promets, Monsieur ; cette scène touchante m'apprend un nouveau devoir, et M. le Curé sera désormais le pasteur que je consulterai sur l'administration de ma maison.

LE CURÉ.
Madame, ce n'est point à moi que vous rendez justice, c'est à la vérité, c'est au culte d'un Dieu ennemi de la persécution. Mais oublions le passé, et qu'une morale plus douce rende à l'avenir ces asiles moins redoutables.

ANTOINE.
Ouf, j'en sommes sortis à notre gloire, j'avons eu ben du tintoin, et ma fine la novice a manqué nous faire faux-bond. Tant y a que tout a retourné à notre avantage. Alle ne r'chignera pus tant à dire oui avec M. le Chevalier. Il n'y a pas d'mal à ça. Dieu n'défend pas sans doute de vivre honnêtement et doucement dans un couvent ; mais je fis d'avis qu'il aime encore mieux qu'on se marie, et je vous assure, (Au Parterre) Messieurs et Dames, que je vais me marier le plutôt que je pourrai.


FIN.


[Notes]

1. Mme Olympe de Gouges, Le Couvent ou Les Vœux Forcés, première le 21 octobre 1790 au Théâtre Français à Paris.

2. Source : exemple imprimé, chez La Veuve Duchesne, rue Saint-Jacques, La Veuve Bailly, barrière des Sergens, et chez les Marchands de Nouveautés, Paris, 1792.

3. Bien que la transcription ci-dessus soit en orthographe actuelle, j'ai conservé absolument l'argot original d'Antoine, y compris : je sommes (je suis), j'l'aimions (je l'aimais), vous l'amais (vous l'aimez), arrivais (arrivez) et d'autres constructions de ce genre ; vitement (d'une manière vite), stapendant (cependant), Capucinière (prieuré pour des Capucins), pitieux (pitoyable), s'enfermont (s'enferment), reviant (reviennent ou revenaient), alles (elles), biau (beau), mutaine (mutine), refrogné (renfrogné), chagreine (chagrine), mandille (sorte de casaque que les laquais portaient autrefois ; cf. mante : sorte de grand voile noir descendant et traînant jusqu'à terre que des religieux portaient autrefois), bian (bien), alle (elle), rian (rien), biaux (beaux), stelle-ci (celle-ci), capuciner (s'habiller en capucin), avartir (avertir), tintoin (tintouin) et r'chignera (rechignera). [À propos, l'auteur emploie le verbe obsolète confider, d'apres le latin confidere, pour confier.]

4. Voici la préface originale de ce drame.

PRÉFACE

J'ai déjà prouvé que depuis ma naissance je suis persécutée ; que rien ne m'a jamais réussi, et qu'enfin les vraies jouissances me sont inconnues, quoique le Ciel m'ait fait une âme pour en goûter les délices. La littérature est un passion qui porte jusqu'au délire. Cette passion m'a constamment occupée pendant dix années de ma vie. Elle a ses inquiétudes, ses alarmes, ses tourments, comme celle de l'amour.

L'Esclavage des Noirs devait avoir, d'après les circonstances, le plus grand succès : ce succès fut empoisonné par des entraves effroyables et iniques. Pour faire diversion à mes tourments, j'arrivai à Versailles avec tous les Députés de la France ; je donnai aveuglement, et à corps perdu, dans la politique et dans la philosophie. Mes écrits patriotiques soulevèrent tous les partis naissants contre mes bonnes vues. À peine j'étais entrée en lice avec les vrais soutiens de la France, que les merveilleux de la Cour crièrent à l'audace, à l'entreprise, et prétendirent qu'il valait mieux que je fisse l'amour que des livres. J'aurais pu les en croire s'ils avaient été en état de me le persuader. Ils ne pouvaient m'offrir que des vices et des ridicules, je n'aime que les vertus. Cette morale et cette critique ne me corrigèrent pas, je continuai d'écrire.

On agita la question des vœux arrachés aux jeunes gens des deux sexes : cette question m'inspira mon drame des Vœux Forcés. Tous les prêtres qui se sont distingués sur cette matière me fournirent les moyens d'établir le caractère du Curé de mon drame. J'arrachai une plume de l'aile de chacun. L'éloquence et l'érudition de MM. Talleyrand [*], Sieyès, et surtout la pureté religieuse de M. l'abbé Gouttes [], me donnèrent de quoi m'étendre sur ce caractère. L'abbé Maury m'inspira celui de mon Grand-Vicaire. Mais il faut être juste, je n'en ai fait que la charge ; le véritable abbé Maury a bien plus d'esprit que mon Grand-Vicaire. Victime du fanatisme, comme on l'apprendra par les suites, ce sujet dut me sourire plus qu'à tout autre ; aussi je le traitai rapidement. J'en ai puisé les matériaux dans le sein de l'Assemblée nationale. Je le communiquai à un grande nombre de personnes à Versailles ; tous m'en firent le plus grand récit ; tous m'engagèrent à le faire représenter ; mais on craignait la censure malgré le premier rayon de la liberté. Aucun auteur n'avait encore porté ce sujet au théâtre. Il fallait donner l'essor à la grande question qui s'agitait à l'Assemblée nationale. Ma pièce pouvait peut-être y contribuer : mais d'original que j'étais, l'arrêt du sort, l'irrévocable arrêt qui me poursuit, voulut me faire paraître imitateur.

Je portai ce drame au Théatre de Monsieur, Foire Saint-Germain, vers le mois de février 1790. Ce spectacle le reçut, mais il me demanda un temps très long pour le représenter : je le retirai pour le donner au Théâtre du Palais-Royal. On me le garda deux mois sans m'en donner aucune nouvelle. Je communiquai un second manuscrit à M. Monvel, qui trouvait cette pièce charmante, et je pouvais l'en croire. Il me témoigna le plaisir qu'il aurait de jouer le rôle du Curé, et certes mon intention était bien de le lui offrir ; mais l'implacable d'Orfeuille, acharné comme un Comédien François contre mes pièces, trouva prétexte sur prétexte. On me demandait un troisième acte, je le croyais assez nécessaire, mais tous ces délais commençaient à me fatiguer.

Mon fils me prend le manuscrit, et, pour mon malheur, va le porter à un Théâtre François, Comique & Lyrique.

Il était écrit que tout ce qui porterait le nom de Théâtre François me serait funeste. On reçoit avec transport cette pièce (c'est la première, dit-on, et la seule dramatique qui se soit représentée sur ce théâtre). Quelques fussent les instances de mon fils, j'avais de la peine à me décider. Il amène un des directeurs chez moi : je consens à lui donner ma pièce : il me prie de la faire censurer au plus vite. Mon censeur était M. Duport-Dutertre [], lieutenant de maire alors et ministre de la Justice aujourd'hui. Il pointilla beaucoup sur les licences ; il approuva l'ouvrage et le jugea en connaisseur. Son approbation m'indiqua même tous les changements que j'y ai faits ; le style avait besoin d'en être châtié, je le savais, puisque c'etait le brouillon qui avait été censuré. Je me remis donc après ma pièce, quelque fût mon dégoût pour la correction, et, après l'avoir revue de nouveau, je la livrai au directeur, ne voulant pas aller aux répétitions de ce théâtre. Il me demanda la permission d'y faire des coupures et de changer quelques mots par-ci par-là. Je lui en donnai une aveugle, et ma pièce aurait été défigurée si je n'avais redemandé mon manuscrit. J'appris qu'il s'était avisé de vouloir intercaler une scène de sa façon, et qu'elle était si mauvaise, si étrangère à l'action et au sujet de mon drame, que les acteurs étouffaient de rire en la lisant. Vraisemblablement cet homme avait des vues sur cette pièce ; car il engagea mon fils, assez subtilement, pour en accélérer la représentation, de s'en déclarer l'auteur avec lui, mais de me laisser ignorer ce projet. Mon fils y consentit comme un étourdi. Eh bien, dit-il, nous allons nous en dire les auteurs tout deux, elle marchera plus vite. Soit, lui dit-il, pourvu qu'elle se joue tout de suite. La pièce se joue et a le plus grand succès.

J'étais à la campagne : à mon arrivée j'apprends cette nouvelle, et je vois affiché à ma porte : Les Vœux Forcés, par Mme de Gouges & M. Labreux... ! Par Mme de Gouges & M. Labreux, m'écrirai-je d'une voix sépulcrale : Depuis quand suis-je associée pour une production dramatique ? Tout le monde ouvre les yeux aussi bien que moi. Je crie au meurtre ! au vol ! au plagiat ! à la Justice !... Oh ! oui, la Justice, rien n'était organisé. Ma pièce allait toujours son train. Faire un procès à des misérables, c'est se couvrir d'ignominie. Des personnes plus modérées et désintéressées, et connaissant ma fatalité, me disent, pour me consoler : «Cet accident vous sert bien ; si vos ennemis vous en avaient su l'Auteur, on l'aurait fait tomber, ou ils seraient parvenus à en arrêter la représentation.» Vous avez raison, leur dis-je, et m'efforçant, pour étouffer en moi la cri de la nature, j'ai abandonné ce drame à sa destinée. Il est arrivé à quatre-vingt représentations. Aujourd'hui je reprends ma progéniture un peu épuisée ; mais je lui ai donné une nouvelle vigueur par un troisième acte, j'ai mis plus d'action dans le dialogue, plus de pureté dans le style. Je me propose actuellement de faire représenter cette pièce sur un autre théâtre. J'ose croire qu'elle est propre à figurer sur tous. Messieurs les Directeurs du Théâtre François, Comique & Lyrique, voudront bien me rendre compte de la recette, dont je destine ma part d'auteur aux soldats de Château-Vieux, et me rendre compte du vol manifeste de la moitié de la gloire de cet ouvrage, et me reproduire surtout l'approbation qui leur a permis de la représenter.

Je demande actuellement aux lecteurs, à tous les auteurs nés et à naître, si jamais ils ont éprouvé, et si jamais aucun éprouvera un brigandage de cette espèce. Il est cruel pour un homme, il est atroce pour une femme : car, dans cette matière, il est plus commun qu'un homme donne à une femme ; mais qu'un homme vole une femme !!! cela n'est pas ordinaire. Certes je ne suis pas surprise de ce misérable vol, et l'on me forcera à la fin de croire que j'approche des grand talents, puisque tous les jours on me pille.

Plusieurs savants ont fait la remarque que L'Esclavage des Noirs avait fait des petits, comme La Coquette fixée ; j'ai reconnu aux Italiens, dans plusieurs pièces, des scènes tout entières. [] Dans Zélia, dans la fameuse Zélia, du Théâtre de la rue de Louvois, l'auteur ne s'est pas même donné la peine de déguiser le roman de M. de Saint-Frémont, mais il a eu l'art, au-dessus de moi, de faire vivre les deux rivales. Il faut croire que M. Dubuisson aime la polygamie, et que dans ce moment il veut introduire ce goût en France. Il n'aura pas grande peine, je pense ; mais moi, qui veux tout ou rien, j'ai eu grand soin de faire mourir la plus ancienne. J'ai trouvé ce moyen plus dramatique, plus théâtral, et surtout plus moral. J'ai conçu ce drame dix ans avant celui de M. Dubuisson. Il a eu le temps de le parcourir, puisqu'il est imprimé depuis cinq ans ; et je vois avec plaisir qu'un expert dans l'art d'écrire, un auteur consommé, n'a pas dédaigné, non seulement d'imiter une ignorante, mais de lui prendre encore l'intentions, les aveux, et exactement les mêmes phrases. Il faut convenir, M. Dubuisson, que vous avez cru mon drame enfoui dans les ténèbres, et vous avez vu sans doute avec peine un si joli roman disparaître de la scène. Vous voudrez bien permettre qu'après son succès je tâche au moins de ramener sur l'eau L'Esclavage des Noirs. Je conviens que ma pièce n'a aucun rapport avec cette duplicité d'intérêt, j'ose dire sagement conduit ; vous avez volé seulement le roman, grand bien vous fasse. Je préfère réclamer à restituer. Vous, et M. de Labreux, me seriez bien caution, et bien d'autres, que je n'ai pas besoin du bien d'autrui ; certes vous pourriez me faire longtemps de semblables vols avant de me ruiner, et l'on ne sait que trop que ma grande fortune dans ce genre est L'Embarras des Richesses. Si quelque financier, amateur d'esprit et de gloire d'autrui, voulait faire l'acquisition de mille et un manuscrits, je suis prête à traiter avec lui à bon compte : et sérieusement, je serais bien femme à conclure ce marché, et même à garder le secret quand mes pièces auraient le plus grand succès : mais quand on me les vole ! c'est une autre paire de manches, comme disent les bonnes gens.

Me voilà assez vengée, et j'espère bien qu'à l'avenir on me demandera mes pièces plus loyalement, plus légalement, et qu'on me fera la loi avec une bonne quittance. Je déclare que je ne donne plus ni aux auteurs, ni aux acteurs, ni au public, mes ouvrages. Le mauvais que l'on paye est toujours bon : le bon que l'on donne ne vaut jamais rien. J'ai appris à faire un proverbe de cette expérience. Il m'a pris fantaisie de faire fortune, je veux la faire, et je la ferai.

Je la ferai, dis-je, en dépit des envieux, de la critique et du sort même : car je vois bien qu'il faut que je lui montre les dents si je veux reprendre ma revanche. Je vois aussi que notre vie n'est qu'un jeu, et que celui qui ne sait pas calculer perd toujours. J'ai appris mathématiquement à vivre à mes dépens.

Je finis par demander justice au public pour mes faibles productions : lui demander de l'indulgence, ce serait trop ; mais si j'obtiens cette justice, ce sera beaucoup pour moi.

En lisant cette préface je m'aperçois qu'il est impossible de livrer à l'impression un brouillon sans être revu et corrigé. C'est assez mon usage pour les préfaces. Ainsi, je rappelle celle-ci à l'indulgence du lecteur, quoique je paraisse la braver plus haut.

* Charles Maurice de Talleyrand-Périgord, naquit à Paris le 13 février 1754, sacra évêque d'Autun le 4 janvier 1789, fut l'un des rares évêques qui ne signa pas la célèbre Exposition des principes sur la Constitution civile du clergé du 3 octobre 1790, rédigea par l'archevêque d'Aix, Jean de Boisgelin de Cucé ; suite au assentiment définitif du roi Louis XVI du décret la Constitution civile du clerge (12 juillet 1790), il prêta le nouveau serment le 28 décembre 1790, démissionna de son évêché d'Autun le 13 janvier 1791, fit une carrière politique longue et exceptionnelle, et mourut à Paris le 17 mai 1838.

† L'abbé Gouttes, naquit à Tulle le 21 décembre 1739, président de l'Assemblée constituante du 27 avril au 10 mai 1790, fut guillotiné le 26 mars 1794 ; pour sa biographie, voir Anatole de Charmasse, Jean-Louis Gouttes, évêque constitutionnel du département de Saône-et-Loire, et le culte catholique à Autun pendant la Révolution, Autun, Dejussieu, 1898.

‡ Marguerite-Louis-François Duport-Dutertre, le censeur de ce drame, naquit à Paris le 6 mai 1754, y fut guillotiné le 29 novembre 1793.

¶ Claude-Henri de Fuzée, naquit le 3 juillet 1708, ordonna en 1739, mourut le 22 november 1775 : La Coquette fixée, Paris, 1746. Paul-Ulric Du Buisson, naquit le 23 janvier 1746, guillotina le 23 mars 1794 : Zélia ou Le Mari à deux femmes, première le 29 octobre 1791 à Paris ; La Suite de Zélia, première le 25 février 1792 à Paris.

5. Marie Gouze, dite Olympe de Gouges, féministe avant la lettre, écrivaine et révolutionnaire ardente, naquit à Montauban le 7 mai 1748, fut guillotinée à Paris le 3 novembre 1793. Ses écrits incluent Zamore et Mirza («... Le voilà enfin, ce drame que l'avarice et l'ambition ont proscrit, et que les hommes justes approuvent. Sur ces diverses opinions quelle doit être la mienne ? Comme auteur, il m'est permis d'approuver cette production philanthropique ; mais comme témoin auriculaire des récits désastreux des maux de l'Amérique, j'abhorrerais mon ouvrage, si une main invisible n'eût opéré cette révolution à laquelle je n'ai participé en rien que par la prophétie que j'en ai faite. Cependant on me blâme, on m'accuse sans connaître même L'Esclavage des Noirs, reçu en 1783 à la Comédie Françoise, imprimé en 1786, et représenté en Décembre 1789. Les Colons, à qui rien ne coûtait pour assouvir leur cruelle ambition, gagnèrent les Comédiens, et l'on assure... que l'interception de ce drame n'a pas nui à la recette ; mais ce n'est point le procès des Comédiens ni des Colons que je veux faire, c'est le mien...», d'après la préface de L’Esclavage des Noirs ou l'Heureux naufrage publié en 1792), Lettre au Peuple ou le projet d'une Caisse patriotique (1788), Déclaration des Droits de la Femmes et de la Citoyenne (1791), Olympe de Gouges, défenseur officieux de Louis Capet (1792) et Union, courage, surveillance, et la République est sauvée (1793).

6. D'après la preuve interne — en particulier, l'échange entre les sœurs Agathe et Félicité au début du troisième acte — je crois que l'action de ce drame se passe avant le 26 octobre 1789, où l'Assemblée constituante défendit d'émettre les vœux de religion, ou avant le 13 février 1790 au plus tard, où la même Constituante décréta : «La loi constitutionnelle du royaume ne reconnaît plus de vœux monastiques solennels de personnes de l'un ni de l'autre sexe...» Quoi qu'il en soit, en raison des décrets successifs, ce drame était nettement vieux jeu à sa première en octobre 1790.

7. Voir aussi peut-être :

Anonyme : Les Fourberies Monacales, 1790.
Pierre Laujon : Le Couvent ou Les Fruits du Caractère et de l'Éducation, 1790.
Joseph Fiévée : Les Rigueurs du Cloître, 1790.
Claude de Flins : Le Mari Directeur ou le Déménagement du Couvent, 1791.
Jacques Boutet, dit Monvel : Les Victimes Cloîtrées, 1791.
Louis Picard : Les Visitandines, 1792.
Charles Pigault-Lebrun : Les Dragons et les Bénédictines, 1794.
Charles Pigault-Lebrun: Les Dragons en cantonnement, ou la Suite des Bénédictines, 1794.
Jean Corsange et Jean Hapdé : Le Dernier Couvent de France ou l'Hospice, 1796.

8. Transcription en orthographe actuelle par Dr Roger Peters [Home Page (en anglais)].
[Septembre 2003]